La campagne de Russie (2/4) : le repli de l’armée russe

Marie-Pierre Rey revient sur la stratégie russe du repli, non pas improvisée mais bien réfléchie !
Avec Laëtitia de Witt
journaliste

Dans le cadre de notre série sur la campagne de Russie, Marie-Pierre Rey, professeur d’histoire russe et soviétique, s’intéresse à un aspect jusque là négligé par l’historiographie française, la stratégie russe du repli. N’est-elle qu’un recul devant un adversaire jugé supérieur ou répond-elle à une réflexion du haut commandement ? Au regard des personnalités et des écrits des trois chefs russes que sont Barclay de Tolly, Koutouzov et le tsar Alexandre Ier, le doute n’est plus permis. Ecoutez Marie-Pierre Rey, auteur de L’effroyable tragédie, présenter une stratégie russe pesée et réfléchie !

Émission proposée par : Laëtitia de Witt
Référence : hist742
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- Dès 1810, un conflit entre Napoléon et Alexandre Ier paraît certain. C’est dans cette perspective, qu’en janvier 1810, le tsar nomme Michel Barclay de Tolly, ministre de la Guerre. Né en 1761, d’origine écossaise, il a intégré l’armée russe à 15 ans. Promu lieutenant-général au lendemain d’Eylau, il est apprécié par Alexandre qui reconnaît sa droiture, son honnêteté et son dévouement entier à l’Empire russe. A sa nomination, Barclay de Tolly prend un certain nombre de mesures pour pallier aux faiblesses de l’armée russe. Il en augmente les effectifs, en revoit l’organisation tout en se souciant de l’état général de ses troupes. En même temps, il prend part au débat qui s’engage dans l’entourage d’Alexandre Ier sur la stratégie à mettre en œuvre face à Napoléon. Il se prononce pour une stratégie défensive et mentionne déjà l’idée d’une retraite vers l’Est, quitte à abandonner la Lituanie et la Biélorussie pour mieux défendre le cœur de l’Empire.

- A l’aube de l’entrée de la Grande Armée sur le territoire russe, Barclay de Tolly se voit confier par le tsar le commandement direct de la Première armée positionnée dans la région de Vilnius, en Lituanie. Le 24 juin 1812, la Grande Armée de Napoléon franchit le Niemen. Dès le 26, Barclay de Tolly ordonne le repli. On s’aperçoit alors que le principe de la retraite face à un ennemi numériquement supérieur avait été envisagé en amont par Barclay et Alexandre. N’en déplaise à l’historiographie française, cette décision n’est pas improvisée. Le 30 juin, la Grande Armée pénètre dans Vilnius. Elle trouve une ville abandonnée par Barclay qui avait pris soin de faire détruire moulins et entrepôts. Le repli de l’armée russe vers le camp de Drissa est aussitôt critiqué par une partie des officiers, critiques à l’encontre de Barclay qu’ils qualifient d’étranger. Certains vont jusqu’à faire courir le bruit qu’il serait à la solde de Napoléon. En réalité, l’aristocratie terrienne désapprouve profondément la tactique de la terre brûlée et l’esquive du combat. Sous la pression de son entourage, le tsar pousse Barclay de Tolly à l’initiative. Un combat d’arrière-garde a ainsi lieu près de Vitebsk. Même s’il ne s’agit pas d’une bataille décisive, les opérations tournent à l’avantage des français. Les russes abandonnent Vitebsk où Napoléon fait son entrée le 28 juillet, dans une ville à nouveau vide. Le choix du repli russe oblige Napoléon à poursuivre vers l’Est. Avec des approvisionnements de plus en plus difficiles, des pertes déjà lourdes en raison de mauvaises conditions sanitaires et physiques, Napoléon s’interroge sur la marche à suivre. Ne faut-il pas rentrer ? Il lui faut pourtant cette victoire décisive sur Alexandre, il décide ainsi de poursuivre. Smolensk doit lui offrir l’opportunité de prendre l’armée russe à revers. Il n’en est rien. Certes, la Grande Armée s’empare de Smolensk (17-18 août) mais dans des conditions difficiles et en laissant Barclay et son armée échapper.

- Du côté russe, la perte de la ville sainte de Smolensk sème la panique et atteint le moral des troupes. Les accusations des officiers, en particulier de Bagration, à l’encontre de Barclay et de sa tactique deviennent insoutenables. Au lendemain de la bataille de Smolensk, le tsar convoque un « comité extraordinaire » chargé de démettre Barclay de ses fonctions de commandant en chef et de lui trouver un successeur. Koutouzov est choisi. Cette décision est pénible pour Alexandre qui appréciait Barclay et qui déteste Koutouzov. On est loin du portrait mythique qu’en a laissé Tolstoï. A 67 ans, borgne, obèse et de mœurs légères, Koutouzov a une longue carrière militaire derrière lui. En 1805, il commandait l’armée austro-russe à Austerlitz et s’était même vu imputer la responsabilité de la défaite. Toutefois, charismatique, courageux et surtout russe, il est en position de cimenter l’armée russe. Or, dans une guerre qui se mue en guerre patriotique, c’est essentiel. Ironie de l’histoire, Koutouzov ne remet pas en cause la politique de retraite comme il le montrera au soir de la bataille de Borodino en ordonnant le repli de son armée qui laisse Moscou sans défense.

Pour en savoir plus :
- Marie-Pierre Rey, L’effroyable tragédie. Paris, Flammarion, 2012.

Présentation de l'éditeur
- "Notre division était anéantie; ne pouvant avancer par la route,
je passais par les champs où s'entassaient derrière moi des
hommes et des chevaux blessés et mutilés, dans un état des
plus horribles. Décrire ces horreurs est au-dessus de mes
forces." Sous la plume du lieutenant Andreev, qui en 1812
combattait, tout jeune homme, dans les rangs de l'armée russe,
l'atroce bataille de la Moskova se dérobe. Comment saisir ce
que fut la campagne de Russie pour ceux qui la vécurent ?
Proposer pour la première fois une histoire humaine, totale, de
la guerre qui opposa l'Empire français à l'Empire russe, en
s'appuyant sur des sources jusque-là négligées et des
matériaux d'archives inexplorés: tel est l'objet de ce livre. Les
sans-grade, civils ou simples soldats, y tiennent le même rang
que les héros de guerre; la voix du peuple russe s'y mêle à
celle des grognards de la Grande Armée, pour éclairer d'un
jour nouveau l'affrontement des deux géants qui déchira
l'Europe.

Notre invitée :
- Marie-Pierre Rey, professeur d'histoire russe et soviétique à
l'université Paris 1-Sorbonne, est aussi l'auteur d'une biographie
d'Alexandre 1er (Flammarion, 2009) qu’elle était venue présentée au micro de Canal Académie.

- Ecoutez les autres émissions de la série :
-La campagne de Russie : Jean Tulard explique Borodino, la Moskowa et la Bérézina (1/4)
-La campagne de Russie (2/4) : le repli de l’armée russe
-La campagne de Russie : L’incendie de Moscou (3/4)
-La campagne de Russie (4/4) : la retraite tragique

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