Logement et Banlieue

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost nous livre l’étymologie des mots "logement" et "banlieue" en nous précisant ce qu’étaient une loge et un ban... Mais pourquoi diable, lorsqu’il donnait un exemple de banlieue, le Dictionnaire de l’Académie, le premier, celui de 1694, choisit-il celle de Rouen ? Un mystère dévoilé par notre lexicologue.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots302
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Des logements plus hauts que le trottoir

« Cherchez-moi, je vous prie, un logement rue de Bourbon ou de l’Université » , ou « dans une des rues qui vont de la rue Saint-Honoré aux Champs Élysées », écrit en 1833 Lamartine à un ami parisien, en n’omettant pas une condition qui va de soi : avec « fenêtres sur jardin au midi » et « silence partout » !

Nous voilà assez loin des sans-abri et de l’offre contemporaine, mais il faut avouer que notre premier dictionnaire monolingue donnait le ton dès 1680 en offrant des exemples qui font rêver : « Il a son logement au Louvre. On lui a donné par pitié un logement au collège Mazarin. » Et l’auteur, Richelet, d’ajouter benoîtement pour le verbe « loger » : « Je loge au Palais Royal ».
Le logement a pourtant des origines particulièrement humbles : il est en effet construit sur le mot loge issu de lointaines langues germaniques, dans lesquelles il s’appliquait à une feuille, un auvent ou encore une galerie à l’air libre. Pas de quoi pavoiser... D’autant plus que le logement désignera d’abord le campement des troupes militaires. Il fallut en fait attendre le XVIIe siècle pour qu’il acquière le sens moderne. Le logement ne pouvait laisser indifférents les écrivains, soucieux d’offrir un cadre révélateur à leurs personnages. « Le lit, la table, quatre chaises, le logement était plein » : quelques mots suffisent ainsi à Zola pour dépeindre la décadence dans laquelle tombe la malheureuse héroïne de l’Assommoir. « Des logements si petits qu’on n’y peut que s’embrasser ou se battre », renchérira plus tard Jules Renard. On disait alors qu’il s’agissait d’un « logement en coup de fusil », une formulation présente aussi dans l’Assommoir, à propos d’un logement qui « semblait bâti pour une anguille », c’est-à-dire « long et étroit » est-il précisé dans le TLF nancéien.

Le besoin de construire a toujours été impérieux. A. Scholl signalait ainsi au XIXe siècle que « les travaux de l’hôtel de Madame X » ,au passé libertin, avançaient bien, en ajoutant perfidement : « L’essentiel est fait, on vient de poser le trottoir » ! On préférera donc le titre d’un article de Le Corbusier en 1938 : « Des canons, des munitions ? Merci ! Des logis… ». Vite, pour les démunis.

Dictionnaire de l’Académie française, dédié au Roy. Edition originale du Dictionnaire des Arts et des Sciences de Thomas Corneille

La banlieue à deux lieues

Contrairement à la mauvaise presse qui lui a parfois été faite, l’Académie est souvent en avance sur son temps. Ainsi, pour la première édition de son Dictionnaire (1694), la Compagnie avait-elle judicieusement choisi de présenter les mots en les rassemblant autour de leur racine. Banlieue se trouvait donc défini auprès de son étymon, le ban, c’est-à-dire le territoire soumis à la juridiction d’un seigneur : « L’estenduë d’une lieuë ou environ autour d’une ville. » Viennent ensuite des exemples choisis dans l’usage du moment : « La banlieuë de Paris, de Rouen. Ce village est dans la banlieue. »
P. Larousse y fait écho dans le Grand Dictionnaire universel (1864-1876) : « La banlieue de Paris avait plus de deux lieues environ, on comptait 29 paroisses dans la banlieue de Rouen ». Et de préciser que « les trois derniers rois d’Espagne n’étaient jamais sortis de la banlieue de Madrid » ! Pourquoi Rouen ? Parce que c’est une grande ville, mais on se plaît à imaginer que deux Académiciens originaires de Rouen, Pierre Corneille puis son frère Thomas, ont approuvé cet exemple et Pierre l’a peut-être même proposé. Le classement par racines faisait rayonner les mots en famille. Ainsi être chassé du ban, banni, indigne de la bannière, c’était devenir un forban, c’est-à-dire hors (fors) du ban. Quant au four banal, celui qui dépendait du ban, utilisé par tous il devenait banal.

Dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie, excellente, l’histoire du mot est d’abord résumée puis sont offerts en toute fin les usages en vigueur, reflets de notre époque : la proche ou grande banlieue, les trains de banlieue, suivis d’oppositions révélatrices : une banlieue verdoyante, sinistre, résidentielle ou bien ouvrière. Sans oublier les couleurs politiques avec la banlieue rouge. Il est bien révolu le temps où Montmartre, Montparnasse, Grenelle faisaient office de banlieue et où P.-L. Courrier pouvait dire : « Le paysan loge en ville et laboure en banlieue ».

Jean Pruvost est Professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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