Les éoliennes : une fausse bonne idée pour la France ?

Confrontation des points de vue de Michel Combarnous, correspondant de l’Académie des sciences et Gilbert Ruelle, membre de l’Académie des technologies
Michel COMBARNOUS
Avec Michel COMBARNOUS
Membre de l'Académie des sciences

L’éolien est bien implanté dans plusieurs pays de l’Union européenne (Pays-Bas, Allemagne, Espagne). Et en France ? Même si elle cherche également à développer son parc éolien, plusieurs obstacles freinent les projets de construction... Explications dans cette émission où Michel Combarnous et Gilbert Ruelle nous donnent des éléments de jugement et de comparaison avec d’autres pays.

_ Le développement de l'éolien est une évidence pour de nombreux pays : L'Europe a produit en 2010 la moitié de l'énergie éolienne dans le monde. A la fin de cette même année, les deux premiers producteurs sont les Etats-Unis, (35 000 MW par an) et la Chine (26 000 MW par an). Et les avancées technologiques sont telles que les éoliennes installées doublent de puissance presque tous les trois ans.
Pour Michel Combarnous, l'énergie éolienne pourrait dans quelques décennies être l'égale de l’énergie nucléaire : « En considérant qu’une éolienne tourne 2500 heures dans l’année (soit 25% du temps) et qu'un réacteur tourne 7500 heures, quand on compare la puissance de l’énergie nucléaire à la puissance de l’énergie éolienne par rapport au temps de production, on observe que les réacteurs et les éoliennes arrivent en puissance au même ordre de grandeur. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut substituer le nucléaire à l'éolien » nous explique-t-il.

Parc éolien offshore au Danemark

En France, des projets de parcs éoliens sont actuellement à l'étude, notamment des parcs offshores dans la Manche. L’Union européenne ayant fixé la production d’énergie renouvelable à 21% de la production nationale d’électricité, c'est vers cette ressource (avec le photovoltaïque) que les projets se sont concrétisés. Mais contrairement à l'Allemagne et à l'Espagne, la France s'y met de mauvaise grâce. Les pêcheurs et ostréiculteurs s'y opposent, les collectivités territoriales redoutent une baisse du tourisme, les habitants parlent de pollution visuelle. Et puis installer des éoliennes, énergie intermittente par définition, suppose des centrales thermiques en relais, centrales émettrices de CO2.
« Les éoliennes offshores, c’est du futur. Actuellement, l’éolien en mer coûte entre 15 et 20 centimes d’euros le kilowattheure. C’est pour cela
qu’il n’y en a pas du tout pour l'instant »
assure Gilbert Ruelle.

Mais toujours selon Gilbert Ruelle, « si la France est à la traîne dans le développement de l’éolien, c'est parce qu’elle est en avance sur le nucléaire. Il faut bien comprendre que 90% de l'énergie électrique produite en France est déjà sans émission de gaz à effet de serre (80% est nucléaire 10% est hydraulique). C'est une spécificité presque française ».
Il faut dire que l'Allemagne, l'Espagne et le Danemark produisaient initialement beaucoup d'énergie carbonée. Ces pays se sont tournés vers l'éolien en toute logique pour remplir une partie du pacte européen, même si l'Allemagne n'a pas attendu ce pacte pour implanter des éoliennes.

Si l'éolien est une si mauvaise idée en France, pourquoi chercher à tout prix à l'implanter ?

A cette question, l'ancien chercheur chez Alstom a une réponse toute trouvée: « Parce que la nation n’a pas fait suffisamment à temps des investissements supplémentaires en énergie nucléaire. Il aurait fallu construire deux ou trois réacteurs de plus. Mais comme on n’a pas investi malgré la progression de consommation électrique, on se trouve à devoir accepter des énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque qui sont achetées par obligation d’achat, à des tarifs élevés ».
Une réflexion que partage Michel Combarnous, pour la situation spécifique à la France. Mais il précise « Nous sommes presque 200 000 habitants de plus par jour dans le monde, avec une consommation individuelle à peu près constante d’énergie depuis 1973. Il faut que chaque jour dans le monde on produise 400 à 500 MW de plus. Ceci explique l’installation rapide de nouveaux modes de production d’énergie dont fait partie l’éolien. C'est un peu la panique, alors on installe des parcs éoliens assez rapides à mettre en place par rapport à des réacteurs ».

Autre observation de Gilbert Ruelle : « Si les subventions de l'Etat pour développer l'éolien étaient coupées, l’énergie éolienne disparaîtrait. C'est en tout cas ce qui s'est passé au Danemark en 2007 et aux Etats-Unis ».

