Les Académiciens racontent l’Histoire : Henri IV (2/2)

Le « bon roi » vu par Chateaubriand et Victor Duruy, de l’Académie française
Victor DURUY
Avec Victor DURUY de l’Académie française,
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Pour présenter Henri IV, nous avons choisi quatre Académiciens célèbres : Jules Michelet, André Maurois, Chateaubriand, Victor Duruy. Quatre styles, quatre points de vue différents pour évoquer l’oeuvre et la vie du « bon roi Henri », assassiné en mai 1610, il y a tout juste 400 ans. Deuxième émission d’une nouvelle série sur l’Histoire, proposée par Canal Académie. Vous pouvez écouter ici Chateaubriand et Victor Duruy.

Ce serait une caricature de limiter Henri IV à quelques clichés truculents. Cette série « Les Académiciens racontent l’Histoire » vous permettra, au travers des écrits d'académiciens célèbres, de cerner au plus près le roi et l’homme qui a régné durant 21 ans sur la France en lui donnant un nouvel élan. Après André Maurois et Jules Michelet, écoutez ici des extraits des œuvres historiques de Chateaubriand et de Victor Duruy.

François-René de Chateaubriand (1768-1848) fut élu à l'Académie française le 22 février 1811 au fauteuil n°19 précédemment occupé par Marie-Joseph Chénier (le frère d'André) mais il ne put être reçu sous la Coupole tant son discours déplut. C'est seulement après la Restauration qu'il put y siéger.

Les textes que nous avons choisis ici sont extraits de « Histoire de la France » dans l'édition publiée par « La Place royale », collection « les Calenders », 1987.

J’ai fait observer plusieurs fois que la seconde aristocratie vint finir à Arques, à Ivry, à Fontaine-Française, comme la première à Crécy, à Poitiers et à Azincourt. Elle disparut de fait et de droit, car Henri IV publia un édit en vertu duquel la profession militaire n’anoblissait plus. Tout hommes d’armes, sous Louis XII, était gentilhomme, ainsi que tout bourgeois qui avait acquis un fief noble et le desservait militairement. Le 258ème article de l’ordonnance de Blois de 1579 avait détruit la noblesse résultante du fief. Louis XV, en 1750, rétablit la noblesse acquise au prix du sang ; mais le coup était porté. Henri IV, ce soldat, avait voulu que les armes restassent en roture : l’armée, devenue plébéienne, laissa à la gloire le soin de l’ennoblir.

On s’est fait une fausse idée de la manière dont les Bourbons parvinrent au trône. D’un côté, on n’a vu que les massacres de la Saint-Barthélemy, que les fureurs de la Ligue, que les intrigues de Catherine de Médicis, que les débauches de Henri III, que l’ambition des princes de Lorraine ; de l’autre côté, on n’a aperçu que la bravoure, l’esprit et la loyauté de Henri IV ; on a cru que tous les partis avaient été fidèles à leurs doctrines, qu’ils avaient constamment suivi leurs drapeaux respectifs, que les services avaient été récompensés, les injures punies ; qu’enfin chacun avait été rétribué selon ses œuvres : telle n’est point la vérité historique. Tout se passa comme de nos jours ; on céda à des nécessités, à des intérêts crées par le temps; le vainqueur d’Ivry ne monta point sur le trône, botté et éperonné, en sortant de la bataille : il capitula avec ses ennemis, et ses amis n’eurent souvent pour toute récompense que l’honneur d’avoir partagé sa mauvaise fortune.

