L’œil et le regard de Françoise Huguier, lauréate du prix de Photographie 2011 de l’Académie des Beaux-arts

La photographe expose en 2012 ses clichés sur Singapour, Kuala Lumpur et Bangkok. Entretien avec Marianne Durand-Lacaze
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

La photographe Françoise Huguier sait attendre le moment où la lumière est la plus belle sur ceux qu’elle photographie. L’Académie des Beaux-arts expose ses photographies argentiques sur ce qu’elle appelle "les longues, longues séquences de vie" des hommes et des femmes de la classe moyenne de trois mégapoles d’Asie : Singapour, Kuala Lumpur, Bangkok : découverte de "l’agora multiethnique" d’une photographe exceptionnelle.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr903
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L’Académie des beaux-arts présente du 25 octobre au 25 novembre 2012 le travail de Françoise Huguier, lauréate du Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière - Académie des beaux-arts 2011. Il est d'usage que le lauréat expose l'année suivante le fruit des travaux pour lequel il a été sélectionné un an plus tôt. Là, réside l'originalité du prix de photographie de l'Académie, en permettant d'offrir au lauréat la possibilité d'exposer au cœur de la capitale en novembre. L'exposition s’inscrit cette année dans le cadre du Mois de la Photo à Paris, le rendez-vous international de la photo depuis plus de 33 ans.

Cette exposition, intitulée Vertical / Horizontal, Intérieur / Extérieur. Singapour – Kuala Lumpur – Bangkok « Middle classes » en Asie du Sud-Est à l’aube du XXIe siècle, est donc l’aboutissement d’un ambitieux projet initié dès 2010, une étude en huis clos des classes moyennes des trois capitales d’Asie du Sud-Est : Singapour, Kuala Lumpur et Bangkok.

Sa mise en image de nos mondes modernes d’un bout à l’autre de la planète alterne et contraste avec des photos de profonde humanité, un détail du quotidien, un visage, un intérieur. Dans un paysage urbain, « un extérieur », vide d’habitant de Françoise Huguier, on sent, on voit l’autre et les autres, un peu de ce "nous" qu’on oublie et que les photographes savent nous restituer.
Elle pose la belle question de ce qu’on partage et, de ce qu’on ne partage pas, dans nos sociétés. Lucien Clergue dit d’elle, qu’elle fait de la politique au sens noble, s’occupant de la "cité", de la polis, comme les Grecs de l’antiquité l’entendaient.

Quelle est la « cité » de Françoise Huguier ? Rien moins que le monde, qu’elle sillonne d’un continent à l’autre, n’hésitant pas à séjourner plusieurs mois pour pénétrer de l’intérieur ceux qui lui dévoilent leurs intérieurs.

Pour ce travail photographique sur les classes moyennes de ces trois villes d'Asie, elle a poursuivi sa recherche du huis clos au sein des familles, conformément à ce qui l'intéresse au plus profond : comment vivent les gens ? Dans cette émission, elle raconte comment elle combine sa double approche, plastique et anthropologique. À Singapour, sa rencontre avec plusieurs sociologues travaillant sur les populations vivant dans des HLM avec accès à la propriété (soit 90 % de la population totale) la convainc de découvrir Singapour par ce biais. Ensuite, c'est par une annonce facebook qu'elle est entrée en contact avec les habitants désireux de lui ouvrir les portes de leur appartement. Pour elle, le quotidien des gens dit beaucoup : l'organisation d'une chambre, les jouets présents... Ce quotidien photographié est riche de traces. À travers une soixantaine de photographies couleur, Françoise Huguier révèle dans cette exposition une réalité sociale et par son art, la vision sociale des habitants de ces viles à l'urbanisme échevelé. Une classe moyenne qu'elle imagine pouvoir se rebeller dans 10 ans, qu'elle a pour l'instant saisie dans un univers de consommation, parfois effrénée, entretenant nombre de jeunes adultes dans le monde de l'enfance. Vivant en couple chez leurs parents dans un univers du jouet et de l'enfance, la possibilité pour ces jeunes individus de se réaliser semble lointaine. Un détail, un masque, dans une photographie de Françoise Huguier témoignent de ces intérieurs, celui des appartements comme celui de leurs habitants. Les photos peuvent ainsi nous dire ce qui passe dans les têtes ? Il n'est qu'à se faire son propre jugement en allant voir cette exposition, quai Conti, sur le parvis de l'Institut de France qui ouvre ses portes le 25 octobre pour un mois (entrée libre).

