Bourde et faribole

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Jean Pruvost, lexicologue, nous livre l’étymologie de la "bourde" et de la "faribole" !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots301
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_ La bourde :

La bourde est au moins aussi ancienne que nos dictionnaires monolingues. On la déniche en effet dans le tout premier, le Dictionnaire françois (1680) de Richelet, qui se contente d’offrir un synonyme : « Mensonge », assorti de deux courts exemples, « Donner des bourdes à quelqu’un, Dire des bourdes », ainsi qu’un dérivé oublié : le verbe bourder, mentir. Quant à Furetière, prolixe par nature, il précise dans son Dictionaire universel – avec un seul n en 1690, et ce n’est pas une bourde ! – que ladite bourde constitue un « Mensonge dont on se sert pour s’excuser, ou pour se divertir de la crédulité des autres ». Avec un exemple peut-être personnel : « Cet homme m’a fait accroire qu’il avoit sollicité pour moy, mais il m’a donné une bourde, c’est un gaillard qui se plaît à donner des bourdes, des bayes », ce dernier mot incarnant un synonyme aujourd’hui disparu. Tout comme le bourdeur et le donneur de bourdes se sont aussi linguistiquement éteints.

Il faut attendre la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie pour voir officiellement la bourde assimilée à une « Faute, une bévue grossière ». Quant à l’étymologie du mot, chacun a peur de faire une bourde et elle est déclarée obscure, même si on hésite entre un ancien provençal borda, synonyme de mensonge, et la bourre, le flocon sans consistance.

Un synonyme plaisant de la bourde reste la boulette, comme une boulette de papier lancée sur quelqu’un. Et R. Castans de rappeler dans le Grand Dictionnaire des mots d’esprit (1991) un bon mot d’A. Breffort : « Dieu, quand il a pétri la terre, a fait une grosse boulette ». Voilà peut-être pourquoi nous sommes tous excusés de « bourder », que l’on soit pape ou mécréant. Il serait d’ailleurs dommage de bouder le plaisir de la bourde : bouder en est l’anagramme.

La faribole :

Du théâtre de Molière au film Da Vinci Code, en passant par Proust, la faribole n’a pas pris une ride : son usage ne cesse d’être plaisant. « Ce sont propos oisifs, chansons et fariboles » s’exclame déjà en effet Dorine dans Le Tartuffe, tout comme Proust campe un de ses personnages en précisant, presque crûment, qu’il « lâchait une grosse faribole qui faisait rire tout le monde ». Et voilà qu’à propos des sources religieuses de Da Vinci Code, l’un de nos cardinaux reprend ce bien joli mot de faribole.

À en croire Molière qui aime ce mot et que cite P. Larousse, il faut assurément avoir l’esprit vif et la relation fraîche pour « lâcher » de bonnes fariboles, c’est-à-dire des propos sans fondement, en somme des balivernes : « Diantre ! » s’exclame l’homme fatigué, « où veux-tu que mon esprit t’aille chercher des fariboles ? Quinze ans de mariage épuisent les paroles… »

Attestée depuis six siècles, du Pantagruel (1592) rabelaisien jusqu’aux cardinaux du XXIe siècle, la faribole n’a jamais changé profondément de sens et n’a peut-être pas fini d’épuiser les étymologistes. De manière presque assurée désormais, le mot faribole serait intimement lié à la falibourde, désignant autrefois une sottise, joli mot composé de « bourde », qui nous est resté, et de « faillir », tromper. On a aussi évoqué la possible association du latin, falla, tromperie, et de l’ancien français bole, mensonge. D’autres encore aiment le faire dériver de frivolus, frivole. Quoi qu’il en soit, rien de sérieux dans la faribole, bien vivante, mais un vrai regret : la disparition de fariboler et de fariboleur... Il est donc temps de réagir : fariboleuses et fariboleurs de tous pays, unissez-vous !

Jean Pruvost est Professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.

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