7/7 Montaigne : « Nature est un doux guide »

Un passage des Essais

Jouir de la vie et ne pas oublier d'en rendre grâce à Dieu. Voilà le propos des dernières lignes des Essais. C'est l'occasion de parler de la pensée religieuse de Montaigne. L'humaniste est l’un des premiers à envisager la construction d’une éthique hors des préceptes de l’Église, un savoir-vivre laïc où le plaisir et la volupté occupent leur juste place.

« Pour moi donc, j’aime la vie, et la cultive telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer [l’accorder]. Je ne vais pas désirant qu’elle eût à dire à [fût exempte de] la nécessité de boire et de manger. Et me semblerait faillir non moins excusablement de désirer qu’elle l’eût double. […] Ni que le corps fût sans désir et sans chatouillement. Ce sont plaintes ingrates et injustes. J’accepte de bon cœur et reconnaissant ce que nature a fait pour moi, et m’en réjouis et m’en loue. On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. Nature est un doux guide, mais non pas plus doux que prudent {sage] et juste. Je quête partout sa piste, nous l’avons confondue de traces artificielles. Pourquoi démembrons-nous en divorce un bâtiment tissu d’une si jointe et fraternelle correspondance ? Au rebours, renouons-le par mutuels services : que l’esprit éveille et vivifie la pesanteur du corps, le corps arrête la légèreté de l’esprit et la fixe ! Il n’y a pièce indigne de notre soin en ce présent que Dieu nous a fait, nous en devons compte jusqu’à un poil. C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Nous cherchons d’autres conditions pour n’entendre l’usage des nôtres. Nous avons beau monter sur des échasses, encore faut-il marcher de nos jambes ! Et au plus élevé trône du monde, si [pourtant] ne sommes-nous assis que sus notre cul ! Les plus belles vies sont à mon gré celles qui se rangent au modèle commun et humain avec ordre, sans miracle, sans extravagance. Or la vieillesse a besoin d’être traitée un peu plus tendrement. Recommandons-la à ce Dieu protecteur de santé et de sagesse, mais gaie et sociale. " Ô Apollon, je t’en prie, accorde-moi l’aisance et la santé, et un esprit intact, et une digne vieillesse bercée aux sons de la cithare." »

Montaigne, Les Essais, éd. J. Céard, ouvrage cité, III, 13, « De l’expérience », p. 1735-1740 (dernières pages des Essais). Traduction de la citation finale d’Horace par Alain  Legros.

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