Événements climatiques extrêmes : comment s’y préparer ? (5/5)

Henri DECAMPS
Avec Henri DECAMPS
Membre de l'Académie des sciences

Comment se « préparer » face aux catastrophes climatiques ?Comment limiter leurs dégâts sur notre environnement ? Réponses dans cette cinquième partie du colloque de l’Académie des sciences consacré aux écosystèmes et évènements climatiques extrêmes. Communications en anglais/français.

Ce colloque de l’Académie des sciences qui s’est déroulé les 4, 5 et 6 juillet 2007 « Ecosystèmes et Evénements Climatiques Extrêmes », s’intéresse à la manière dont les écosystèmes (et les socio-écosystèmes) réagissent à des perturbations rares mais extrêmes de l’environnement.

Le thème central consiste à identifier quelles connaissances acquises ou à acquérir sont nécessaires pour préparer les sociétés humaines aux événements climatiques extrêmes. Les orateurs tirent partie du passé pour évaluer l’influence possible du changement climatique sur l’accroissement de la population mondiale prévu à l’horizon 2050.

Retrouvez sur Canal Académie les cinq angles abordés au cours de ce colloque :
- Événements climatiques extrêmes et société,
- Leçons du passé lointain,
- Réponse des systèmes écologiques aux événements extrêmes,
- Besoin de connaissance,
- Se préparer aux événements extrêmes

Dans cette cinquième partie, retrouvez les interventions de Paul Martin, Serge Planton et Laurent Mermet.

Paul Martin, Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie

Les épidémies : des leçons du passé au dispositif actuel de réponse / Epidemics : lessons from the past and current patterns of response

Le terme épidémie (du Grec epi– sur – et dêmos– peuple), utilisé depuis Homère, a trouvé son sens médical chez Hippocrate qui en fit le titre de l’un de ses traités. A cette époque le mot désignait
des syndromes (« les toux » ou « les diarrhées ») se propageant pendant une période donnée dans un lieu donné. La succession des épidémies de peste au Moyen-Age a contribué à définir une
épidémie comme la propagation d’une même maladie bien identifiée. Au XIXe siècle, la microbiologie a fait encore évoluer le mot. L’exploration des génomes, à la fin du XXe, a permis une
nouvelle évolution sémantique. Aujourd’hui, on peut dire qu’une épidémie est une augmentation limitée dans le temps et dans l’espace du nombre de cas d’une maladie infectieuse déterminée, due à un agent pathogène le plus souvent unique et le plus souvent clonal, dont l’expansion dans une population d’hôtes susceptibles est fonction de facteurs environnementaux propres à chacune de ces
populations. C’est un processus dynamique impliquant trois « acteurs » :
- la population d’hôtes
- la population d’agents pathogènes
- leur environnement.
Ce sont les trois points cardinaux du « triangle épidémique ».

Au fil des siècles, les hommes ont compris ces différents aspects des épidémies et ont essayé de les combattre. Ils ont compris le rôle que les voyages, échanges commerciaux et humains, jouaient dans la propagation des maladies infectieuses épidémiques. Les premiers lazarets et quarantaines furent créés dans les ports de la Méditerranée.

La première conférence internationale sur les épidémies se réunit à Paris en 1851 et continua à se rassembler régulièrement jusqu’à la création de l’Office International d’Hygiène Publique (OIHP), créé en 1907, dont le rôle était de proposer des directives de lutte contre les épidémies. En 1918, le Comité d’Hygiène de la SND vient renforcer le dispositif. L’OIHP et ce dernier seront réunis en 1948, après la deuxième guerre mondiale, pour former l’OMS qui, en 1951, promulgue le premier Règlement Sanitaire International.
Aujourd’hui l’OMS et la plupart des pays développés ont mis en place un système d’alerte et de lutte contre les épidémies. Le Réseau Global d’Alerte et de Réponse aux Epidémies, ou GOARN, mis en place par l’OMS en avril 2000, établit une collaboration technique entre les institutions et les réseaux existants, qui ont mis en commun leurs ressources humaines et techniques pour rapidement identifier,
confirmer et répondre aux épidémies d’importance internationale. Le GOARN fournit un cadre opérationnel permettant à la communauté internationale de rester constamment en alerte vis-à-vis des menaces épidémiques. Pour ses interventions, l’OMS s’appuie sur les autorités nationales chaque fois qu’elle le peut, mais aussi sur des Organisations Non Gouvernementales comme Médecins Sans Frontières ou Epicentre.

L’institut Pasteur à Paris fut fondé par décret le 4 juin 1887


L’Institut Pasteur à Paris, comme le CDC à Atlanta, participent depuis 2000 au GOARN dans leurs domaines de compétences. L’Institut Pasteur de Paris a créé en 2002 la CARE (Cellule d’Alerte et de Réponse aux Epidémies), laquelle a donné naissance à une structure plus opérationnelle, la CIBU, Cellule Intervention Biologique d’Urgence.

