Investiture et sondage

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

La langue française peut nous jouer des tours : obtenir l’investiture, étymologiquement, c’est pour ainsi dire prendre une veste, sans mauvais jeu de mots…

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots317
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Investiture : une prise de veste réussie ?

L’investiture, d’abord appelée l’envesture, se rattache en effet au verbe investir, du latin investire, désignant au sens propre le fait d’être enserré dans un vêtement. Dès la fin du VIIIe siècle, l’investiture consistait, pour les grands de ce monde, à attribuer à quelqu’un une charge, un fief, une juridiction dans le cadre d’une cérémonie solennelle au cours de laquelle on remettait à la personne ainsi promue un symbole de la dignité concédée. Ainsi, les rois investissaient-ils les évêques en leur offrant la crosse et l’anneau.
Au reste, en 1694, Furetière raconte dans son dictionnaire comment se déroulait autrefois une investiture en remettant « plusieurs petites choses », tout comme « on mettoit en possession d’un héritage par un bâton, un gant, un couteau, un morceau du manteau » ou « par la piqûre du pouce, par des clefs, par une broche, […] par tout ce qu’on trouvait sous la main ». Et de préciser que l’investiture des Seigneuries « se faisoit par un étendard, gonfanon ou bannière ; par une épée », autant de symboles ensuite gardés « dans le trésor des maisons » et qui « s’attachoient au titre ».

Aucun rapport donc avec le fait de prendre une veste, synonyme familier d’échouer, par probable analogie avec la situation de celui qui, dans certains jeux de cartes, prend une capote, c’est-à-dire une déculottée. Or, de la capote – précisons bien qu’il s’agit ici du grand manteau à capuchon – à la veste, il n’y a bien sûr qu’un pas.
C’est dans la Constitution de 1946, que l’investiture désigna aussi le vote par lequel l’Assemblée nationale accordait sa confiance au Président du Conseil désigné par le Président de la République en l’autorisant à former le Gouvernement. Et c’est en 1949 que l’investiture s’assimile déjà à l’acte par lequel un parti désigne un(e) candidat(e) à une fonction élective. Oserions-nous dire que l’élu(e) est alors exposé(e) dans les vitrines des grandes élections, pour le simple plaisir naïf de rappeler que vitrines est l’anagramme d’investir ?

Du sondement au sondage qui cache l’essentiel

Au terme d’un rapide sondage dans nos dictionnaires, l’affaire est entendue, le sondage est chose variable, il dépend d’abord du type de sonde. C’est d’ailleurs cette dernière qui entre dans nos premiers dictionnaires, de manière brutale : « Fourrez votre sonde dans ce chariot de foin pour voir s’il n’y a point de marchandise cachée… » déclare Richelet, en 1680, pour que l’on saisisse bien dans son dictionnaire l’usage impitoyable du « fer emmanché de bois dont se sert le commis pour discerner les marchandises qui entrent », autrement dit la sonde du Commis aux portes. Pas question donc de se cacher dans le foin, on y serait lardé sans rémission.
Quant à l’instrument chirurgical, utilisé « avant de tailler une personne ou de la panser », comme le dit sans ménagement Furetière il n’est guère attractif. Ainsi, la « canule d’argent », n’en reste pas moins introduite dans un conduit sensible pour « découvrir s’il y a une pierre dans la vessie ». On lui préfèrera de loin la sonde jetée à l’eau pour mesurer la profondeur d’une rivière ou de la mer et ainsi « venir jusqu’à la sonde », c’est-à-dire « arriver en un lieu où il y a fond ».
Le sondage, qui prit la relève du sondement aujourd’hui disparu, résulte donc d’abord de l’un de ces trois types de sonde, et l’on comprend la grande dame qui, dans Vipère au poing (1948), écarta « délibérément certains sondages et autres soins répugnants qui l’eussent prolongée quelques jours ». Vint alors au XIXe siècle l’emploi imagé du sondage destiné à pénétrer discrètement l’âme de l’autre. Un siècle plus tard, ce sondage d’opinion s’institutionnalisera avec J. Stoetzel qui, en 1938, créait l’Institut français d’opinion publique : l’I.F.O.P. Allait dès lors commencer l’inquiétude des candidats politiques, forcément soucieux des sondages. Cependant, A. Sanguinetti lâcherait en 1969 une formule forte, s’exclamant que le sondage ressemblait à une minijupe : « ça fait rêver, mais ça cache l’essentiel ». Et là on ne peut s’empêcher de penser que la langue a ses perversités, car quel est l’anagramme du mot sondage ? Une glande sexuelle : la gonade !

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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