Eric-Emmanuel Schmitt : « J’ai besoin de croire à la liberté »

Dernière émission d’une série de quatre proposée par Virginia Crespeau
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Eric-Emmanuel Schmitt évoque son travail de mise en scène au théâtre, au cinéma, sa relation avec les acteurs, sa réserve en matière de vie privée, sa définition de la littérature, son incontournable amour de la musique et de son sauveur Mozart et de la sortie de son dernier film Oscar et la dame Rose

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : par528
Télécharger l’émission (44.59 Mo)

Les monstres sacrés

Les acteurs me fascinent. Souvent les gens de théâtre ont une certaine suspicion par rapport à ces acteurs hors normes comme Delon, Belmondo, d’autres aussi qui ont aussi une carrière de cinéma. Parce que les gens de théâtre pensent que le théâtre, ce n’est pas cela. Mais la force de ces acteurs extrêmement populaires est de rendre populaire le théâtre et d’amener au théâtre des gens qui n’y iraient pas.
Pour moi, au théâtre, on ne doit pas être ésotérique, ni s’adresser à une chapelle, ni parler aux gens qui sont déjà convaincus.

Jean-Paul Belmondo dans Frédérick ou le boulevard du crime

On doit faire aimer le théâtre à ceux qui n’iraient pas s’ils n’avaient pas l’intérêt d’y voir un comédien déjà vu sur le grand écran et qu’ils aiment.
Cette attitude était pour moi tellement naturelle que je ne me suis pas rendu compte qu’elle pouvait m’attirer l’hostilité de certains qui m’ont dit « Je trouve que vous êtes un très bon auteur, mais là quand même jouer avec Delon ou Belmondo, non ! Vous franchissez la ligne !» Quelle ligne, mon Dieu ? Quelle frontière avais-je franchie ? Le public a toujours été une drogue pour moi ; en tant qu’auteur, l’attente du public, le désir du public me donnent des ailes. En fait, comme pour tous mes héros, je ne sais pas vivre sans le regard de l’autre, j’ai besoin de son approbation, de son désir, de son attente : cela me permet de mobiliser toute mon énergie.

La mise en scène théâtrale

La mise en scène de théâtre est une chose difficile, tellement exigeante ! A chaque instant c’est écrit et puis ça disparaît : en fait la force d’un metteur en scène de théâtre, c’est de créer un dispositif mental tellement solide à l’intérieur des acteurs que, de façon incontournable, ils vont le reproduire chaque soir.
Cela m'interroge : Je sais écrire sur la page, ou sur la pellicule ; et je crois que ma place au théâtre c’est véritablement le texte ; je ne dis pas que je ne recommencerai pas dans le domaine de la mise en scène car j’ai envie de travailler avec certains acteurs, mais l’écriture théâtrale en terme de mise en scène est à la fois exigeante et ingrate ; c’est un travail extrêmement mobilisant car on donne toute son énergie au service d’un texte, pour permettre aux acteurs d’arriver au maximum de leurs prestations et pour permettre au texte de briller et faire que le public soit heureux ; mais en même temps, c’est ingrat parce que c’est de l’humain, de l’éphémère, ça se déplace constamment… Et il vrai que je me demande : lorsque j’ai déjà donné une partie de mon énergie pour créer le texte, est-ce que j’ai encore assez d’énergie pour créer la mise en scène ? J’en doute

Le cinéma

Oui, au cinéma j’avoue que j’ai de grandes admirations, la plus grande étant pour Max Ophüls, dans « Madame de » avec Danielle Darrieux, Vittorio de Sica et Charles Boyer ; là pour moi, on atteint le sommet de ce que j’aime au cinéma : une caméra fluide, complètement au service de l’histoire et des personnages, un sens de l’ironie qui se dégage mais se voit à peine, une culture littéraire et théâtrale qui apparait dans la mise en scène cinématographique, la prise de risques… « Madame de » : je connais ce film plan par plan, je continue à l’analyser plan par plan, c’est un idéal pour l’instant inaccessible…