Quant au coût de l'énergie éolienne, il revient aujourd'hui à 8 centimes d’euros le kilowattheure alors que le nucléaire et l’hydraulique revient à fabriquer une énergie électrique à 3 centimes d’euros en France. Chez les Allemands, les centrales à gaz et à charbon reviennent à 6 centimes d’euros le kilowattheure. L'écart est moins important avec l'éolien à 8 centimes d'euros. Et si demain les émissions de CO2 sont taxées, l'écart se réduira encore.

Éoliennes dans la Chine rurale et montagneuse.

L'éolien en Chine, en Allemagne et en Tunisie

Si nos deux invités sont d'accord pour dire qu'il ne faut pas s'acharner sur l'éolien en France, Michel Combarnous souhaite cependant « que cette spécificité française ne nous conduise pas un aveuglement par rapport au développement de l'éolien dans le monde. Je crois que l’éolien va massivement se développer dans beaucoup de pays, mais avec les contraintes que nous avons évoquées avant ».

Observons ensemble quelques cas d'école :
La Chine est devenu en 2010 le deuxième producteur d’énergie électrique par voie éolienne. Curieux à première vue pour un pays soucieux de sa rentabilité, de se lancer vers une énergie coûteuse... « La Chine est un cas particulier ! » s'exclame Michel Combarnous. Et il poursuit :« Si la consommation d’énergie dans le monde reste à peu près la même pour chaque personne, pour le citoyen chinois elle augmente considérablement. Ce n'est par pour rien qu’on a pris l'habitude de dire qu'ils inaugurent une centrale par jour ! Il y a un tel besoin en énergie qu'elles sont toutes bonnes à prendre ».

L’Allemagne qui a refusé très tôt le nucléaire, a pour spécificité d’avoir installé des éoliennes un peu partout dans ses terres. « Ils en ont tellement mis qu'ils en ont même installé dans des zones peu ventées... donc avec un rendement peu intéressant » raconte Gilbert Ruelle. Mais ajoute Michel Combarnous, « les Allemands se sont inscrits dans un schéma énergétique plus large qui consistera à utiliser l’énergie au sud de la méditerranée avec le solaire thermodynamique, les productions éolienne dans la mer du Nord, et la production hydraulique au Nord de l’Europe, le tout avec des liaisons de courant continu entre ces pays. Cela ressemblerait aux gazoducs qui font le tour de la méditerranée. Je ne peux pas dire si c'est ce qui se préfigure pour les décennies à venir, mais c’est un schéma intéressant »

les pays du nord de l'Afrique comme le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, sont des candidats idéaux au développement de l'éolien. « Le meilleur facteur de charge que l’on connaisse est au Maroc : grâce aux vents réguliers, la production de l’éolienne là-bas fonctionne 35% du temps à pleine charge » précise Michel Combarnous. En Tunisie une première ferme de 32 éoliennes a été construite, et deux autres sont en construction, près de Bizerte. « Le pays idéal pour implanter l’éolien et le solaire serait la Mauritanie » assure Gilbert Ruelle. Mais cette fois-ci, c'est l'argent qui manque.

Téléchargez dès maintenant cette émission pour écouter les points de vue de Gilbert Ruelle et Michel Combarnous sur le développement de l'éolien en France et dans le monde.
Dans la dernière partie de l'émission retrouvez leurs réflexions quant au stockage de l'énergie, qu'elle soit nucléaire ou éolienne, renouvelable ou pas.

Michel Combarnous

Michel Combarnous est docteur en sciences physiques, professeur émérite à l’université Bordeaux I et professeur associé à l’université de Gabès (Tunisie). Membre fondateur de l’Académie des technologies (2000) et correspondant de l’Académie des sciences.

Gilbert Ruelle

Gilbert Ruelle est également membre fondateur de l'Académie des technologies. Il a présidé pendant huit ans au sein de cette académie la commission Énergie et changement climatique. Ingénieur, il a effectué sa carrière chez Alstom.

En savoir plus :

- Michel Combarnous sur Canal Académie

- Michel Combarnous, correspondant de l'Académie des sciences->http://www.academie-sciences.fr/membres/C/Combarnous_Michel.htm], [membre de l'Académie des technologies
- Gilbert Ruelle, membre de l'Académie des technologies

Consultez en PDF le rapport 10 questions à Gilbert Ruelle sur l'éolien, une énergie du XXIe siècle ? édité en 2008 :

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