Football et Supporteur

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

C’est en 1486 qu’est attesté pour la première fois le mot futebal. Jean Pruvost rappelle qu’il faut attendre 1882 pour que ce jeu d’enfants prenne des règles précises, tout en rappelant quelques noms célèbres d’amateurs du ballon rond ! Quant au supporteur, l’Académie lui aurait préféré le partisan. Mais l’anglais ne renonce pas aux mots d’origine latine ! Avec le lexicologue Jean Pruvost, tous les mots ont une histoire !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots314
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Du football au pila pedalis

C’est en 1486 qu’est attesté pour la première fois le mot futebal, comme le signale Alain Rey en introduction du développement savoureux qu’il consacre à ce sport dans le captivant Dictionnaire culturel (2005). À cette saine activité correspondra un bel équivalent latin, le pila pedalis. Il faut en réalité attendre 1698, pour qu’apparaisse, emprunté à l’anglais, le mot football dans les Observations faites par un Voyageur en Angleterre. Et Alain Rey de rappeler qu’en 1531, dans un texte cité par l’Oxford English Dictionary, cette activité qui fait aujourd’hui vibrer la planète n’était alors que « furie bestiale et violence extrême ». Pas de tendresse originelle donc, dans le football !

Il faut attendre 1882 pour que ce jeu, pratiqué par les enfants « dans les rues mêmes de Londres » (Lectures pour tous, 1917), prenne des règles précises et ses lettres de noblesse. Aux XIXe puis au XXe siècle, des écrivains, Montherlant, Camus, sanctifieront le football, sans oublier l’un de ses meilleurs chantres, Bernard Pivot, et un grand linguiste, Robert Galisson qui, en 1978, fera du vocabulaire du football le sujet d’une thèse brillante.

Le ballon rond monte même jusqu’au président, Jacques Chirac déclarant qu’il aurait aimé être goal (Nouvel Observateur, juillet 1998) ! Attention cependant, si l’on en croit Raoul Lambert et son Dico-dingue, le football est un « jeu ayant pour but d’en mettre plein les buts à l’adversaire ». Et d’ajouter perfidement : « le ballon est toujours rond et les supporters le sont souvent. » Si c’est après la victoire, c’est excusable ! Enfin, en même temps que le Mondial 2007, le Nouveau Petit Robert offrait dans ses colonnes, en bonne place, le footeux et la footeuse. Bernard Tapie n’a-t-il pas déclaré en 1986, dans Libération, que « les femmes sont l’avenir du foot » !

Le supporteur des supportrices

En 1956, paraissait une édition spéciale du Petit Larousse, « pour les cinquante ans de l’ouvrage de Claude et Paul Augé » : le père, Claude, se faisait ainsi le fidèle supporter de son fils, Paul, lui passant le relais. Le tout avec un bel alibi pour l’emploi du mot anglais supporter, puisque ce dernier entrait en effet chez la Semeuse avec une définition toute fraîche: « Partisan d’un athlète ou d’une équipe qu’il encourage exclusivement ».

« Partisan » était bienvenu parce que, justement, c’est le mot que recommandera l’Académie dans un communiqué publié le 23 février 1967 en parallèle à « supporteur ». Mais, déjà, chacun percevait combien le partisan restait par trop teinté d’idéologie pour l’emporter. René Étiemble, pourfendeur du franglais, entrait alors en jeu en tonnant contre les noms se terminant en –ter substitués « insidieusement à notre désinence –teur », tout en ajoutant de fort mauvaise humeur : « Après le supporter, le reporter, nous avons des debaters » ! Paul Dupré, auteur d’une Encyclopédie du bon français (1972), enchaînait en ajoutant que la même remarque est à faire pour le leader, le speaker qui se prononcent justement –eur, en bon français, a contrario du docker, du reporter et du starter.

En vérité supporter avait d’abord été emprunté avec le sens courant outre-Manche de partisan d’un domaine politique. On le trouve ainsi dans une lettre de Louis-Philippe à Guizot, datée du 25 juillet 1846, une précision que l’on doit au Trésor de la langue française. Il fera ensuite son entrée dans la langue des sportifs dans la revue L’Auto, du 9 octobre 1907.

Si le supporter est anglais, il est d’abord latin, construit à partir du verbe supportare, soutenir, porter de bas en haut. C’est en 1934 que naît le féminin, la supportrice, dont on n’a jamais à se plaindre, alors que certains supporters sont difficiles à supporter. Bruno Masure ne pensait pas à mal lorsqu’il offrait dans son Dictionnaire analphabétique (1990) une fausse étymologie, tueuse : « De l’anglais supportueur ». Alors, vive les supporteurs et supportrices et que disparaissent les supportueurs !

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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