L’actrice Michèle Laroque dans le film Oscar et la Dame Rose

Dans mon amour pour le cinéma, j'ai trois références : Max Ophüls, Jean Cocteau (Orphée et La belle et la bête ) et Ernst Lubitsch, ce viennois émigré à Hollywood ; ce ne sont pas forcément les parangons de ce qu’aiment les gens qui aiment le cinéma, même si tout le monde reconnait que ce sont d’ immenses cinéastes, mais ils ont chacun une raison pour moi, d’être au-dessus des autres ;
- chez Cocteau c’est le cinéma envahi par la poésie et la métaphysique, et l’esprit du conte;
- chez Lubitsch, c’est une intelligence, une compréhension de l’humanité et surtout des femmes qui me bouleverse avec une caméra au service du mouvement du cœur et qui s’arrête quand le cœur s’arrête et puis, c’est le grand art de la comédie, c'est-à-dire le sens de l’ellipse, la poésie à l’intérieur de la comédie, le sous-entendu, la litote…

Voilà ma grande trilogie ; je reconnais qu’elle n’est pas très actuelle, et il y a des contemporains que j’aime passionnément, mais mes dieux sont ces trois-là !

Odette Toulemonde et le piège de la séduction physique

"Dans mon film « Odette Toulemonde », Odette rencontre un écrivain blasé, intelligent mais décentré, dans la crise de la quarantaine, qui se rend compte qu’au fond il a réussi les objectifs qu’il s’était donnés mais cette réussite le rend-elle heureux ? En fait, le bonheur n’est pas au rendez-vous de la réussite. Cette femme, il ne la remarque même pas, parce qu’elle n’est pas son type physique au départ, et je crois beaucoup à cela : les êtres que l’on est destiné à aimer ne sont pas nécessairement ceux qui nous plaisent érotiquement au début ; il ne faut pas tomber dans le piège de la séduction physique. Les préjugés ou les idées sur la séduction physique font que l’on ne voit pas l’être fondamental que la vie va nous présenter et avec qui on va faire son destin".

Silence sur la vie privée, pourquoi ?

Lorsqu’on interroge Eric-Emmanuel Schmitt sur sa vie privée et qu’on lui demande s’il est un grand séducteur, il répond : « Je suis un grand séduit, pas un grand séducteur… Un écrivain est quelqu’un que les gens aiment pour sa capacité à devenir les autres et pas pour sa capacité à devenir soi… En plus, mon attitude de réserve concernant ma vie privée est explicable pour une raison beaucoup plus profonde : ma vie privée n’appartient pas qu’à moi. Or, si l'on m’interroge, je suis le seul à répondre et je trouve indécent de distribuer ma vérité alors que ce n’est pas forcément la vérité de l’autre. En plus je crois que mes lecteurs me connaissent intimement sans avoir les détails de ma vie parce qu’on se rencontre sur l’essentiel et pas sur l’anecdotique ; ma vie me ressemble et ressemble à mon oeuvre mais c’est mon œuvre privée. Sur ce point, je me place à l'opposé de la littérature actuelle c'est-à-dire de ceux qui écrivent à partir d’eux-mêmes, sur eux-mêmes… D’abord je n’en ai pas éprouvé le besoin et ensuite cela me coupe les ailes : j’ai horreur de cette complaisance qui pousse à dire aujourd’hui "on sent que l’auteur a vécu cette histoire dans sa chair…» Non, écrire ce n’est pas cela. Il ne suffit pas d’avoir souffert ou vécu des choses extraordinaires pour bien écrire, malheureusement. C’est donc aussi pour couper cette manière de faire que je ne dis rien. Ecrire c’est autre chose, c’est un art, une technique, un artisanat et l’intensité du vécu ne fera pas l’intensité de lecture.

Le dernier film d’Eric-Emmanuel Schmitt « Oscar et la Dame Rose » sera sur les écrans à partir du 9 décembre 2009, en France Belgique et Suisse.
« C’est un film que je viens de tourner avec Michèle Laroque dans le rôle de la dame Rose, avec Max Von Sidow, l’acteur de Bergman que j’aime beaucoup, et de « L’exorciste » et de tant de films…, et dans le rôle d’Oscar une petite merveille, j’ose le dire parce que tout le monde autour de moi est tombé amoureux de cet enfant sur le plateau, un petit garçon de dix ans qui s’appelle Amir qui à l’âge d’Oscar. Il incarne tout ce que l'on aime dans l’enfance : la lucidité, la précision, l’enthousiasme, la poésie, la beauté… »

Cela peut vous intéresser