Tempête sur la Tunisie. Une chronique de François d’Orcival

de l’Académie des sciences morales et politiques
François d’ORCIVAL
Avec François d’ORCIVAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Cette semaine, l’académicien évoque les événements en Tunisie. François d’Orcival reprend ici, au micro de Canal Académie, la chronique qu’il donne, le samedi, dans Le Figaro Magazine.

Dans un monde en ébullition, la Tunisie était trop calme. La rencontre entre un courant d’air froid venu du nord et l’air chaud venu du sud vient d’y provoquer la tempête. Le mois de janvier y est souvent fébrile. En 1978, des émeutes sociales firent plusieurs centaines de morts ; en 1984, d’autres émeutes se soldèrent par cent vingt victimes. Cela se passait sous Habib Bourguiba. Ben Ali a pris sa succession en 1987 ; depuis, élu et réélu, il a affronté le terrorisme islamiste et de nouvelles violences, en janvier et février 2008.

Ben Ali a su développer son économie, 40 milliards de dollars de Pib, le premier revenu par tête du Maghreb, un taux de croissance moyen de 4 à 5 %, un endettement extérieur qui était, en proportion du Pib, celui de la France il y a vingt ans (51% ). Mais cette croissance a été tirée par deux locomotives : le commerce extérieur et le tourisme. Le coup de froid des économies du nord de la Méditerranée, crise financière et récession économique, ne pouvait pas ne pas avoir d’effet direct sur l’économie tunisienne. D’où hausse rapide du chômage et affaissement des investissements. Or dans le même temps, et tout en ayant une fécondité de plus en plus proche des Occidentaux, la Tunisie est un pays jeune (30% de la population, 10 millions d’habitants, a moins de 14 ans). L’accent a donc été mis partout sur l’éducation. Et depuis dix ans, le nombre des étudiants a plus que doublé, passant de 220 000 à 480 000 cette année, un chiffre deux fois plus élevé que le nôtre, en proportion des populations. Si ces diplômés ne trouvent pas d’emplois, que se passe-t-il ? La désespérance et le coup de chaud.

Mais pour provoquer la tempête, il fallait un détonateur et une source. Le détonateur, le président tunisien pouvait le débrancher : c’est la « corruption », cette maladie de la croissance, et ici, sa belle famille, son gendre, leur entourage, auraient du donner le bon exemple au lieu de dépenser sans compter. Quant à la source, Ben Ali la connaît bien ; il la surveille attentivement ; il a su la réprimer, c’est l’islamisme. Les mêmes réseaux, actifs ou dormants, qui n’attendent qu’une étincelle. Depuis l’Algérie, ils ont donné naissance à Al Qaïda Maghreb (que nous affrontons au Niger) ; en Tunisie, ils se sont réveillés. Contre l’extrémisme, il n’y a qu’une arme, la rigueur ; mais celle-ci ne va pas sans l’exigence de probité des dirigeants.

Cette chronique était imprimée quand le régime Ben Ali s’est brutalement effondré. Les conséquences en seront analysées dans une prochaine chronique.

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 15 janvier 2011. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire.

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