Une icône de nativité, présentée par Alain Besançon, de l’Académie des sciences morales et politiques

L’icône reliquaire de Constantinople du XIIe siècle, un joyau du Musée du Louvre
Avec Krista Leuck
journaliste

Canal Académie poursuit sa série sur les nativités, par une représentation originale, une icône-reliquaire de Constantinople du XIIe siècle selon la description du Louvre. Alain Besançon, de l’Académie des sciences morales et politiques, nous décrypte la scène. Spécialiste de l’iconoclasme, l’académicien nous offre une exploration de l’image et de son interdiction dans l’histoire de l’art à travers toutes les civilisations.

Émission proposée par : Krista Leuck
Référence : carr921
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Alain Besançon, historien, philosophe renommé de l’histoire, notamment l’histoire des religions et du monde russe, nous offre tout d’abord une description détaillée de cette icône.
La partie centrale en ivoire est entourée d’un cadre en argent, avec en médaillon des saints. D’après l’académicien, cette icône serait plutôt d’influence occidentale, vénitienne. Une interrogation persiste toutefois si cette icône date du XIIe siècle comme indiqué au Louvre, ou bien du XIIIe siècle après la prise de Constantinople par les Croisés.

Constantinople XIIe siècle  Icône reliquaire de la Nativité
Constantinople, XIe - XIIe siècle (monture)<br /> Venise ?, XIIe - XIIIe siècle (ivoire)<br /> Allemagne, XIVe - XVe siècle (transformation en reliquaire) <br /> Argent doré sur âme de bois, ivoire, corne<br /> H. : 26,30 cm. ; L. : 24 cm. ; Pr. : 30 cm.
Détails de l’ivoire
Photo : krista Leuck


Iconographie et Iconoclasme

Dans la deuxième partie de cette émission, nous entrons dans le monde mystérieux de la querelle des images, de l’iconographie et de l’iconoclasme.
Une icône est un objet de piété, une représentation du divin. Dans quelle mesure a-t-on le droit de représenter dieu ou les dieux ? L’argumentation contre la représentation des dieux est antérieure au christianisme. Pourquoi ?

Alain Besançon, auteur d’un ouvrage clé sur la question – L’Image Interdite – Une histoire intellectuelle de l’Iconoclasme, Fayard, 1994 et Folio, Gallimard, 2000, fait ici une synthèse de la tradition de l’icône dans les religions et de son interdiction, une sorte de théologie de l’image divine.

Le culte des images divines date de l’Antiquité. En Grèce, en Egypte et en Mésopotamie on donnait aux dieux une figure. Ensuite se développe l’hellénisme, la philosophie entre en réflexion sur cette représentation. Ainsi s’ouvre à partir de la philosophie un cycle que la suite va caractériser comme « iconoclaste ».

De Platon à Malevitch

Platon donne à ce thème une importance et une profondeur particulières : que le regard doit se tourner vers le divin, et que lui seul vaut la peine d’être contemplé ; que le représenter est vain, sacrilège, inconcevable. L’idée de Dieu est trop haute pour être représentée par des mains humaines.

Cela rejoignait un autre univers, l’univers du monde juif dans lequel l’interdiction de représenter Dieu était constitutionnelle. La Torah, la Loi de Moïse, interdit toute représentation pas seulement de Dieu, mais des hommes, des animaux, toute représentation de la nature. Le monde hébraïque est constitutionnellement iconoclaste.
Dans le monde musulman, il ne s’agit pas d’un ordre de Dieu, mais l’idée même de Dieu rend sa représentation impossible.

La religion chrétienne hérite des affirmations bibliques touchant l’invisibilité de la nature divine. Mais aussi de l’affirmation que l’homme a été créé à l’image de Dieu. Le Christ, qui est Dieu, est un homme visible et déclare : « Celui qui m’a vu, a vu le Père ». Ainsi commence à s’élaborer la théologie de l’image.

En Occident, on a pris plus de liberté avec l’interdiction théologique de l’image. Les Latins ont envisagé l’image dans un ordre rhétorique et non théologique comme les Byzantins. Dans les églises orientales, après ces conflits, un compromis a été trouvé : l’icône. Elle doit obéir à des règles strictes, des canons, pour ne pas tomber dans l’idolâtrie. La confection d’une icône était une démarche liturgique, sacrée. L’icône est toujours porteuse d’un message théologique très étroitement défini.

Quelques grandes époques de l’iconoclasme

Presque toutes les icônes avaient été détruites lors de la première crise iconoclaste au VIIIe et IXe siècle. On trouvait encore quelques icônes antérieures à ce grand massacre en Egypte, au couvent Sainte Catherine du Sinaï en terre arabe. L’argument des iconophiles, en revanche, était que l’interdiction de l’image de Dieu portait atteinte au dogme fondamental du christianisme, l’Incarnation. Mais les crises iconoclastes revenaient toujours.

Jean Calvin (1509-1564)

Emmanuel Kant (1724- 1804)

Un second cycle iconoclaste débute avec éclat par l’attaque de Calvin. C’est un iconoclaste parfait. Il refuse la moindre image sainte dans le temple. Il profite pleinement du nouveau climat apporté par la science, le déclin de la rhétorique, la contestation de l’ancienne philosophie, la nouvelle vision du monde, une nouvelle société, une religion différente. Dans le monde philosophique, Pascal ou Kant sont d’autres iconoclastes. Pour eux, rien de plus sublime que l’interdiction des images.

Blaise Pascal (1623-1662)

Le philosophe George Wilhelm Friedrich Hegel récapitule l’histoire de l’image divine, il la place au centre de toute réflexion sur l’histoire de l’art et sur l’esthétique philosophique. Il annonce, avec une lucidité confondante, dit Alain Besançon, ce qui se passera après lui dans le champ de l’image divine et de l’art.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831)

Il s’agit pour Alain Besançon d’observer dans l’art moderne et dans le destin de l’image sacrée, le travail de la nouvelle esthétique. Il constate que la France fait exception dans les courants modernes. La Révolution française a figé le paysage esthétique et l’a isolé pendant les années cruciales des effluves du romantisme européen.
C’est dans l’art religieux du XIXe siècle que l’on observe les nouvelles tendances. Surtout en Angleterre et en Allemagne. Après la dissolution rapide de la Confrérie préraphaélite, la dévotion anglaise se laisse envahir par un érotisme conscient ou inconscient qui la conduit au seuil du Symbolisme.
Le « revival religieux » qui entoure le symbolisme, le « second romantisme », supplante le positivisme, le réalisme, qui avaient dominé le milieu du siècle. Cette religiosité n’est plus chrétienne, elle affecte les artistes, qui ne se contentent plus des jeux à leurs yeux « formels » et « superficiels » de l’impressionnisme.

Carré blanc sur fond blanc 1918. Huile sur toile de Kasimir Malevitch


La génération symboliste a été la plus « pensante », la plus sincèrement tourmentée de religion qu’on ait vue depuis longtemps. L’ésotérisme fin de siècle met en forme la religiosité symboliste. Les fondateurs de l’abstraction – Mondrian, Kandinsky, Malevitch – en ont été pénétrés. C’est donc au sein d’un mouvement religieux, et plus exactement mystique, que s’élabore l’art abstrait. Malevitch et Kandinsky, en refusant la figure comme incapable d’embrasser l’absolu, retrouvaient sans le savoir l’argument classique de l’iconoclasme.


Pour en savoir plus

- Alain Besançon, – L’Image Interdite – Une histoire intellectuelle de l’Iconoclasme, Fayard, 1994 et Folio, Gallimard, 2000

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