Les Templiers (2/2) : abolition et procès du Temple

avec l’historienne médiéviste Nicole Bériou, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Anne Jouffroy
journaliste

L’ordre du Temple était menacé, tout le monde le savait. On avait parlé plusieurs fois de le supprimer mais l’on n’y croyait pas vraiment. Un tel ordre, c’était impérissable. Cependant, le 13 octobre 1307, à l’aube, Philippe le Bel fit arrêter tous les Templiers de France. Mal défendus par un pape sans grands moyens, ils furent soumis à un procès qui les dépassait. Ecoutez Nicole Bériou, correspondant à l’Académie des inscriptions et belles-lettres et historienne médiéviste, évoquer la « mauvaise renommée » des Templiers, la lutte entre deux sacralités rivales –le pape et le roi de droit divin-, la condamnation et la postérité réelle et fantasmée de l’ordre du Temple.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : hist731
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D’emblée Nicole Bériou précise : J’ai tenu à évoquer, précédemment, Les Templiers (1/2) : création et essor du premier ordre religieux-militaire créé en Occident la réelle valeur et la popularité des Templiers, mais, en même temps que se prolonge ce regard positif, la situation devient plus complexe au XIII° siècle. Le Temple a-t-il toujours sa raison d’être depuis la chute d’Acre en 1291 et l’abandon du combat en Orient ? Même à l’intérieur de l’ordre, on se pose des questions. À l’extérieur, on leur reproche, aussi, leur orgueil et leur cupidité. Il faut reconnaître que ces critiques n’étaient pas infondées !

Moulage de l’avers de la boule de l’ordre du Temple représentant deux cavaliers sur un même cheval. Symbole de la double identité templière, ce sceau évoque l’association du moine et du soldat, unis pour la défense des Lieux saints.
©Archives nationales, Pierre Grand

Critiques des ordres religieux-militaires et problème de la fusion

Le clergé séculier proteste contre les faveurs pontificales accordées aux ordres militaires, tous placés sous la protection directe du pape et bénéficiant de l’exemption.

L’exemption porte, entre autres, sur les deux points qui entraînent le plus de conflits entre les séculiers et les templiers : l’excommunication et les dîmes.
Le problème de l’excommunication est double. D’une part, le pape seul, et non plus les évêques, peut excommunier le frère d’un ordre. D’autre part, les ordres échappent en partie aux conséquences de l’interdit jeté par un évêque sur un territoire. Les chapelains de l’ordre du Temple peuvent célébrer la messe dans les paroisses frappées d’interdit.
L’exemption des dîmes au détriment du curé de la paroisse semble particulièrement abusive. Et les ordres en abusent.

À l’impopularité diffuse qui affecte l’ordre s’ajoutent des rumeurs nouvelles imputant au temple des pratiques répréhensibles : hérésie, sorcellerie, idolâtrie, « mauvaise vie ». Autant de crimes contre la foi que colporteront, lors du procès, Philippe le Bel et Guillaume de Nogaret dans le cadre de leurs négociations avec le pape Clément V.

Les tensions, les affrontements répétés, entre le Temple et l’Hôpital montrent l’inconvénient de la concurrence. Pourquoi ne pas les réunir en un ordre unique ?
Clément V et Philippe le Bel proposent une fusion mais Jacques de Molay, grand maître du Temple, refuse. Il craint, sans doute, une absorption du Temple par l’Hôpital, qui a l’avantage d’associer pratique militaire et pratique hospitalière.
C’est bien ce qui arrivera à l’issue du procès.

Confrontation entre le roi de droit divin et le pape, vicaire du Christ

Le destin du Temple est scellé dans la logique d’une histoire qui n’est pas la sienne mais celle de la monarchie française.
Il s’agit des liens privilégiés construits entre Dieu, la France et son « roi-très-chrétien ». Roi sacré, vicaire temporel du Christ, Philippe le Bel se pose –comme Saint Louis en son temps- en défenseur de la foi contre l’hérésie.
Ces souverains absolus se présentent comme « des papes en leur royaume ».

Par ailleurs, au début du XIII° siècle , le pape revendique le titre nouveau de "vicaire du Christ". Les pontifes cherchent, alors, par tous les moyens à affirmer cette autorité suprême sur l'ensemble de la chrétienté. La concurrence est forte entre les rois de France et les papes.

De 1301 à 1303, un conflit avait opposé Philippe le Bel et Boniface VIII.
Événements inouïs : le roi de France avait fait déclarer le pape hérétique et appelé à la réunion d’un concile pour le déposer.
Guillaume de Nogaret, conseiller royal, s’était saisi de la personne du pape dans la ville d’Anagni au moment où celui-ci s’apprêtait à excommunier le roi capétien. En 1307, le règlement de « l’attentat d’Anagni » est toujours un sujet de discussions difficiles entre le nouveau pape et la France.

Clément V subit une sorte de marchandage de la part de Philippe Le Bel : s’il accepte la suppression du Temple, le roi mettra fin à la campagne contre la mémoire de Boniface VIII. Clément V tente de résister.
Dans une manœuvre dilatoire, le pontife annonce qu’il va ouvrir une enquête judiciaire au sujet des mauvaises rumeurs concernant les Templiers.

Abolition et procès du Temple

L’entourage royal décide de devancer l’enquête pontificale. Le coup de force du roi s’abat sur les Templiers le 13 octobre 1307. Ce matin-là, selon un ordre de Philippe le Bel signé du 14 septembre, envoyé aux baillis et sénéchaux et gardé secret, les Templiers sont arrêtés. Le pape est indigné. Mais les aveux –sous la torture- des Templiers permettent au capétien de triompher.

Et Nicole Bériou de poursuivre l’évocation des longues années du procès et sa fin ultime : atermoiements d’un pape velléitaire, acharnement du roi persuadé de la culpabilité des moines-soldats, appel au royaume, rôle de l’inquisition dévouée au pouvoir royal, défense maladroite des Templiers démunis devant l’habileté juridique des conseillers de Philippe le Bel, abolition de l’ordre en 1312, condamnation à la prison perpétuelle de Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay au nom du Siège apostolique en mars 1314.
Les deux condamnés se voyant perdus, clament leur innocence et renient leurs aveux extorqués sous la violence. Sans attendre le roi les fait brûler comme relaps.

Le procès de l’ordre du Temple est l’un des procès politiques les plus retentissants de la fin du Moyen-Âge et le plus trouble. Il fut dominé de bout en bout par l’arbitraire, les pressions et les manipulations de la raison d’État.

Le Temple n’existe plus. Sa légende commence et ouvre la voie à toutes sortes d'élucubrations sur son trésor et sa prétendue continuation secrète.

Consultez le site de l'exposition «De Troyes à la forêt d'Orient : les Templiers, une histoire, notre trésor» pour en savoir plus sur cet évènement : www.aube-templiers-2012.fr

Nicole Bériou, correspondant à l’Académie des inscriptions et belles lettres


- Ecoutez la première partie de cette émission intitulée : Les Templiers (1/2) : création et essor du premier ordre religieux-militaire créé en Occident

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