Nicolas Fouquet, le « coup de majesté » de Louis XIV et la fête de Vaux-le-Vicomte du 17 août 1661

avec l’historien Yves-Marie Bercé, membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres
Yves-Marie BERCÉ
Avec Yves-Marie BERCÉ
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Après des semaines de préparation fébrile, arriva le grand jour : le 17 août 1661, Fouquet vit s’arrêter le carrosse du roi devant la grille de son château de Vaux-le Vicomte. Ce fut la fameuse fête qui resta associée à la chute spectaculaire du surintendant des finances. Trois semaines plus tard, en effet, Fouquet fut arrêté à la sortie du conseil, à Nantes où se trouvaient le roi et la Cour. Yves-Marie Bercé, de l’Académie des inscriptions et belles lettres, évoque « l’affaire Fouquet », le procès le plus retentissant de l’Histoire de France. Pourquoi une telle postérité historiographique et romanesque ? Fouquet fut-il réellement coupable ou victime de la jalousie de ses nombreux ennemis ?

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist654
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_ Nicolas Fouquet (Paris 1615 - Forteresse de Pignerol 1680), personnage brillant, séducteur et ambitieux, à l'intelligence aiguisée et aux multiples talents, suscita admiration et détestation. Ce ministre fastueux, accusé d'avoir puisé dans les caisses de l'État, ne pouvait que se heurter à l'autorité naissante du jeune Louis XIV.

Mazarin et Fouquet

Les besoins de la guerre avec l'Espagne, qui durait depuis trente ans, imposaient une pression fiscale considérable, augmentée tous les ans. Le total des revenus fiscaux du royaume passa de 130 000 000 de livres en 1653 à plus de 160 000 000 de livres en 1659-1660. Les intendants recoururent sans scrupules à la petite guerre menée contre les taillables par les fusiliers de la taille.

Le cardinal Mazarin

Mazarin confia en février 1653 la surintendance des finances à un vieux diplomate, Abel Servien, et à un homme nouveau, Nicolas Fouquet, resté seul en charge après la mort de Servien en février 1659. Nicolas Fouquet, né dans une famille de magistrats parisiens, maître des requêtes à vingt ans, fut remarqué par Mazarin. Il avait acquis en 1650 la charge de procureur général du Parlement de Paris qui lui avait permis d'être utile au cardinal-ministre.
Les années 1656-1657 furent particulièrement difficiles. Les échecs des offensives françaises sur les fronts du Piémont et des Flandres firent revenir les conditions insurrectionnelles de 1648. Révoltes populaires et prises d'armes de gentilshommes provinciaux reprirent dans la majorité du territoire : quatorze provinces réclamèrent la réunion des États généraux et la fin du terrorisme fiscal. Fouquet, principal ministre et responsable de la politique intérieure de Mazarin, soutint une politique de répression fiscale qui le fit détester par l'opinion populaire.
En 1658, tout changea. La victoire de Turenne aux Dunes, près de Dunkerque, obligea les Espagnols à négocier. La guerre était finie et gagnée (paix de Pyrénées en 1659, puis mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, l'infante d'Espagne). L'allégresse générale fut d'autant plus grande que Mazarin mourut le 9 mars 1661. On lui reprochait - entre autres accusations - son énorme fortune, accumulée depuis 1653, en partie grâce à Fouquet son homme d'affaires.

Nicolas Fouquet

Nicolas Fouquet fut le bouc-émissaire qui paya pour Mazarin, à plusieurs titres : au mécontentement fiscal dont le roi était bien conscient, à l'enrichissement considérable du surintendant des finances pendant les années Mazarin et à la décision du jeune monarque, enfin délivré de la tutelle du cardinal, son père adoptif, d'assumer seul le pouvoir, s'ajoutait l'irritation du souverain contre les ragots concernant les amours prétendues d'Anne d'Autriche et son 1er ministre. Yves-Marie Bercé précise encore : « sans faire de la psychanalyse à bon marché, c'est un peu le meurtre du père et de l'amant fantasmé de la mère - “fantasmé” car c'est dans l'imaginaire bien sûr ! Quoi qu'il en soit, on a de nombreux éléments qui prouvent que Louis XIV en fit une affaire personnelle. »
Le procès de Fouquet, achevé en 1664, se termina par un emprisonnement à vie. L'injustice était flagrante mais toute l'affaire avait été bien accueillie par l'opinion (du moins au début), la mémoire détestée de Mazarin s'estompant avec ce simulacre de justice.
Deux mois après la mort de Mazarin, le roi conçut la chute à terme du surintendant, sur les conseils de Colbert.

