Pont et Proximité

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Si le pont permet le passage, il est aussi symbole religieux ou obstacle à franchir, sauf quand il permet de passer par dessus un jour ouvré ! Tandis que la proximité s’exprime d’abord pour la parenté, puis le temps et le lieu avant d’être utilisée aujourd’hui dans de multiples expressions.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots313
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De ponts en ponts

S’il est un symbole vivace issu de la nuit des temps, c’est bien celui du pont, qu’il s’agisse du pont du Jugement dernier, à ne pas confondre avec le pont des pontifes, ou encore du pont-aux-ânes, lui-même distinct du pont de Sainte-Larme. Sans oublier, plus près de nous, notre pont préféré, celui jeté entre deux jours fériés.

Rappelons tout d’abord que le pont vient du latin pontis, de même sens, et qu’il a toujours représenté un passage sélectif. De fait, pour ne pas tomber en enfer, il faut marcher bien droit au moment de franchir le pont étroit que passent les morts dans les tableaux du Jugement dernier. Madame de Sévigné faisait ainsi bien du tort à nos amis bretons, lorsqu’elle déclarait facétieusement qu’il passait « autant de vin dans le corps de nos Bretons que d’eau sous les ponts ».

Le pont est un symbole religieux par excellence : c’est en effet du latin pontifex, faiseur de pont, que viennent les « pontifes », prêtres chargés de surveiller la bonne observance des rites religieux. Le chef des pontifes est naturellement devenu le « souverain pontife », chargé en somme de jeter un pont vers l’au-delà. À dissocier bien sûr du pont-aux-ânes désignant une difficulté n’arrêtant que les ignorants avec notamment, en mathématique, le théorème de Pythagore. Et ne pas franchir le pont-aux-ânes, c’est être proche du pont de Sainte Larme qui, dixit Furetière, représente celui de l’enfant tout près de pleurer.

Duhamel déclarait que « les ponts se multiplient, non sur nos rivières, mais sur les jours ouvrables ». Qui s’en plaindra ? Vive les ponts qui, comme le déclarent les auteurs de mots croisés, sont « Œuvre du génie ». Mais que dire alors des viaducs !

Le pont du Gard

La proximité

« Il y a quelque proximité du sang entre eux », lit-on dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694), au moment d’exemplifier le mot proximité. Il ne s’agit bien sûr pas d’une histoire sordide, mais du premier sens du mot : le fait d’être un « proche », de même parenté. C’est au reste du latin propior, proche, dont le superlatif donne proximus, le plus proche, qu’est tirée la proximité. Et l’article 735 du Code civil (1804) de nous y ramener : « La proximité de parenté s’établit par le nombre de générations : chaque génération s’appelle un degré ». Aucun degré de violence, donc, mais un degré de parenté.

La proximité est aussi assimilée dès le départ à la proximité des événements dans le temps. À Pascal ainsi de formuler la conduite à tenir, « Trop de distance et trop de proximité empêchent la vue », avec en écho posthume, P. Larousse, volontiers moraliste : « La proximité des événements empêche de les bien juger».

Force est de constater qu’au XXIesiècle, la proximité géographique l’emporte et s’impose au point que P. Merle, l’auteur piquant du Dictionnaire du français qui se cause (1998), affirme que « les choses dites de proximité se multiplient en notre fin de siècle ». Et de citer les abus avec la « délinquance de proximité » et même – en usant d’un mot plus cru – le « postérieur » de proximité, vanté par une vedette pornographique. Au Petit Robert 2007 alors de signaler sagement les « emplois de proximité », les « commerces de proximité », rassurants, mais aussi la « fusée de proximité », inquiétante. On ne peut évidemment s’empêcher de penser à la « police de proximité », rassurante et inquiétante tout à la fois. Mais attention surtout à la « politique de proximité », c’est sans appel que J.-F. Kahn l’a définie dans son Dictionnaire incorrect : « Se dit d’une politique sans aucun horizon » !

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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