Brissac, la Châtre et Bois-Dauphin, maréchaux de la Ligue, furent confirmés dans leur dignité ; ils avaient tous vendu quelque chose. Laverdin, Villars, Balagni, Villeroi, jouirent de la faveur d’Henri IV. Par l’article 10 de l’édit de Folembray, les dettes même du duc de Mayenne sont payées et déclarées dettes de la couronne. Le Béarnais était ingrat et gascon, oubliant beaucoup et tenant peu. « Montez, dit la duchesse de Rohan dans son ingénieuse satire apologétique, montez les degrés, entrez jusque dans son antichambre : vous oyrez les gentilshommes qui diront : j’ai mis ma vie tant de fois pour son service, je l’ai tant de temps suivi, j’ai été blessé, j’ai été prisonnier ; j’y ai perdu mon fils, mon frère ou mon parent : au partir de là il ne me connoît plus ; il me rabroue si je lui demande la moindre récompense… Ses effets parlent et disent en bon langage : Mes amis, offensez-moi, je vous aimerai ; servez-moi, je vous haïrai. »

Henri laissa mourir de faim le fidèle bourgeois qui avait favorisé sa fuite, lorsque lui, Henri, était à Paris prisonnier de Charles IX. A la mort de Henri III, Henri IV avait dit à Armand de Gontaut, baron de Biron : « C’est à cette heure qu’il faut que vous mettiez la main droite à ma couronne ; venez-moi servir de père et d’ami contre ces gens qui n’aiment ni vous ni moi. »
Henri aurait dû garder la mémoire de ces paroles ; il aurait dû se souvenir que Charles de Gontaut, fils d’Armand, avait été son compagnon d’armes ; que la tête de celui qui avait mis la main droite à sa couronne avait été emportée d’un boulet de canon : ce n’était pas au Béarnais à joindre la tête du fils avec celle du père. Le grand maître des échafauds, Richelieu, désapprouvait celui de Biron comme inutile.

Mais la bravoure de Henri IV, son esprit, ses mots heureux, et quelquefois magnanimes ; son talent oratoire, ses lettres pleines d’originalité, de vivacité et de feu ; ses malheurs, ses aventures, ses amours, le feront éternellement vivre. Sa fin tragique n’a pas peu contribué à sa renommée : disparaître à propos de la vie est une condition de la gloire. Henri IV était encore un fort bon administrateur ; il montra son habileté à faire vivre en paix des hommes qui se détestaient, particulièrement ses ministres, hommes de capacité, mais antipathiques les uns aux autres, et sortir de partis divers. Les Bourbons n’ont compté que cinq rois dans leur courte monarchie absolue ; sur ces cinq rois, ils ont deux grands princes et un martyr. Ce sang n’était pas stérile.

Au surplus, tout le siècle de Louis XIV se tut sur l’aïeul des Bourbons. Le grand roi ne permettait d’autre bruit que le sien. A peine retrouve-t-on le nom d’Henri IV dans un pamphlet de la Fronde, qui établit un dialogue entre le Roi de bronze et la Samaritaine ; l’ouvrage de Péréfixe était oublié. Un poète qui a tant fait de renommées avec la sienne, Voltaire, a ressuscité le vainqueur d’Ivry : le génie a le beau privilège de distribuer la gloire. »...

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Consulter la fiche de Chateaubriand sur le site de l'Académie française : http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html

Victor Duruy (1811-1894) fut membre de trois académies, celle des inscriptions et belles-lettres en 1873, celle des sciences morales et politiques en 1879 et celle de l'Académie française où il fut élu en 1884 au fauteuil n° 20 précédemment occupé par François-Auguste Mignet.
Son Histoire de France fut rédigé vers la fin de sa vie, entre 1875 et 1892.

Henri IV, ses premiers embarras. — L’assassinat du dernier des Valois mit la douleur et le trouble dans le camp de Saint-Cloud, la joie et la confiance dans Paris. Au camp, les catholiques s’éloignaient déjà des protestants. On voyait les premiers, dit un témoin oculaire, « comme gens forcenés, enfonçant leurs chapeaux, les jetant par terre, fermant les poings, complotant, se touchant la main, formant des vœux et des promesses dont on avait pour conclusion : plutôt mourir de mille morts ! » Dans la ville, les duchesses de Montpensier et de Nemours parcouraient les rues dans leurs carrosses, criant dans tous les carrefours : « Bonnes nouvelles, mes amis ! Bonnes nouvelles ! Le tyran est mort, il n’y a plus d’Henri de Valois en France! » On faisait des feux de joie, on célébrait dans la chaire « le martyre du bienheureux Jacques Clément ; » on l’invoquait comme un saint. Sa vieille mère fut amenée à Paris, et montrée au peuple « comme une merveille ! »

