Faux pas et sanction

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Prenez garde au faux pas ou au pas de clerc et découvrez, grâce à Jean Pruvost, les origines de ces mots, leur explication dans les dictionnaires et quelques unes de leur utilisation en littérature. Quant à la sanction, si elle fut d’abord pragmatique et eut un rapport avec la sainteté, la voici devenue punition !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots318
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_ Du faux pas au bégaiement…

« PAS. Lent, conté, grave, stable, mesuré, ferme, tardif, avancé, faux. Bronchant, morne, compassé, long, douteux, tracé, franc, assuré, solide, formé, larron… » On se prend à rêver sur le pas larron, mais d’évidence, il n’y pas là encore de trace du faux pas.

De quel ouvrage est tirée cette liste d’adjectifs ? D’un dictionnaire de 1571 aujourd’hui totalement oublié et sobrement intitulé Les épithètes, c’est-à-dire en droite ligne du grec epitheton, « ce qu’on peut ajouter ». Maurice De La Porte y offrait en effet des listes d’adjectifs possibles aux noms communs les plus répandus, pour aider ceux faisant « profession de la Poésie ».

C’est du latin pandere, écarter, que vient le mot passus, écartement entre les deux jambes, donc le pas. Ou comme le définit benoîtement Richelet en 1680, le « marcher d’une personne ». Furetière, en 1694, rappelle d’emblée que c’est « la mesure qui se prend de l’espace qui est entre les deux pieds d’un animal, quand il marche » et d’ajouter que « le pas commun de l’homme est de deux pieds & demi ».

Serait-ce dans ce « demi » que se joue le faux pas ? Attestés dans la langue, dès le XVIe siècle, le faux pas, qui fait glisser ou chanceler disent les dictionnaires, et le pas de clerc, celui du débutant, sont assortis d’exemples alarmants : « On nous observe, prenez garde de faire un faux pas ». « Il a fait un pas de clerc qui a ruiné son affaire » !
Le faux pas peut pourtant avoir du charme : en 1799, Marmontel à propos de la belle Manon Lescaut, signalait tout « ce que la faiblesse peut avoir de grâce et de décence dans ses faux pas », tout comme Colette soulignait à propos d’une vedette du music-hall qu’elle se louait « d’un faux pas, … d’un entrechat manqué ». Pensons aux malheureux candidats qui sont dans la situation décrite par G. Duhamel, dans la Confession de minuit : « J’imaginais qu’à droite et à gauche de l’étroite bordure il y avait un précipice et que je devais avancer sans le moindre faux pas. Il n’en fallait pas davantage pour me faire hésiter, bégayer des jambes, trébucher… »

Sanction : du saint au message de Casablanca

En 1680, pas de « sanction » dans le Dictionnaire françois de Richelet. Le mot redouté n’entre en effet que dans le Dictionnaire universel de Furetière (1690), avec une définition qui peut surprendre : « Constitution qui fut faite au Concile de Basle pour la réformation de l’Église […]. On l’appelloit Pragmatique sanction. » Ce que confirme la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694), dans lequel on bute sur un renvoi déconcertant : « Sanction : voir Saint ». C’est en effet à l’ombre du saint que la sanction y est définie en tant que « Constitution, règlements sur les matières Ecclésiastiques. Il ne se dit guère qu’avec le mot de pragmatique. » Diable ! Mauvais départ pour ce mot aujourd’hui si répandu.

En vérité, sanction est issu du verbe latin sancire, dérivé de la racine sanct et désignant le fait de rendre sacré donc inviolable. La sanction représente ainsi au Moyen Âge un règlement ecclésiastique et donc l’approbation d’une règle, gare ensuite aux contrevenants.

L’Académie renchérit en 1798 avec l’exemple révélateur choisi pour la sanction : « Ce mot n’a pas reçu sa sanction de l’usage », un usage qui fixe la norme à ne pas enfreindre. Au XIXe siècle, dans le sillage des philosophes, P. Larousse fait état de la sanction naturelle, de la sanction légale, de la sanction de l’opinion et de la sanction intérieure…

Au Trésor de la langue française d’intégrer en 1994 le vote-sanction : un Supplément intégrerait sans nul doute les sanctions internationales. Saint-Exupéry en aurait-il été la première victime ? Ainsi, à 2000 km de Casablanca, il recevait ce message sans concession : « Monsieur de Saint-Exupéry, je me vois obligé - demander pour vous - sanction à Paris - vous avez viré trop près des hangars, au départ de Casablanca ».

Jean Pruvost est professeur des universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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