La menace actuelle la plus extrême en matière d’épidémie est celle de la grippe aviaire, dont on craint qu’elle ne devienne rapidement pandémique et ne menace la vie de plusieurs millions de personnes.
La plupart des pays du monde, grâce à l’appui de l’OMS, se sont mobilisés et ont mis en place un « Plan de Lutte contre le risque de Pandémie Grippale », qui associe un système d’alerte précoce,
une identification rapide du virus en cause, une collaboration étroite entre les services, institutions et organisations chargés de la surveillance de l’avifaune sauvage ou d’élevage, et de la santé humaine,
ainsi que les services hospitaliers publics et privés. Ainsi, les nombreuses introductions du virus grippal aviaire H5N1 dans des pays aussi différents que l’Egypte, la Grande Bretagne, le Nigeria, la
Chine ou la Roumanie ont pu être jusqu’à maintenant rapidement contrôlées. C’est un exercice très utile pour le jour où, malheureusement, c’est un virus non plus aviaire, mais un virus recombinant très contagieux pour l’homme, qui sera introduit.

Le cas des introductions du virus de la Dengue dans des pays où tout est en place pour sa diffusion sur le mode épidémique fournit un autre exemple intéressant pour la prévention des épidémies dues à un agent pathogène à vecteur.

The term epidemic (from the Greek: epi– on – and dêmos– people), first used by Homer, took its medical meaning when Hippocrates made it the title for one of his treatises. At that time, epidemic was the name given to a collection of syndromes (« coughs » or « diarrhoeas »), occurring and propagating in a given period at a given location. Successive epidemics of plague in the Middle Ages
contributed to the definition of an epidemic as the propagation of a single, well-defined disease. The meaning of the term continued to evolve during the 19th century with the advance of microbiology.
Towards the end of the 20th century, research into genomes brought about a further semantic evolution. Today, an epidemic may be defined as a temporally and spatially limited increase in the number of cases of a specific infectious disease, caused by a pathogen that is usually unique and usually clonal, whose spread in a susceptible host population is governed by environmental factors specific to each such population. Another definition is an increase in observed cases versus expected
cases. It is a dynamic process involving three “players”: the host population, the pathogen population and their environment. These are the three cardinal points of the «epidemic triangle».

Over the centuries, researchers have reached an understanding of these varying aspects of epidemics and have tried to combat them. The role played by travel, trade and human exchanges in the propagation of epidemic infectious diseases has been understood. The first lazarettos and quarantine hospitals were founded in the Mediterranean ports. The first international conference on epidemics was held in Paris in 1851 and meetings were convened regularly until 1907, when the Office
International d’Hygiène Publique (OIHP) was created and given the task of advancing ways of combating epidemics. In 1918, the SND Health Committee brought additional support, joining ranks with the OIHP in 1948, in the aftermath of the Second World War, to form the World Health Organization. The first International Sanitary Regulations were adopted by the WHO in 1951.

An early warning system to combat epidemics has now been implemented by the WHO and most of the developed countries. The Global Outbreak Alert and Response Network (GOARN), set up by the
WHO in April 2000, is a technical collaboration between existing institutions and networks which pool their human and technical resources for the rapid identification, confirmation and response to
outbreaks of international importance. The Network provides an operational framework to link this expertise and skill to keep the international community constantly on the alert and ready to respond to
threatened outbreaks. In taking action, the WHO relies on support from national governments whenever it can but also counts on Non Governmental Organizations such as Médecins Sans Frontières or Epicentre. Since 2000, the Institut Pasteur in Paris and the CDC in Atlanta have actively contributed to GOARN in their specialized fields. In 2002, the Paris Institut Pasteur created the Epidemic Alert and Response Unit (CARE – Cellule d’Alerte et de Réponse aux Epidémies), which in turn gave birth to a more operational structure, the Emergency Biological Intervention Unit (CIBU - Cellule Intervention Biologique d’Urgence). Avian influenza currently constitutes the most deadly epidemic threat, with fears that it could rapidly reach pandemic proportions and put several thousands of lives in jeopardy. Thanks to WHO support, most of the world’s countries have mobilised and implemented an “Action Plan for Pandemic Influenza” which combines an early warning system, rapid identification of the guilty virus, close
collaboration between departments, institutions and organizations responsible for monitoring wild or domestic birds and public health, together with the public and private hospital sector. As a result, most
outbreaks of the H5N1 avian flu virus in such widely differing countries as Egypt, Great Britain, Nigeria, China or Rumania have so far been speedily contained. It is excellent practice for the day when a virus emerges which is not avian but, unfortunately, a recombinant virus highly contagious to humans. Cases of dengue virus introduction in countries possessing every circumstance required for its epidemic spread provide another example pertinent to the prevention of epidemics caused by vectorborne pathogens.

