Être sur un lit de roses

Une allusion historique présentée par Jean-Claude Bologne
Avec Jean-Claude Bologne
journaliste

Au XVIIe siècle apparaît l’expression "être sur un lit de roses", synonyme d’une situation confortable ou de parfaite félicité. Mais d’où vient donc cette onctueuse métaphore qu’on trouve en littérature, notamment chez le dramaturge Rotrou ou chez le grand La Fontaine ? Entre anecdote historique et légende, retour avec Jean-Claude Bologne sur le sort d’un "lit" pour le moins enviable...

Émission proposée par : Jean-Claude Bologne
Référence : hist588
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Le lit de roses est aujourd’hui le symbole de la douceur, de la volupté, des délices, de la facilité... À condition, bien sûr, que le matelas soit en pétales et non en épines, car on oublie trop facilement que la famille des rosacées comprend aussi le roncier. Aussi l’expression s’emploie-t-elle le plus souvent à la forme négative. À propos d’une exposition sur l’histoire culturelle des Maghrébins en France, un journaliste rappelait récemment que « tout n’a pas été un lit de roses » et qu’il ne faut pas oublier les conflits et les crispations identitaires (El Watan, 18 novembre 2009).

Mais d’où nous vient cette idée qu’un lit de roses serait particulièrement confortable ? Bien sûr, le velouté des pétales a toujours constitué un symbole de douceur. Consacrée à Aphrodite / Vénus, la fleur est associée à l’amour, en particulier physique, et le Roman de la Rose nous a familiarisés avec ses connotations sexuelles. Le lit de roses véhicule aussi ces souvenirs suggestifs.

A l'article Mexique de l'Encyclopédie

Mais il y a surtout une anecdote historique à demi légendaire à l’origine de cette expression. La voici, telle qu’elle est rapportée par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, à l’article « Mexique ». Il s’agit de la capture du dernier empereur aztèque, le 13 août 1521. « Enfin, au milieu de ces combats, les Espagnols prirent Gatimozin, et par ce coup funeste aux Mexicains, jetèrent la consternation et l'abattement dans tout l'empire du Mexique. C'est ce Gatimozin si fameux par les paroles qu'il prononça, lorsqu'un receveur des trésors du roi d'Espagne le fit mettre sur des charbons ardents, pour savoir en quel endroit du lac il avait jeté toutes ses richesses. Son grand prêtre, condamné au même supplice, poussait les cris les plus douloureux, Gatimozin lui dit sans s'émouvoir : “Et moi suis-je sur un lit de roses ?” »

La Torture de Cuauhtémoc de Leandro Izaguirre

L’anecdote figure dans les mêmes termes au 147e chapitre de l’Essai sur les mœurs de Voltaire. Est-elle pour autant authentique ? En partie.
Gatimozin, auquel nous avons rendu son nom aztèque de Cuauhtémoc, était le neveu du célèbre Moctezuma. Son arrestation signa la fin de l’empire. Il fut effectivement torturé pour découvrir l’endroit où il aurait caché le fabuleux trésor de son peuple. Comme le cacique de Tacuba, torturé à ses côtés, était prêt à révéler le secret, l’empereur le fit taire de ces mots : « ¿ Esto yo en algun deleite o bano ? » (« suis-je dans les délices ou dans un bain ? »). Telle est en tout cas la formule rapportée par Lopez de Gomara, chapelain de Cortès. Et c’est sous cette forme qu’elle est entrée dans la langue française, puisque nous trouvons dans les Essais de Montaigne : « Et moi, suis-je dans un bain ? » (liv. III, chap. 6). Il n’y avait aucune chance que Cuauhtémoc entre dans l’Histoire pour une remarque aussi banale. Peut-être d’autres souvenirs littéraires ont-ils enjolivé sa mémoire : une ode d’Horace se plaint de sa maîtresse Pyrrha, qui s’est livrée à un jeune garçon au milieu des roses (Odes, liv. I, N° 5). C’était une pratique bien attestée dans l’antiquité romaine de faire rembourrer de pétales de roses des matelas ou des coussins. Ainsi Cicéron évoque-t-il Verrès « mollement étendu dans une litière à huit porteurs, appuyé sur un coussin d'étoffe transparente et tout rempli de roses de Malte » (Verrines, liv. V, chap. XI). Voilà peut-être où aurait voulu se trouver Cuauhtémoc, à condition, bien sûr qu’il ait parlé latin.

Ecoutez également :

Jean-Claude Bologne est historien, essayiste et romancier.

Jean-Claude Bologne, Qui m’aime me suive, dictionnaire commenté des allusions historiques, éditions Larousse, 2007

Jean-Claude Bologne a également publié :
Histoire de la pudeur (Hachette Pluriel)
Histoire morale et culturelle de nos boissons (Laffont)
Histoire du mariage en occident (Hachette Pluriel)
Une de perdue, dix de retrouvée : Chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (Larousse, 2004)
Au septième ciel, Dictionnaire commenté des expressions d’origine biblique (Larousse 2005)
Qu’importe le flacon... Dictionnaire commenté des expressions d’origine littéraire (Larousse, 2005)
Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007) ; cet ouvrage a fait l’objet d’une émission sur Canal Académie : La conquête amoureuse a une histoire !

Les allusions historiques

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