4/7 Montaigne : « Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine »

Un passage des Essais

Montaigne conserve un souvenir mitigé de ses jeunes années au collège de Guyenne. Selon lui, l'instruction qu'il a reçue n'est pas totalement satisfaisante. Suite aux sollicitations de son amie Diane de Foix, l'humaniste rédige le chapitre « De l’institution des enfants », dans lequel il insiste sur la nécessité, pour l’instituteur, de développer une pédagogie active du sens critique.

« Je voudrais qu’on fût soigneux de choisir [à l’enfant] un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requît tous les deux, mais plus les mœurs et l’entendement [l’intelligence] que la science, et qu’il se conduisît en sa charge d’une nouvelle manière. On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cette partie, et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre [en piste], lui faisant goûter les choses, les choisir, et discerner d’elle-même. Quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente [pense] et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. […] Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son train, et juger jusqu’à quel point il se doit ravaler [abaisser] pour s’accommoder à sa force. À faute de cette proportion, nous gâtons tout. Et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est une des plus ardues besognes que je sache. Et est l’effet d’une haute âme et bien forte, savoir condescendre à ses allures puériles et les guider. […] Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance. Et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages, et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore [dès lors] bien pris [assimilé] et bien fait sien. C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire [digérer]. »

Montaigne, Les Essais, éd. J. Céard, ouvrage cité, I, 25, « De l’institution des enfants », p. 230-231.

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