Stanislas Leszczynski : un roi gastronome inventeur du baba

Histoire et gastronomie, la chronique de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Quel lien existe-t-il entre le baba et la pâtisserie alsacienne, le kouglof ?
Réponse : le roi de Pologne Stanislas Leszczynski ! Jean Vitaux, auteur du Dictionnaire du Gastronome, vous fait découvrir ce roi, à l’histoire fort mouvementée, qui vouait une véritable passion aux desserts et qui eut l’idée d’imbiber le kouglof dans du rhum pour donner naissance au...baba.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr729
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Stanislas Leszczinski devint duc de Lorraine et de Bar en 1737.

Le roi Stanislas Leszczynski a eu une existence mouvementée. Né en 1677 à Lvov d'une prestigieuse famille noble polonaise, il a visité l'Europe en 1695-1696, comme le futur empereur russe Pierre le Grand, allant de Vienne à Rome, puis à Versailles et à Paris qui l'émerveillent et qu'il doit quitter pour participer à la Diète polonaise en qualité de staroste (noble avec un fief). Profitant des dissensions entre la famille Sobieski (qui a sauvé Vienne du siège des Turcs en 1683) et du duc de Saxe Auguste le fort, Stanislas Leszczynski est élu roi de Pologne le 12 juillet 1704, sous la pression du roi de Suède, Charles XII, mais doit fuir Varsovie sous la menace des troupes saxonnes. Il se fit couronner le 4 octobre 1705. Hélas sa royauté fut éphémère : il y avait de facto deux rois de Pologne, Stanislas soutenu par la Suède et Auguste soutenu par les Russes. La défaite de Charles XII à Potlava précipita sa déroute. Alors commence une longue d'errance de Stettin à Stockholm, puis prisonnier des Turcs à Bender, il trouve refuge dans le duché des Deux Ponts, petite principauté allemande près de la frontière française, avant de s'installer en Alsace à Wissembourg.

L'embellie viendra de sa fille Marie Leszczynska, qui, en raison de son charme, de sa belle santé et de sa religion, sera choisie pour être l'épouse du roi Louis XV en 1725. Il réside alors à Chambord où il se consacre à la chasse. Mais Auguste II meurt et la royauté élective de Pologne est vacante. Avec l'aide du roi de France, il est de nouveau élu roi de Pologne le 12 septembre 1733, mais le 5 octobre, sous les pressions de la tzarine, Auguste III de Saxe est également élu roi de Pologne. Stanislas doit de nouveau fuir à Dantzig pour se réfugier à Königsberg, chez le roi de Prusse, puis il retourne chez le roi de France à Meudon. L'affaire de la succession du duché de Lorraine, enfin réglée en 1736, lui offre ce duché : sa souveraineté restant toute théorique, la réalité du pouvoir étant entre les mains de l'intendant Antoine-Martin Chaumont de la Galaizière et du contrôleur général des finances Philibert Orry.

La Place Stanislas à Nancy, inscrite au patrimoine mondiale de l’UNESCO.


Dépouillé de la réalité du pouvoir, mais pourvu d'une liste civile conséquente, Stanislas allait pouvoir s'adonner à ses passions : l'architecture, dont témoignent la place Stanislas à Nancy et le château de Lunéville, la chasse et la gastronomie. Bibliophile passionné et mécène, il crée aussi une Académie à Nancy. Stanislas avait une réputation de gourmet à table, qui tournait à la gourmandise à l'heure des desserts. Bien qu'il ne prit qu'un seul repas en compagnie de vingt cinq convives, il fut affligé d'un embonpoint précoce. Il aimait comme à son époque les gibiers et les volailles, les poissons de rivière, et son vin préféré était le Tokaji de Hongrie (Tokay), comme le mythique baron de Münchhausen, mais il devait souvent se contenter du vin de son duché, le gris de Toul. Fidèle à ses origines polonaises, il acclimata en Lorraine des poules Sarmates et des brèmes polonaises, et il avait aussi (déjà !) ses élevages de faisans.

Mais c'était un passionné de desserts. Il était bien entouré pour en profiter : depuis son séjour à Chambord, il avait recruté un confiseur Richard, qui formera ensuite le Sieur Gilliers, qui est resté à la postérité par un des plus fameux et rares livres de cuisine du XVIII° siècle : « Le Cannaméliste Français » paru en 1754, dédié au duc de Tenczin-Ossolinski, premier grand officier de la Maison du Roi de Pologne, « Mécène de la Cour d'un Nouvel Auguste ». Le titre peut en paraître curieux, mais cannamel est l'ancien nom de la canne à sucre. C'est donc un livre de cuisine surtout dédié aux desserts et à l'usage du sucre, comme la France en avait peu connu depuis l'ouvrage de Michel de Nostre-Dame, dit Nostradamus, deux siècles auparavant. Il comporte de nombreuses recettes de confitures, pâtes, biscuits, bonbons et nougats ainsi que des dessins de pièces montées et de croquembouches, dont Stanislas était si gourmand.

Mais le vrai titre du roi Stanislas Leszczynski fut l'invention du baba. On raconte qu'il trouvait la pâtisserie alsacienne connue sous le nom de Kouglof trop sèche. Le Kouglof est un gâteau de pâte levée aux raisins secs imbibés de kirsch dont la pâte doit être aérienne et légère, et qui est cuit dans un moule cannelé en terre cuite vernissée. La paternité du baba reviendrait directement au roi Stanislas, qui trouvant le Kouglof trop sec, eut l'idée de le tremper dans un sirop de sucre additionné de rhum. Le nom baba peut avoir deux origines : la plus couramment retenue est un mot polonais baba, désignant une pâtisserie polonaise populaire dont l'aspect ovoïde rappelait une vieille femme alourdie par l'âge et ses vêtements empilés ou baba.


L'autre origine, plus douteuse mais ingénieuse, est littéraire : baba serait issu d'un conte des mille et une nuits, traduit au XVIII° siècle par Galland, Ali Baba, qui était le héros préféré de l'inventeur du gâteau, le roi Stanislas. Cette découverte plût tellement au roi qu'une vingtaine de recettes de baba figurent dans « Le Cannaméliste Français » notamment aromatisé de vin blanc sucré et même aromatisé de safran. La publicité en fut aussi faite à la Cour par sa fille, épouse du roi Louis XV, tout aussi gastronome que son royal époux. La célébrité du baba n'a pas cessé depuis et c'est resté un des desserts classiques de la cuisine française.

Stanislas Leszczynski a aussi contribué à populariser la madeleine de Commercy vers 1755. Résidant dans son château de Commercy, une querelle intervient entre le pâtissier et l'intendant : le pâtissier rend son tablier, et une servante confectionne alors la madeleine qui réjouit le souverain. Le roi demanda le nom de cette pâtisserie, et lui donna le nom d'une femme qui participait à leur fabrication. Il adressa aussi à la cour ces fameuses madeleines de Commercy, qui réjouirent le roi et son épouse, gastronomes accomplis. On dit aussi que la recette provenait comme souvent d'un couvent, et la paternité de la madeleine de Commercy est aussi revendiquée en 1843 par Madeleine Paulmier. Comme on sait, on ne prête qu'aux riches !

Le roi Stanislas, roi sans pouvoir, vieux sage, mourut de façon stupide en prenant feu dans sa cheminée en 1766, précédant de deux ans sa fille dans la tombe. Pensons à lui quand nous dégustons un baba !

En savoir plus :

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’Histoire de la gastronomie. Il est, avec Benoît France, l'auteur du célèbre Dictionnaire du gastronome (éditions PUF).
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