Françoise Huguier a débuté comme photographe indépendante par une collaboration avec le Centre Georges Pompidou en 1976 avant de réaliser ses premiers reportages pour des magazines français puis pour le journal Libération. À partir de 1983, elle photographie le monde du cinéma, de la politique, de la culture et de la mode, aussi bien en France qu’à l’étranger. Parallèlement à son travail de reporter, grande voyageuse dans l’âme, elle mène à bout des travaux personnels sur l’Afrique, la Sibérie, le Japon, la Russie et l’Inde. Elle est lauréate, à deux reprises, de la Villa Médicis hors les murs pour les ouvrages Sur les traces de l’Afrique fantôme, (1990) et En route pour Behring (1993), journal de bord d’un voyage solitaire en Sibérie (Prix Word Press Photo). Pour Sur les traces de l’Afrique fantôme, elle a suivi entre 1988 et 1990, les traces de la Mission Dakar-Djibouti qui rapporta plus de 3000 objets, masques, coiffures, poupées, peintures coptes (1931- 1933). En passant aux mêmes endroits, elle ramena de cette longue traversée, des photographies noir et blanc d'une justesse à couper le souffle avec pour guide de voyage, le livre de Michel Leiris, alors secrétaire archiviste de la Mission. Il avait donné pour titre à ses carnets de voyage celui de L'Afrique fantôme sur les conseils de Malraux. Si le but de la mission était alors ethnologique et linguistique, celui de Françoise Huguier fut anthropologique et plastique. Une double démarche qu'elle revendique et qu'elle développe dans cet entretien. À Rhumsiki, elle photographie L'ancêtre, le sorcier aux crabes qui lui prédit qu'elle vivra très vieille. Plus loin, des femmes à Khartoum, des enfants entre Addis-Abeba et Nazret, des rites de procession, un mariage copte en Éthiopie....dans un pays occupé par la guerre. Elle a créé, en 1994, la première Biennale de la photographie africaine à Bamako, au Mali. Après une longue incursion dans le domaine de la mode auprès de Christian Lacroix, elle décide, en 2001, de partir à Saint-Pétersbourg afin de travailler sur les appartements communautaires. Elle publie à son retour en 2008 un ouvrage Koummounalki ainsi qu’un film consacré au sujet. Ces appartements nés d'une mesure provisoire de la Révolution de 1917, abritent 17 millions de russes quand elle y séjourne, partageant l'un d'eux et du coup la vie de ses habitants : escaliers lépreux, toiles cirées increvables laissent deviner des univers intimes propres aux fermentations de l'âme et aux faux-semblants selon les mots de Magali Jauffret.


Née en France, Françoise Huguier a grandi au Cambodge où son père dirigeait une vaste plantation. À l’âge de huit ans, elle et son frère, sont pris en otages par des rebelles ; leur captivité durera huit mois. Une épreuve décisive qu’elle taira durant de longues années. En 2004, elle retourne pour la première fois au Cambodge, cinquante ans après l’avoir quitté. L’ouvrage J’avais huit ans chez Actes Sud (2005) retrace l’histoire de son enfance prisonnière des Viêt Minh.

Françoise Huguier, en tant que directrice artistique s'est occupé de la troisième biennale de Photoquai, manifestation gratuite bien connue des amateurs de photographie à Paris, qui se tient sur les bords de la Seine depuis sa création en 2007. La création de Photoquai est une initiative du Musée du quai Branly pour mettre en valeur la créativité des artistes photographes non-occidentaux dont les œuvres restent encore trop méconnues du grand public. L'organisation de l'édition 2011 était presque faîte pour celle, qui a créé la Biennale de Bamako et dont les travaux sur le continent noir ont été salués à deux reprises par des prix, sans compter ses voyages aux quatre coins du monde.

Depuis trente ans, Françoise Huguier a une manière bien particulière de travailler qu'elle n'a pas eu le temps d'aborder dans cette interview. La photographe allie la plume à ses objectifs photographiques. Pour chaque photo prise, elle écrit chaque soir une dizaine de lignes sur ses rencontres de la journée. Ce travail d'écriture qu'elle s'est imposée comme discipline fait d'un livre de Françoise Huguier, un ouvrage plutôt à part parmi les publications consacrées à la photographie car elle en tirera un texte accompagnant ses images. Au fil des pages, le "je" de la photographe s'exprime librement donnant à ses photos un contexte qui nourrit la curiosité du lecteur. Par là-même, ses textes confirment la sincérité de son regard et du choix de ce qu'elle a décidé de montrer, de publier ou d'exposer. C'est dire aussi, combien le livre, l'objet-livre compte pour cette artiste.