Serge Planton, Météo-France, Centre National de Recherches Météorologiques

Impacts du changement climatique sur les évènements climatiques extrêmes / Expected Impacts of climate change on extreme climate events

La question des effets du changement climatique d’origine anthropique sur les évènements climatiques extrêmes n’a pu être abordée que relativement récemment, en raison de la nécessité de développer des outils méthodologiques appropriés. Après avoir évoqué les toutes premières études conduites sur le sujet, Serge Planton présentent certains des résultats les plus marquants dernièrement publiés par le GIEC, concernant les impacts attendus sur l’ensemble de la planète pour des évènements tels que les vagues de chaleur, les sécheresses, les pluies intenses ou les tempêtes. À l’échelle de la France, la question des évènements climatiques extrêmes a été très récemment abordée dans le cadre d’un projet du programme national de recherche « Gestion et Impacts du Changement climatique ». Serge Planton détaillent les principaux résultats de cette étude qui conclut notamment qu’il est très probable, qu’à la fin de ce siècle, les vagues de chaleur estivales seront très probablement plus fréquentes, plus longues et plus intenses qu’elles le sont aujourd’hui. Elle permet aussi de conclure qu’il est très probable que les périodes de sécheresse estivale seront plus longues,
mais que les changements concernant la fréquence des vents forts demeurent incertains. Sa communication se termine sur les premiers résultats d’une étude actuellement en cours sur l’impact du changement climatique sur les évènements de pluies diluviennes dans le sud-est de la France, comme un exemple d’étude se situant à la limite des capacités des projections climatique actuelles.

Projection de l’augmentation des températures vers 2085 (moyenne : +3,1°C)


The question of the impact of anthropogenic climate change on extreme climate events was addressed only recently, due to the need for the development of appropriate methodological tools. After a short evocation of the very first studies on this subject, we shall present some key results just published by IPCC, about expected impacts over the globe for such events as heat waves, droughts, intense precipitation or storms. At the scale of France, the question of extreme climate events was very recently addressed within the framework of the French research program on the management and impacts of climate change(GICC). We shall detail the main findings of this study concluding in particular that it is very likely that, at the end of this century, heat waves will be more frequent, longer and more intense than to-day. It also allows to conclude that it is very likely that summer droughts will be longer, but that changes of strong winds frequency remain uncertain. Finally, we shall evoke the first results of an on-going study on the impact of climate change on heavy rain events over South-eastern France, as an example of study at the limit of the skill of current climate projections.

Laurent Mermet, Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts (ENGREF), Paris

Etudier des situations environnementales encore non existantes, pour des gestionnaires à venir : les défis spécifiques du futur en recherche environnementale / Studying environmental
situations that are not yet there, for management by actors still to come: the specific challenges of futures in environmental research

Preparation for extreme events has to be based on studying future events. It thus raises all the difficulties involved in studying systems – ecological, social – that are not yet there, that are not available for study in the same sense that past, or present systems are. Studying such future, latent situations, challenges some of the most pervasive operative rules and basic methods of modern science. As a result, most scientific research chooses past or present systems as its objects.
Nevertheless, over the last three decades some scientists have gradually embarked on the study of future social-ecological systems. The IPCC scenarios, the Millennium Ecosystem Assessment, models and maps of future dwindling fisheries, or modified vegetation distribution, are some of the best known examples of such ventures. They remain quite limited – in number, in scope, in depth of study and in the amount of actual research effort devoted to them -, if compared with research on the past and present, and with the needs of preparing for events to come. This is largely due to the challenges that studying future states of affairs – be them social of “natural” – continues to raise. Identifying these challenges, analysing them, gradually devising ways of overcoming some of them by theoretical and methodological innovations, should be high on the research agenda of the study of social-ecological systems. In this effort, Futures Studies, a field of research and training which has developed over the last 50
years can provide useful resources. The most obvious are methodologies (scenarios, participatory methods) and reference scenarios. But Futures Studies authors have also generated numerous works on the difficulties of studying future states of affairs. In our view, these conceptual clarifications, resulting from vivid debate and experience of working on Futures, may be the most important resource
Futures Studies has to offer here. It is not possible, however, just to transfer directly Futures Studies methods to research on environmental futures. The challenge is to develop new approaches, drawing on resources both from environmental research disciplines and from Futures Studies. Some of these approaches should be interdisciplinary, but others will have to be made in the core disciplines themselves (for instance: in ecology, in political science, etc.).
Indeed, our main argument is that it is not sufficient to make good science (based on past and present) and then discuss futures in loosely knit scenarios for the benefit of decision-makers. The indepth study and scholarly discussion of possible future states and dynamics of systems ought to become part of the core scientific endeavours in the various fields of environmental research. In the presentation, we will describe, based on our research on this issue, some of the stumbling blocks that have to be overcome, and propose some orientations for efforts in that direction.

Écoutez également les quatre autres parties de ce colloque :
- Événements climatiques extrêmes et société (1/5)
- Événements climatiques extrêmes et évolution des espèces (2/5)
- Réponses de systèmes écologiques aux évènements extrêmes (3/5)
- Événements climatiques extrêmes : bilan actuel des connaissances (4/5)

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