Ydemtité et Constitution

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jadis, l’ydemdité, gardant son sens étymologique, ne s’affichait guère en papiers ! Aujourd’hui, elle n’est plus seulement en crise, en quête, en plaque, en carte, elle devient culturelle, communautaire, sociale, bref, l’identité se complique ! Au moins autant que la constitution qui, elle, oscille entre physique et politique et que l’on aime robuste et claire, selon le sens ! Jean Pruvost démêle donc pour nous les nuances de ces deux mots.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots310
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Votre plaque d’ydemtité, je vous prie…

L’ydemtité entre dans la langue française au XIVe siècle avec une orthographe qui pourrait presque la masquer... Avouons cependant qu’avec un bel y, cela ne manquait pas de panache ! La lettre glorieuse disparaîtra cependant très vite en faisant émerger une identité qui, remarquons-le, résistera au SMS, en ne pouvant être raccourcie : sauvés !

Cette identité saura garder son sens premier issu du latin idem, « le même », à l’origine d’identitas, « ce qui est le même, ce qui est pareil ». Ainsi, en 1935, H. Michaux, avec un enthousiasme juvénile, s’exclame : « Identité ! Identité ! » à propos de deux personnages, « l’un qui dit une chose », et l’autre qui « allait justement dire la même chose et répète la même chose ». En somme Dupont et Dupont, avant l’heure…

Dès le XVIIIe siècle, l’identité devient aussi ce qui chez chacun d’entre nous reste toujours identique, en fondant notre personnalité, donc en nous identifiant. Pas encore de crise identitaire ou de quête identitaire, mais déjà beaucoup de guerres et, au lendemain de 1870, vient le souci de reconnaître parmi les blessés et mourants les siens. En 1881, naît ainsi la plaque d’identité, petite plaque métallique, ovale, que le combattant porte au cou ou au poignet. On peut désormais identifier les corps mutilés.

Pour les vivants, bien vivants, la carte d’identité apparaîtra en 1931. Désormais, la formule Vos papiers ?, papiers d’identité bien sûr, s’installe et fera trembler ceux qui n’ont pas la chance d’en avoir. Pourtant, dans deux dictionnaires récents, le Dictionnaire des synonymes, analogies et antonymes (Bordas) que j’ai eu la chance de diriger et le Dictionnaire des combinaisons de mots (Le Robert), on rappelle que l’identité renvoie à la similitude et qu’elle peut être communautaire, culturelle, sexuelle, sociale, ou encore complexe, double, mystérieuse, secrète, etc. Et nous relèverons surtout fragile. Il manque cependant à ces dictionnaires une définition presque inquiétante de l’identité, imaginée par les cruciverbistes : « Appellation contrôlée ».

Debout, les Constitutions...

La constitution, quelle qu’elle soit, physique ou politique, suppose étymologiquement qu’on soit debout. C’est en effet l’origine même du verbe constituer, issu du latin cum, avec, et statuere, mettre debout. D’où le mot constitutio qui désigne déjà pour les Romains le fait de fonder quelque chose. Dès le XVIe siècle, la constitution sera attestée en français dans le vocabulaire religieux en tant que cortège de préceptes transmis par la tradition. Il faudra attendre le XVIIe pour qu’elle soit assimilée aux textes qui déterminent la forme d’un gouvernement.

Cependant, la constitution au sens moderne du terme, ensemble de lois fondamentales d’une société, ne prendra naissance qu’au cours de la Révolution française, à la suite de l’Assemblée « constituante », avec la Constitution de 1791. Dès lors les Constitutions se succèdent, s’améliorent le plus souvent et font l’objet d’un débat permanent et naturel. Napoléon ouvre le feu en déclarant que « les constitutions, c’est ce dont on s’occupe le plus et qu’on observe le moins ». Ce à quoi Royer-Collard rétorque qu’elles « ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil ». Et Garnier de Cassagnac d’ajouter qu’« on ne trouvera jamais une constitution qui dispense les rois », ou les gouvernements, « d’habileté, et les peuples de sagesse. »

Quant à la constitution d’une personne, entendons ses caractères congénitaux et psychologiques, on l’aimera de préférence pas trop délicate, en évitant de l’ébranler à la lecture des dictionnaires spécialisés rappelant qu’elle peut être émotive, cycloïde, schizoïde, cyclothymique ou mythomaniaque… On la préférera solide et même robuste.
Il existe un dernier type de constitution aujourd’hui oublié. Il s’agit de celle dont Richelet donne en 1680 un exemple surprenant, au pluriel: « avoir de bonnes constitutions ». Pourrions-nous bénéficier de deux constitutions en même temps ? Au XVIIe siècle, la chose est possible : la constitution y représentait aussi en effet une rente annuelle, propre à se mettre à l’abri des soucis financiers. Vive les constitutions !

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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