Photographie de Françoise Huguier, Projet « Vertical \/ Horizontal, Intérieur \/ Extérieur. Singapour – Kuala Lumpur – Bangkok « Middle classes » en Asie du Sud-Est à l’aube du XXIe siècle », prix de photographie de l’Académie des beaux-arts-Marc Ladreit de La charrière 2011
© Françoise Huguier, 2012 - Bangkok


Dans cette interview, elle donne sa définition de la photographie et des photographes, gardiens, mémoires de leur époque. Elle explique la manière dont elle fait le tri parmi ses photos. Qu'est-ce qu'un style photographique ? Comment résister à la débauche d'images qui envahit notre vie de tous les jours ? Elle met en garde contre les modes actuelles en photographie. Les tirages géants si appréciés actuellement peuvent devenir tapisserie ou papier peint. Elle croit qu'on a aujourd'hui perdu le sens de la miniature. Avec un très grand format, l'œil ne détaille plus, l'agrandissement de l'image le fait pour lui : en miniature le cadre photographique ne se perd pas avec l'espace. "Gardienne", pour une photographie qui ne prend pas celui qui regarde pour un consommateur d'images ; "témoin" de son temps Françoise Huguier ? Assurément !

Françoise Huguier, Prix de Photographie de l’Académie des beaux-arts-Marc Ladreit de Lacharrière 2011
©portrait -Cyril Zannettacci


Pour en savoir plus

Sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Pour tout savoir sur le prix : modalités, montant, calendrier, renseignement sur le site de l'Académie des beaux-arts

Afin d'accompagner la création en son sein d'une section de photographie, l'Académie des beaux-arts a créé en 2007, à l'initiative de Marc Ladreit de Lacharrière, un Prix de Photographie destiné à aider les photographes confirmés à réaliser un projet significatif et à promouvoir leur travail.

Le Prix, d'un montant de 15.000 euros, financé par Fimalac, récompense un photographe, français ou travaillant en France, sans limite d’âge, auteur d’un projet photographique original qui doit être réalisé dans l’année suivant l’attribution du prix. Le sujet et le mode de traitement sont libres.

Le Prix est remis sous la Coupole lors de la séance solennelle annuelle de l’Académie des Beaux-Arts et le projet soutenu exposé au Palais de l’Institut de France.

Il est financé par la « Financière Marc de Lacharrière », présidée par M. Marc Ladreit de Lacharrière, membre de l’Académie des beaux-arts.

- Écoutez les émissions de Canal Académie sur les différentes éditions du Prix de photographie de l'Académie des Beaux-arts : interviews des lauréats antérieurs

-famille une exposition de la photographe Marion Poussier
-Sur le Pont des Arts : prix de photographie de l’Académie des beaux-arts-Marc Ladreit de Lacharrière 2011
-Jean-François Spricigo, lauréat 2008 du Prix de Photographie de l’Académie des beaux-arts
-Octobre 2010, Sur le Pont des arts : photographie

L'exposition de Françoise Huguier

Vertical/Horizontal, Intérieur/Extérieur
Singapour - Kuala Lumpur - Bangkok,
les classes moyennes en Asie du Sud-Est à l’aube du XXIe siècle
, photographies de Françoise Huguier,
Lauréate du Prix de Photographie 2011 Marc Ladreit de Lacharrière –
Académie des beaux-arts

- Lieu : Institut de France, face au Pont des arts, Académie des beaux-arts 27, quai de Conti – Paris VIe.
- Horaire : exposition ouverte du mardi au dimanche de 11h à 18h
- Accès gratuit
- Date : du 25 octobre au 25 novembre 2012

- Site Internet de Françoise Huguier

Parmi ses livres :
- Sur les traces de l‘Afrique fantôme, Maeght Éditeur, 1990
- Secrètes, Actes Sud, 1996
- Sublimes, Actes Sud, 1999
- En route pour Behring, 1993
- Kommunalki, Actes Sud, 2008
- Françoise Huguier, PHOTO POCHE N°142, avec une introduction de Gérard Lefort, novembre 2012, 144 pages, 85 photographies , noir et blanc et couleurs
- J'avais huit ans, suivi d'un dialogue avec Raymond Depardon, Acte Sud, 2005
- Photoquai 2011, catalogue de la troisième Biennale des images du monde, sous la direction artistique de Françoise Huguier.


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