200 sauces : Soubise, Mornay ou Béchamel, quelle histoire !

La chronique « Histoire et gastronomie » de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

L’étymologie de la sauce nous rappelle que la sauce est avant tout liquide : ce terme issu du latin salsa (salé) désigna d’abord l’eau de mer, avant de désigner l’eau et la pluie : nous sommes encore « saucés » quand nous sommes mouillés par une pluie violente. Initialement au moyen âge, le terme sauce, connu depuis le XII° siècle, définissait un assaisonnement contenant de l’eau, du sel et divers ingrédients (épices, herbes)... mais Jean Vitaux connaît bien d’autres histoires de sauces que vous allez goûter et déguster en l’écoutant !

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr886
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L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert définit la sauce comme une « composition liquide dans laquelle les cuisiniers font cuire diverses sortes de mets ou qu'ils font à part pour manger les viandes quand elles sont cuites ».Les progrès de la cuisine et de la gastronomie ont depuis l'Antiquité multiplié  les sauces. Le grec Archestrate, au V° siècle avant notre ère et le romain Apicius au 1° siècle de notre ère nous ont laissé des recettes de sauces qui associent le plus souvent l'huile d'olive, le garum (essence d'entrailles de poissons fermentées au soleil), le vinaigre, le vin, le miel ainsi que des épices (surtout le poivre et souvent le laser) et des herbes pilées. Le moyen âge fut l'âge des épices : ces sauces étaient acides (par la présence de vinaigre, de moutarde ou de verjus) liées à la mie de pain et aux amandes pilées, le plus souvent sans beurre, au saindoux, au lard, ou à l'huile, et des herbes (surtout chez les pauvres) et des épices omniprésentes à la table des riches et des nobles : le poivre (noir ou blanc), le gingembre, la cannelle, les clous de girofle. Certaines nous ont laissé leur nom, colligées dans « Le viander de Taillevent » ou « Le ménagier de Paris » au XIV° siècle : la sauce cameline, la sauce de trahyson, la sauce verte, la sauce jaune (au poivre blanc), la sauce moutarde ou galantine. Ces sauces étaient souvent aigres-douces comme les sauces antiques. L'importance des sauces à cette époque fut telle que l'on créa une corporation des maîtres sauciers, issue de la puissante corporation des vinaigriers ! Le terme et la fonction se sont maintenus, et il existe toujours des sauciers dans les brigades des grands restaurants.



Si la Renaissance poursuivit les modes médiévales, le XVII° siècle vit la création des sauces modernes, notamment avec la diffusion du beurre, jusqu'alors peu utilisé : on inventa les liaisons à la farine, les roux et les réductions à la chaleur par une cuisson lente et prolongée qui concentrait les arômes, ainsi que les bouillons, les fumets de poisson et les fonds de sauce. De cette époque datent les roux, popularisés par La Varenne, la sauce Béchamel du nom de M. de Béchameil, marquis de Nointel, financier frauduleusement enrichi pendant la Fronde et qui avait acheté la charge de maitre d'Hostel du Roi, et la sauce Robert. Le XVIII° siècle inventa les sauces hollandaise, mayonnaise (peut-être due au cuisinier du Maréchal de Richelieu, qui affirmait que « l'on ne savait pas manger avant le règne de Louis XV), la sauce Soubise avec sa purée d'oignons réduite (due au cuisinier de ce prince, aussi bon gastronome qu'homme de guerre calamiteux). Le monde des sauces devenait complexe et Menon dans La Cuisinière Bourgeoise, grand succès de librairie du XVIII° siècle en détaille plus de trente dont la sauce à la marquise piquante, la sauce à la ravigote, la sauce à la poivrade et la sauce bachique.



Puis vint le grand Carême qui théorisa les sauces à l'aube du XIX° siècle : Antonin Carême distingua les sauces chaudes et les sauces froides et les sauces mères ou capitales à l'origine de nombreuses autres sauces : les quatre sauces chaudes capitales de Carême sont : l'espagnole, l'allemande (ainsi nommées par la couleur de cheveux de ces peuples) et la Béchamel et le velouté. La sauce espagnole est une réduction prolongée de fond de veau brun additionnée de jambon, de petits légumes, et de porto ou de madère : en sont dérivées les sauces porto, bordelaise, Robert, Godard, Sainte-Menehould, etc... Les sauces blanches sont à base de lait (Béchamel) ou de velouté (sauce allemande de Carême): à la Béchamel se rattachent les sauces aurore, Mornay (du nom du duc de Mornay, dandy du Paris de Charles X), Choron (du nom du cuisinier qui apprêta les animaux de la ménagerie lors du siège de Paris en 1870) . Et à la sauce allemande, les sauces Albufera, Villeroy, ivoire, poulette et les sauces au fumets de poisson (cardinal, normande). Les sauces chaudes émulsionnées sont la hollandaise, la béarnaise (crée au début du XIX° siècle au Pavillon Henri IV à Saint-Germain en Laye !). Les sauces froides ne sont pas moins nombreuses : la mayonnaise, les vinaigrettes (dont la sauce vierge), les sauces froides à la crème sans oublier la rémoulade, l'aïoli, la gribiche, la tartare, etc... Jules Gouffé et surtout Auguste Escoffier poursuivirent le travail de rationalisation d'Antonin Carême, et Auguste Escoffier dans son Guide Culinaire au tournant des XIX° et XX° siècles, ne décrit pas moins de 200 sauces. Puis tout se figea dans la cuisine bourgeoise et dans la cuisine des palaces jusqu'à la révolution de la Nouvelle Cuisine.



En 1972, Henri Gault et Christian Millau, sur les conseils de chefs jeunes et déjà prestigieux (Michel Guérard, Fernand Point, Paul Bocuse, les frères Troisgros, etc...) publièrent un manifeste pour une Nouvelle Cuisine, bannissant les fonds perpétuels, les roux, les sauces banches et brunes. Joël Rebuchon définit les nouvelles sauces : « (une sauce moderne) peut être un jus très réduit où l'on introduit une matière grasse (du beurre ou de la crème) que l'on mixe pour obtenir une émulsion.» La mode est que souvent aussi, certains désormais, pour ne pas grossir, refusent les sauces, ce qui est un bien grand sacrifice gustatif !



L'histoire des sauces est une histoire complexe, en rapport avec les progrès de la gastronomie au cours des âges. Les sauces ont pu être considérées comme un élément de la civilisation. Ainsi Talleyrand différenciait ainsi la France de l'Angleterre : « Il y a en France 360 sauces et trois religions, et en Angleterre, trois sauces et 360 religions ». Le mot de la fin revient à l'écrivain et humoriste américain Ambrose Bierce dans son Dictionnaire du Diable paru en 1911 à l'article sauces : « Seul indice infaillible de civilisation et de lumière. Un peuple sans sauce aucune a mille vices ; un peuple nanti d'une sauce n'en a plus que neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. Pour chaque sauce inventée et acceptée, un vice est abandonné et pardonné ». Il poursuit en définissant ainsi la mayonnaise : « Une des sauces qui servent aux Français de religion d'État ».


Dr Jean VITAUX.



Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en

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