Fouquet corsaire et Belle-Ile-en-Mer

Un autre aspect qui pouvait paraître redoutable - à tort ou à raison - dans les comportements de Fouquet fut son intéressement dans les problèmes maritimes et coloniaux. Son père, actif dans les années 1637-1640, avait investi ses moyens dans les toutes premières compagnies maritimes engagées dans des expéditions commerciales au-delà des océans. Nicolas Fouquet hérita de ces compagnies de commerce et continua le trafic avec la Nouvelle France (Caraïbes, Martinique, Guadeloupe), le Sénégal et jusqu'à l'Océan indien.
En 1658, il acheta la seigneurie de Belle-Ile-en-Mer qu'il fortifia. Il s'intéressa aussi au golfe du Morbihan, à la citadelle de Concarneau, au pays Nantais et à l'Ile d'Yeu. Ces places maritimes lui avaient été concédées par Mazarin.
Il arma en course une importante flotte de guerre, sous pavillon portugais. Ce pavillon lui permit d'attaquer non seulement les navires espagnols - ce qui aurait été légitime - mais aussi des bateaux hollandais supposés en paix et même alliés du roi de France.
Sur la façade atlantique, la Bretagne et le Poitou en particulier, il sembla dessiner une sorte de plan de refuge en cas de perte de confiance du cardinal ou du roi.
Au printemps 1661, le surintendant fut, effectivement, inquiet. Il se demanda: « Quel est l'État qui pourrait oser m'offrir un refuge en exil ? La République de Venise ? La Toscane ? Le port de Livourne ? ».
Inquiétude fondée : sa perte était déjà programmée. La féérie de Vaux-le-Vicomte le 17 août 1661 ne fut pas l'élément détonateur de la colère du roi.

« ...Vaux ou le songe d'une nuit d'été » (Paul Morand)

André Le Nôtre

En 1641, Nicolas Fouquet acheta un petit manoir délabré du XIVe siècle à Vaux-le-Vicomte. Il commença des travaux considérables en 1653 quand il devint surintendant. Il fit acheter des terres avoisinantes, raser le vieux village de Vaux, couper des bois, aplanir des collines, creuser un canal, détourner des rivières, amener des adductions d'eau pour les pièces d'eau et les fontaines. Il confia les travaux à Louis Le Vau - architecte du roi -, les décors intérieurs au peintre Charles Le Brun et l'aménagement des jardins à Le Nôtre. Il eut les meilleurs artistes de son temps. De 1656 à 1661 des centaines d'ouvriers travaillèrent tous les jours. En juillet 1661, le domaine de Vaux-le-Vicomte était le comble du luxe et de la beauté.
Quand la fête en l'honneur du roi s'ouvrit au château, les visiteurs furent éblouis par le parc embrasé d'une multitude de lumières et la prolifération des jets d'eau, leur nombre, leur hauteur, qui donnaient l'impression de circuler au milieu d'une allée entourée de murs liquides. Ensuite fut servi un « ambigu » préparé par Vatel. On dressa quatre-vingts tables et une trentaine de buffets et utilisa cent vingt douzaines de serviettes, cinq cent douzaines d'assiettes d'argent, trente-six douzaines de plats et un service complet en vermeil. Après avoir goûté des mets exquis et abondants, la cour retourna au jardin pour assister à la représentation des Fâcheux de Molière. Pièce conçue en quinze jours, apprise en trois, et qui fut la première d'un genre nouveau, la comédie-ballet. Les actes furent entrecoupés de ballets et d'une courante de Lully. Tout s'acheva par un torrentiel feu d'artifice et une naumachie sur le canal éclairé : une machine en forme de baleine s'avança en laissant s'échapper des pétards fumigènes.
D'après certains invités Louis XIV considéra ces magnificences avec un visage impénétrable.
Il aurait dit à sa mère dans le carrosse du retour: « Ah! Madame, est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à tous ces gens-là ? »

Vaux-le-Vicomte

Le coup de majesté ou coup d'État royal

Yves-Marie Bercé explique que les annales des États de l'âge moderne offrent un certain nombre d'anecdotes où le souverain lui même se voit contraint de recourir aux artifices du complot pour se tirer d'une impasse politique et pour sauver son autorité. À la tête de son royaume, dans sa propre cour, à l'insu de ses conseillers, le prince est réduit aux voies de la clandestinité, il doit échapper au regard public, il doit quitter les voies normales du gouvernement, changer la logique de ses ordonnances, mépriser les fonctions ordinaires de ses officiers et magistrats et paraître subvertir le train de son propre État. En silence et secret, avec l'aide d'une poignée de compagnons obscurs, le prince conspire. Il ourdit la trame d'un coup d'État qui doit éclater brutalement à un certain jour dit, provoquant alors la stupeur des témoins et la déroute de ceux qui avaient entravé son autorité légitime.

