Cyclone et Turbulence

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost jette la tempête sous nos crânes ! Il nous perturbe en nous apprenant que la "cyclone" a changé de genre et que "turbulence", elle, passe du singulier au pluriel, selon trois définitions. Après avoir écouté notre lexicologue, on se tiendra sûrement plus tranquille...

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots316
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La violente cyclone

« Cyclone : …féminin. Sorte d’ouragan qui marche en tournoyant avec une extrême rapidité, dans le sud de l’Océan Indien » écrit P. Larousse en 1866 dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. En vérité, impossible d’en trouver une définition en début de siècle, le mot venait en effet tout juste d’être emprunté à la langue anglaise, tout en le féminisant. On situe d’ailleurs précisément sa date de naissance, 1848, au moment où H. Piddington a besoin d’un terme pour désigner toutes perturbations atmosphériques dans lesquelles le vent suit un mouvement circulaire. Construite sur le grec kuklos, cercle, « la » cyclone entre sans tarder, en 1878, dans le Dictionnaire de l’Académie française, avec cependant cette remarque préfigurant son prochain changement de genre: « Quelques-uns le font masculin »…

Fait rarissime, grâce à ce terme transsexuel on assiste à une tempête dans un crâne, celui d’Émile Littré. Voilà ce qu’il déclare effectivement, en remarque, dans le Dictionnaire de la langue française en cours de publication : « Au moment où s’imprimait le C de ce Dictionnaire, cyclone était généralement fait féminin, dans les livres scientifiques ; on était sans doute déterminé par la finale qui semble féminine ; je lui donnais donc ce genre. Depuis, l’usage a varié, les météorologistes l’ont fait masculin, j’ai suivi la variation et changé sur les clichés, en masculin, le féminin ; de là la discordance entre les différents tirages. » On ne peut se trouver plus en direct avec la vie de la langue !

Dans la réalité, le seul cyclone sympathique reste celui décrit par Colette dans Claudine à l’école (1900), lorsque Monmond « passe, avec une brutalité de cyclone, emportant sa danseuse comme un paquet », car il a parié un « siau de vin blanc », qu’il ferait « la longueur de la salle en six pas de galop ». Il y réussit, le voilà admiré, mais hélas la danseuse est furieuse ! Pas la moindre tendresse en effet dans un cyclone, quel qu’il soit.

Des turbulences au sol

C’est dans le millésime 1994 du Petit Larousse qu’une troisième définition de la turbulence s’installe derrière un premier sens correspondant au « caractère, défaut d’une personne turbulente » et un deuxième, d’ordre scientifique, au libellé élégant : « Agitation désordonnée d’un fluide en écoulement turbulent ». Le troisième usage s’annonce alors précédé d’une parenthèse signalant qu’il aime à être au pluriel et « les turbulences » y deviennent les « Troubles qui perturbent un secteur d’activité, un domaine ». L’exemple coule de source : des turbulences monétaires. On n’en conclura évidemment pas qu’avant 1993, les turbulences monétaires n’existaient pas…

Si la turbulence, le défaut de caractère mais aussi l’agitation désordonnée qui y fait écho, est attestée depuis le XVIe siècle – en conformité avec le latin classique turbulentus, agité, troublé –, la turbulence d’un fluide, c’est-à-dire de l’eau ou plus souvent de l’air, est plus tardive. Elle n’est en effet en vigueur lexicale que depuis le XXe siècle. Et c’est dans le Larousse mensuel illustré, édité de 1907 à 1957, qu’on pouvait dénicher en mars 1956 la turbulence définie comme une « agitation propre de l’atmosphère », qui « provoque une agitation induite sur l’avion ». D’où l’annonce, jamais totalement rassurante pour les passagers, que l’avion va traverser un « zone de turbulences ». De cette turbulence météorologique à celles de l’économie, le pas était aisé à franchir. Et du même coup, alors qu’il est cloué au sol et inachevé, l’avion peut déjà être frappé par des turbulences qui cette fois-ci sont financières. C’est pour le coup que l’économiste chargé de son envol économique peut être tenté par le repli évoqué par Gide, dans son Journal en 1931 : « Je retourne à l’étude du piano, comme vers un opium où se calme la turbulence de ma pensée et s’apaise mon inquiet vouloir ! »

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est Professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

Retrouvez Jean Pruvost sur le site des éditions Honoré Champion.

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