Nostradamus : des centuries prophétiques au traité des confitures

La chronique « Histoire et gastronomie » de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Quand on évoque Nostradamus, on pense plus au mystérieux astrologue prophétique qu’à l’amateur de confitures. L’un n’empêche pas l’autre, nous révèle le docteur Jean Vitaux, gastronome attitré de Canal Académie, qui en profite pour nous retracer ici la douce histoire des sucreries.

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr593
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Nostradamus, de son vrai nom Michel de Nostredame, est de nos jours surtout connu pour ses célèbres prophéties, déclinées en quatrains ou « centuries », que l'on réédite régulièrement et que l'on réinterprète en les mettant au goût du jour. La plus célèbre de ces centuries est sans conteste celle qui a prédit la mort du roi Henri II, blessé à l'œil et au cerveau par la lance de Montgomery en 1559 lors d'une joute au cours d'un tournoi, à Paris, et qui en mourra malgré les soins d'Ambroise Paré.
Ce médecin, qui avait latinisé son nom dans le goût du temps (Nostra-Damus), comme le célèbre médecin allemand Paracelse, mélangeait les genres, de l'astrologie, alors encore considérée comme une science, à la médecine, et à la gastronomie, puisqu'on lui doit en 1555 un des premiers livres imprimés en français sur les confitures.

Il peut paraître étrange qu'il ait fallu attendre le XVIe siècle pour que l'on écrive sur les confitures : c'est que le sucre était un produit nouveau et cher qui ne commença à se répandre qu'à la Renaissance. Le sucre ancien était issu de la canne à sucre originaire de la Nouvelle-Guinée. Il se répandit avant notre ère en Inde, où il fut découvert par les soldats d'Alexandre le Grand dans la vallée de l'Indus en 326 avant notre ère, qui parlèrent « du roseau qui donne le miel sans le secours des abeilles ». Pline nous dit que Néron goûta « un sel indien semblable au sel ordinaire comme forme et couleur, à la saveur du miel ». Il fut utilisé par le médecin Galien comme un médicament, ce qu'il resta pendant tout le moyen âge.
Raffiné par les Sassanides, puis implanté par les arabes en Égypte, il fut ramené en Europe par les croisés au XIIe siècle qui en introduirent la culture à Chypre en 1291 après la chute de Saint-Jean d'Acre. Les Vénitiens s'emparèrent du commerce du sucre, comme de tout ce qui était lucratif, et plantèrent la canne à sucre en Crète (d'où le sucre candi du nom ancien de l'île, Candie) et en Sicile. Mais le principal producteur du bassin méditerranéen demeurait l'Égypte. Malgré tout, le sucre demeurait un produit de luxe fort cher que l'on enfermait avec les épices dans les armoires fortes des châteaux.
Les Portugais au XVe siècle en plantèrent à Madère et aux Canaries, et dès le début du XVIe siècle des cultures industrielles de canne à sucre furent plantées en Amérique et aux Antilles, ce qui assura plus tard les beaux jours du commerce triangulaire. Avant cette époque, le miel remplaçait le sucre, et l'on n'ose imaginer ce qu'étaient les gâteaux de ces époques reculées où il n'y avait ni sucre, ni beurre (il se répandra aussi seulement à la Renaissance), mais seulement de la farine, des oeufs et du fromage blanc. De même les confiseries étaient rares, et consistaient surtout en des fruits conservés dans le miel ou le vin ; les compotes macérées au miel, parfumées et bouillies étaient un grand classique de la cuisine médiévale. Cependant les dragées avaient été inventées à Verdun vers 1200. Au XVIe siècle, le sucre devint donc un produit plus accessible, moins rare et moins cher, et l'ère des douceurs et des pâtisseries pouvait commencer.