Louis XIV en 1661 par Le Brun

Que le roi étonne l'opinion par la force, la hardiesse et la promptitude d'une décision inattendue serait appelé, dans la langue du XVIIe siècle, un coup de majesté. Lorsque le jeune Louis XIV s'assura la maîtrise de ses finances en faisant arrêter son surintendant il choisit la force de la surprise à celle de la loi.
Les témoins du coup de théâtre du 5 septembre 1661 comprirent, médusés (Anne d'Autriche la première !) que le gouvernement personnel de Louis XIV commençait.
L'opinion applaudit l'exploit du jeune prince, les correspondants de l'époque parlèrent d'un « coup de maître ». Fouquet ne devint une victime que plus tard, pendant son procès où il se défendit pied à pied contre les accusations improbables et circonstancielles.

L'orchestration de la chute de Fouquet

D'Artagnan et ses mousquetaires chargés de l'arrestation puis de l'escorte du surintendant veillèrent à ce qu'il ne communiquât avec personne et qu'il ne pût rien écrire. Il fallut aussi le protéger, sur le parcours de Nantes à Paris, de la foule armée de bâtons et de pierres qui voulait s'emparer du prisonnier dans son carrosse.
Selon la volonté royale, il s'agit de saisir sur le champ les pièces qui témoigneraient, pensait-on, des forfaitures de Fouquet. La découverte par les commissaires royaux de documents ambigus fut bruyamment orchestrée. Les procès-verbaux des scellés mis sur les papiers d'affaires le 8 septembre furent aussitôt imprimés et vendus par les colporteurs. Chaque saisie, chaque interrogatoire de septembre 1661 à mars 1662 furent diffusés. Les pièces enfermées dans des coffres scellés furent emmenées par d'ostentatoires escortes de mousquetaires et des fuites organisées en révélèrent le teneur scandaleuse au public.
On dérogea aux procédures ordinaires. On créa une chambre de Justice dont les commissaires, les magistrats furent désignés arbitrairement par le roi. La mise en scène spectaculaire souhaitée par Louis XIV montra à quel point le roi s'est investi personnellement dans ce procès politique qui engageait les intérêts de l'État et sa réputation.
Orchestré d'une manière intemporelle le procès Fouquet peut résonner à toutes les époques; il devint une sorte d'archétype du procès politique.

La postérité de l'affaire Fouquet

Tout un faisceau d'éléments dramatiques sont éloquents pour toutes les époques : l'aspect, déjà évoqué plus haut, de la proximité du Capitole et de la roche Tarpéienne ; la fidélité des amis ; l'acharnement et la veulerie des gens de robe, des procéduriers, des chicaniers ; l'affrontement de deux clientèles à la cour (celle de Colbert et celle du surintendant) ; les frustrations, la volonté d'émancipation et la cruauté personnelle de Louis XIV (le roi fit preuve, en effet, jusqu'à la mort de Fouquet d'un caractère impitoyable vis à vis de toutes les requêtes adressées en faveur de son prisonnier). Sans oublier l'éternel conflit de générations.
Depuis le XIXe siècle nombreux historiens et romanciers se sont penchés sur le cas Fouquet.
Cet été 2011, à Vaux-le-Vicomte, une fête rappellera celle qui, il y a trois cent-cinquante ans, précéda l'emprisonnement à vie de Nicolas Fouquet.

La génération montante choisit l'absolutisme

Les contemporains de Louis XIV, ceux qui avaient vingt ans en 1658, rejetaient comme la peste les malheurs des guerres civiles, les complots et les émeutes de leurs parents et grands-parents, les désordres d'un passé absurde et tourmenté sévissant depuis cent années, depuis le début des guerres de Religion. On aspirait à un royaume centralisé, à la toute-puissance d'un monarque absolu selon les règles de la raison. L'ère baroque laissa la place à l'ère classique. Ce ne fut pas le fait de Louis XIV. Le souverain ne fut que le plus illustre rejeton de cette génération.

En savoir plus :
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-* Les académiciens racontent l’Histoire : Louis XIV (1/2)
-* Mazarin, Richelieu, Colbert et Sully : les grands serviteurs de l’Etat
-* Mazarin : Richesse d’Etat, Richesse personnelle

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