« Vous êtes le roi des braves, avait dit à Henri un des seigneurs catholiques, et ne serez abandonné que des poltrons ! » Malgré cette loyale parole, beaucoup de catholiques s’éloignèrent ; pour retenir les autres, Henri s’engagea solennellement, dans une assemblée des principaux seigneurs, à maintenir dans son royaume la religion catholique, jusqu’à la convocation d’un concile national ou général qui réglerait la question religieuse, et à conserver chacun dans ses droits et offices, à garantir aux calvinistes la liberté de leur culte dans une ville par bailliage. L’assemblée alors le reconnut comme roi de France, sous le nom d’Henri IV, « selon la loi fondamentale du royaume (4 août). » L’acte fut dressé, signé de tous les assistants et enregistré par le parlement de Tours.

À Paris, au contraire de ce qui se passait à Saint-Cloud, on était d’accord sur la religion, mais non sur les personnes. Décidés à repousser du trône un hérétique, les ligueurs hésitaient entre le jeune duc de Guise et son oncle, le duc de Mayenne. Le premier était, depuis la mort de son père, prisonnier des royalistes, et par conséquent un peu oublié ; le second, politique habile, manquait de tout ce qu’il faut à un chef populaire, audace, éclat, activité infatigable et décision prompte. Il y a avait d’autres prétendants encore : le duc de Lorraine, beau-frère des trois derniers Valois, le duc de Savoie, fils d’une sœur de Henri II, et le roi d’Espagne, qui parlait des droits de sa fille, née d’une fille de Henri II, sœur par conséquent des trois derniers Valois, et comptait bien se saisir de la couronne au milieu de l’anarchie qu’il avait déchaînée.

Mayenne, tout-puissant dans Paris, le lendemain de la mort d’Henri III, aurait pu brusquer la fortune ; il ne l’osa, et, le 5 août, il fit proclamer roi, sous le nom Béarnais, se contentant de prendre pour lui- même la lieutenance générale. Cette nomination ne résolvait rien, et, en reconnaissant le droit de la famille de Bourbon, Mayenne montrait que le roi légitime était Henri IV.

Cependant, la déclaration du 4 août n’avait pas satisfait tout le monde dans l’armée royale. D’Épernon et plusieurs seigneurs catholiques se retirèrent ; la Trémoille avec neuf bataillons protestants, prit le chemin du midi, ne voulant pas « servir sous les drapeaux d’un souverain qui s’engageait à protéger l’idolâtrie. » L’armée de siège diminua de moitié. On ne pouvait rester avec quelques milliers d’hommes en face de la grande cité. Plusieurs conseillèrent au roi de retourner dans le midi. « Qui vous croira roi de France, lui dit d’Aubigné, en voyant vos lettres datées de Limoges ? » Henri se décida à rester dans le nord, et cette résolution sauva sa couronne.

Division de la France. — La France s’était partagée, et non-seulement la France, mais presque chaque province. A côté d’une ville qui tenait pour la Ligue, une autre tenait pour le roi ; il y avait le parlement de Paris et celui de Tours. Le parlement ligueur du roi s’était démembré, et une partie de ses membres siégeait à Caen, comme celui de Carcassonne se forma, un peu plus tard, aux dépens de celui de Toulouse. Un sixième de la France était pour Henri IV ; le reste n’était pas tout entier pour la Ligue. Plusieurs villes et provinces, comme Bordeaux et une partie de la Guyenne, restaient neutres ; quelques gouverneurs ou seigneurs puissant, d’Épernon, Damville, en Languedoc, Ornano en Dauphiné, attendaient les événements.