Le petit traité de Nostradamus s'intitule : « Excellent et moult utile opuscule à tous nécessaire, qui désirent avoir connaissance de plusieurs exquises recettes ». Son auteur se présente comme « docteur en médecine de la Ville de Salon en Craux en Provence », actuelle Salon de Provence. Ce qui n'est pas surprenant, car Michel de Nostredame détaille les propriétés thérapeutiques - réelles ou supposées - de ces recettes. Il reste en cela un disciple de Galien et des médecins anciens qui considéraient le sucre comme un médicament. Il utilise largement dans ses recommandations médicales, les préparations à base de gingembre, de courges (nouveautés du nouveau monde) et de racines de buglosse. Et il les utilisait à la fois en les faisant ingérer et comme topiques locaux sur la peau ! Au début du 16e siècle, Olivier de Serres disaient que les confitures « sustentent beaucoup les bien portants, mais leurs précieux goûts et facultés réconfortent et réjouissent les malades ».
Il est amusant de citer les indications thérapeutiques de l'écorce de buglosse confite, qui est « une confiture cordiale qui préserve le personnage de devenir hérétique ou hydropique, et tient le personnage joyeux et allègre, chasse toute mélancolie, retarde la vieillesse, fait bonne couleur au visage, entretient l'homme en santé, préserve l'homme cholérique »... vaste programme ! L'idée que le sucre protégeait des hérésies provient sans doute des préceptes des imams musulmans qui soutenaient que qui aimait le sucre et les douceurs aimait Dieu.

Mais Nostradamus n'a pas oublié la gastronomie. Il est à la fois un adepte des méthodes anciennes et des produits nouveaux comme le sucre : il nous propose des recettes de confitures au sucre, au miel et au vin cuit. Tout fut en fait inventé à Venise, centre européen de commerce du sucre : on y faisait déjà des gelées, des confitures, et Nostradamus nous parle en particulier d'une gelée de guignes, « qui est aussi claire et vermeille comme un fin rubis, et de bonté, saveur et vertu excellentes, que les guignes se conserveront longuement en perfection, sans y rien ajouter que le fruit ». Ses recettes nous paraissent modernes car il limitait le sucre à deux parts pour sept de fruits, ce qui est redevenu à la mode depuis les préceptes contemporains de diététique : cependant, de telles proportions correspondaient sans doute plus à des préceptes d'économie (car le sucre était cher) que de diététique.

À partir de cette époque, les inventions de douceurs se multiplièrent : les fruits confits, d'origine italienne, trouvèrent leur cité d'adoption en France à Apt, en raison de l'abondance des vergers provençaux. De même le nougat se fixa à Montélimar au XVIIe siècle, mais il avait été inventé en Andalousie au XIIe siècle par les confiseurs mozarabes. La praline fut inventée par Lassagne qui était le chef d'office du duc de Choiseul, comte du Plessis Praslin, qui s'installa à Montargis en 1630 et qui y fit fortune en vendant des pralines, baptisées en l'honneur de son ancien maître, dans sa pâtisserie du Roy. Le Cotignac, à base de coings, de vin, de miel et d'épices fut créé à la même époque à Brignoles, avant de devenir de nos jours des pâtes de coings présentées dans le Gâtinais et l'Orléanais dans des boites à l'effigie de Jeanne d'Arc. Les pistoles de Brignole sont par contre de petits pruneaux, apparus au XVIe siècle, comme les pruneaux de Touraine, puis les pruneaux d'Agen crées dans l'abbaye de Clairac.

Quoi qu'il en soit, Michel de Nostredame gagna les faveurs de Catherine de Médicis qui lui accorda ses faveurs et l'invita à sa cour. Catherine de Médicis était une femme à la personnalité complexe qui accordait un grand intérêt à l'astrologie, comme en témoigne encore la colonne de la Bourse du Commerce, seul témoin préservé de l'ancien hôtel de la Reine, mais qui était aussi une grande mangeuse, qui faillit mourir d'indigestion en 1577 lors de la nuit de Chenonceceaux, ayant abusé de béatilles (ris d'agneaux) et de culs d'artichauts, comme le rapporte Pierre de l'Estoile. Pensons que Catherine de Médicis fut autant séduite par les confitures de Michel de Nostredame, que par les qualités médicales ou surtout les prophéties de Nostradamus !

Texte du docteur Jean Vitaux.

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en

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