Campagne d’Henri IV en Normandie (1589). ─ Il fallait faire reconnaître le vrai roi à ses actes. Henri IV envoya Longueville en Picardie, d’Aumont en Champagne, pour lui en ramener ce qu’ils pourraient y lever de troupes et d’argent ; et il se dirigea lui-même vers la Normandie. Senlis, Compiègne, Gournay. Gisors, reçurent garnison royale, et livrèrent leurs recettes, dont l’armée avait grand besoin. Une tentative contre Rouen échoua ; mais Henri, tournant tout à coup sur Dieppe, y fut reçu à bras ouverts. C’était une précieuse acquisition, qui le mettait en communication avec l’Angleterre, dont il attendait des secours. La grande Élisabeth comprenait que le roi de Navarre combattait autant pour elle-même que pour lui. « Le dernier jour de la France, disait-elle, sera la veille du dernier jour de l’Angleterre. » Le gouverneur de Caen vint à Dieppe faire au roi hommage de la moitié de la Normandie.

À Paris, on commençait à murmurer contre les lenteurs de Mayenne. Philippe II, Sixte-Quint lui avaient envoyé de l’argent pour faire des recrues en Allemagne. Il se décida enfin à sortir de la ville avec 25000 hommes, en rallia 8000 en route, et se dirigea sur Dieppe, promettant de ramener le Béarnais captif ou de le jeter à la mer. Henri avait moins de 10 000 hommes et fort peu d’argent : « Mes chemises sont toutes déchirées, écrivait-il à Rosny, mon pourpoint troué aux coudes, et, depuis deux jours, je soupe et dine chez les uns et chez les autres. » Les membres du conseil étaient d’avis qu’il s’embarquât pour l’Angleterre. Le maréchal de Biron s’y opposa : « Sortir de France, s’écria-t-il, pour vingt-quatre heures, c’est s’en bannir pour jamais ! » Henri IV était de cet avis, il s’empara d’Eu, du Tréport, et s’établit fortement autour de Dieppe, ayant son camp sur les hauteurs d’Arques, au pied du château, à une lieu et demie de là, et une bonne garnison au Pollet, principal faubourg de la ville. Son artillerie était insuffisante ; il y suppléa en montant ses plus petits canons sur des affûts à roues, auxquels il attela plusieurs chevaux, et il fit ainsi le premier usage de l’artillerie légère, idée qui ne devait être retrouvée que par Gustave-Adolphe et Frédéric II.

Combat d’Arques (3 sept. 6 oct. 1589). ─ La grosse armée de Mayenne échoua pendant trois semaines d’attaques consécutives contre ces habiles dispositions et plus encore contre le valeur de Henri et de ses troupes. Elle ne laissa pas un point de la ville ou des retranchements sans tenter l’assaut ou l’escalade, et fut partout repoussée. Le 21 septembre, à l’attaque du camp, les lansquenets de Mayenne firent mine de l’abandonner ; on les introduisit dans les lignes ; aussitôt ils se jetèrent sur ceux qui venaient de leur tendre la main, et s’emparèrent d’une maladrerie qui servait de défense de ce côté. Quelques-uns de leurs chefs pénétrèrent même jusqu’au roi et lui crièrent de se rendre. Le désordre fut tel, qu’Henri désespéré demandait à grands cris « s’il ne se trouverait pas cinquante gentilshommes pour mourir avec leur roi. »

Châtillon, avec des fantassins huguenots, partit du Pollet et parvint à débusquer les traîtres. Mayenne alors tourna le camp royal et parut le 26 devant Dieppe par l’ouest. Mais Henri l’avait deviné et prévenu. Le 23, il avait reçu d’Angleterre 1200 hommes, de l’argent, des provisions, et la promesse d’un nouvel envoi de 4000 soldats. Longueville, la Noue et d’Aumont arrivaient à son secours avec une autre armée. Mayenne se retira sur la Somme appelant à l’aide les Espagnols des Pays-Bas. Henri écrivit à Crillon avec sa joviale humeur : « Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas. »

Surprise tentée sur Paris (1589). ─ Henri se trouvait à son tour à la tête de 25 000 hommes. Il gagna trois marches sur Mayenne et se porta rapidement sur Paris, en donnant ordre à Montmorency-Thoré de couper derrière lui le pont de Saint-Maxence sur l’Oise. A la faveur d’un épais brouillard, tous les faubourgs de la rive gauche, Saint-Germain, Saint-Jacques, Saint-Marceau et Saint-Victor furent enlevés, les royalistes s’y jetèrent au cri de : « Saint-Barthélemy ! » Si les moines et les bourgeois ne s’étaient trouvés aussitôt prêts, le coup de main eût réussi. La Noue essayait déjà de passer la Seine près de la tour de Nesle. Mais on apprit l’arrivée de Mayenne par le pont qu’on avait négligé de couper. Henri se contenta de piller les faubourgs, ce qui devait tenir lieu aux siens de la solde qu’il ne leur donnait pas, et prit la route de Tours, capitale du parti royaliste.

Succès du roi dans l’ouest (1589). ─ Chemin faisant, il emporta Étampes, Châteaudun, Vendôme, et, de Tours, décida le Mans, Alençon, Angers, Laval à le reconnaître. En quelques semaines toute la Normandie de la Seine à la Vire fut soumise de gré ou de force. La nouvelle de ces succès entraînait les neutres ; deux cardinaux étaient venus le recevoir à Tours ; le parlement de Rennes fit sa soumission avec une partie de la Bretagne ; Ornano et Lesdiguières en Dauphiné, la Valette en Provence, Damville en Languedoc, se déclarèrent pour lui. Au dehors, la république de Venise le reconnut comme roi légitime ; déjà même Sixte-Quint se laissait ébranler par les raison que lui avaient fait porter les catholiques qui suivaient le Béarnais.

Rivalités dans le parti de la Ligue. ─ Les ambitions rivales des ennemis de Henri IV servaient sa cause. Les ducs de Lorraine et Savoie, renonçant à l’idée de s’assurer la couronne, tâchaient au moins de démembrer le royaume : l’un trouvait les Trois-Évêchés et la Champagne fort à sa convenance ; pour l’autre, c’était le Dauphiné et la Provence. Les ducs de Mercœur, de Nevers, de Nemours voulaient des principautés indépendantes. Philippe II, qui tenait à sa solde le conseil de l’Union et des Seize, leur demandait le titre de protecteur du royaume au nom de sa fille ; les Seize de leur côté, rêvaient un État sans roi et sans noblesse, une sorte de république théocratique gouvernée du haut de la chaire. Mayenne avait bien, lui aussi, ses secrètes espérances ; mais il ne pouvait les afficher qu’après une victoire ; il se remit donc en campagne. Avant de quitter Paris, il eut soin de réformer le conseil de l’Union, pour faire entrer ses créatures.

Bataille d’Ivry (1590). ─ Dreux. Mayenne, pour sauver la ville, livra bataille dans la plaine de Saint-André, près d’Ivry (14 mars). Les ligueurs avaient 15 000 à 16 000 hommes, dont 400 à cheval, de sorte que leur front se montrait comme une épaisse forêt de lances ; les royalistes avaient 8000 fantassins et 3000 cavaliers, armés seulement d’épées et de pistolets. On parlait à Henri d’assurer sa retraite en cas de revers : « Point d’autre retraite, dit-il, que le champ de bataille. » Et il ajouta : « Compagnons ! Gardez bien vos rangs ; si vous perdez vos enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur et de la gloire ! »

Tous les escadrons s’ébranlèrent à la fois. Le roi chargea les lanciers français et wallons ; il passa avec les siens sous leurs lourdes et longues lances, les attaqua vigoureusement corps à corps, d’estoc et de taille, et les mit en fuite. Les chevau-légers royalistes cédaient devant un escadron de Wallons ; Henri court à eux : « Tournez visage, leur crie-il, et, si vous ne voulez pas combattre, regardez-moi mourir ! » Au bout de deux heures, toute l’armée de la Ligue était en fuite. La victoire gagné, le Béarnais se rappela qu’il était roi : « Quartier aux Français, cria-t-il, main basse sur les étrangers ! » Cinq pièces de canon, 80 enseignes d’infanterie, 20 cornettes de cavalerie furent les trophées des vainqueurs.

La route de Paris leur était ouverte ; Henri les y mena.

Siège de Paris (1590). ─ Il y avait dans la ville peu de munitions, peu de vivres, et les murailles se trouvaient en mauvais état. Les parisiens suppléèrent à tout par leur exaltation religieuse. Le moine Chrestin avait été chargé d’annoncer au peuple la nouvelle de la défaite d’Ivry, il prit pour texte de son sermon ces paroles de l’Écriture : « Je châtie ceux que j’aime. » Comme il commençait, un courrier aposté vint lui remettre une lettre ; il continua, raconta les longs détails de cette leçon donnée aux siens par le Seigneur, et envoya aux murailles tous ceux qui l’écoutaient. Les prédications de Rose, de Boucher, de Lincestre entretinrent chaque jour cet enthousiasme. La jura de ne point quitter Paris, quoi qu’il advînt, et fit rendre par la Sorbonne un décret qui déclarait, coupable de péché mortel quiconque parlerait de traiter avec le Bourbon, et qui promettait à ses ennemis la palme du martyre.

Trente mille hommes s’enrôlèrent ; on fondit les cloches pour en faire des canons ; un frère de Mayenne, le jeune duc de Nemours, qui se fit recevoir bourgeois de Paris, pour flatter la démocratie de la Ligue, dirigea la défense. Le lendemain du premier assaut, livré le 30 mai, une étrange procession parcourut toute la ville. Les principaux héros de la Ligue, Rose, Boucher, Lincestre, la barbe et la tête rasées, un hausse-col par-dessus le camail et le rochet, l’épée au côté et la pertuisane au bras, ouvraient la marche ; suivaient quatre par quatre, au nombre de 1300, les cordeliers, jacobins, carmes, capucins, feuillants, en ordre de bataille, la hache ou l’arquebuse sur l’épaule, dans un accoutrement moitié religieux et moitié militaire qui avait quelque chose de burlesque et de terrible à la fois ; « l’Église militante » chantant des hymnes entremêlées de salves de mousqueterie, défila devant le légat qui la bénit et traita ces moines de vrais Macchabées, nom que quelques-uns méritèrent à la défense des remparts.

Henri IV ne se flatta point d’emporter d’assaut une ville ainsi défendue ; mais il comptait sur la famine, et coupa tous les arrivages, espérant ainsi abattre les Parisiens. Il ne fit que les élever, selon d’Aubigné, « à un haut degré de vengeance qui sentait le juste et le glorieux. » On supporta la famine aussi bien que la guerre. La mort du vieux cardinal de Bourbon, « vrai roi de théâtre et en peinture, » simplifiait la question (mai 1590), mais rendait la haine des ligueurs plus furieuse. Le 24 juillet, le roi fit donner un assaut : au bout de deux heures les faubourgs furent emportés.

La détresse fut alors à son comble ; après avoir diminué chaque jour la ration de pain qu’on distribuait au peuple, le corps de ville ne donna plus rien ; chacun eut à se pourvoir. On abattit les chevaux, ânes, mulets qui survivaient encore. Tout ce qui avait vie, même des animaux immondes, fut traqué, dévoré. La duchesse de Montpensier refusa de céder un petit chien qu’elle gardait, disait-elle, « comme dernière ressource pour sa propre vie. » Quelques-uns pilèrent des ossements de morts pour en faire une sorte de pâte, et moururent de cet affreux aliment. Chose horrible ! les hommes d’armes commençaient à faire la chasse aux petits enfants ; une mère mangea le sien.

Il y a bien souvent la légende à côté de l’histoire. C’est à la légende qu’appartient le Henri IV laissant entrer des vivres dans Paris qu’il assiège...

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