Une lettre de Descartes volée au XIXe siècle, rendue à la Bibliothèque de l’Institut de France

Retransmission de la cérémonie du 8 juin 2010
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Au nom d’Haverford College, son président, le professeur Stephen G. Emerson remet à la Bibliothèque de l’Institut de France une lettre de Descartes de 1641, retrouvée par des chercheurs néerlandais dans son université américaine, qui en avait fait l’acquisition en 1902, en toute légalité. Canal Académie vous propose d’écouter l’intégralité de cette cérémonie qui s’est déroulée, le 8 juin 2010, dans la magnifique Bibliothèque de l’Institut, quai Conti à Paris.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : foc596
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Extrait de la lettre de Descartes, datée de 1641, conservée à la Bibliothèque de l’Institut de France


Le retour de cette lettre de Descartes à l'Institut de France est un événement à plus d'un titre.

Sur les 800 lettres connues de Descartes, seulement 280 ont été recensées. En 2009, Erik-Jan Bos, philosophe, chercheur de l'Université d'Utrecht découvre une lettre autographe datée de 1641, dans le catalogue d'une université américaine, Haverford College. Il en demande une copie par mail et comprend qu'il est en présence d'un lettre exceptionnelle, non retranscrite dans les éditions existantes de la correspondance de Descartes.

Descartes

La lettre retrouvée appartenait à un ensemble de 75 lettres du célèbre philosophe, légué en 1676, à l'Académie royale des sciences, par Gilles Personne de Roberval. Après la suppression des Académies royales au moment de la Révolution française, les archives furent transférées à l'Institut de France, créé en 1795.

Au XIXe siècle, le comte Libri (1803-1869), mathématicien, membre de l'Académie des sciences, professeur au Collège de France, bibliophile passionné a littéralement volé, à la Bibliothèque de l'Institut, 72 des 75 lettres de Descartes écrites à Mersenne, religieux érudit et ami du philosophe, véritable représentant de Descartes pendant le séjour du philosophe en Hollande. Le comte Libri eut le temps de vendre sa collection avant de s'enfuir en Angleterre, condamné par contumace.

Il les revendit à Charles Robert, étudiant d’Haverford qui commença en 1860 une collection de lettres. A sa mort, en 1902, sa veuve confia à Haverford College les 12 000 lettres de la collection de son époux.

La valeur de la lettre retrouvée est inestimable. A titre comparatif,
en 2008, une édition ancienne d'un ouvrage de Descartes s'est vendu 86 000 euros et les lettres peuvent atteindre 200 000 euros.

Stephen G. Emerson remet la lettre de Descartes découverte dans son Université d’Haverford au chancelier de l’Insitut de France, Gabriel de Broglie, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie


L'université d'Haverford, dans la périphérie de Philadelphie, a décidé de rendre, tout à fait spontanément à titre grâcieux, cette lettre, découverte dans un des fonds de ses collections. La bibliothèque d'Haverford College, la Magil Library possède 42 000 ouvrages dont certains datent du XVII e siècle.

Immédiatement authentifiée, cette lettre confirme que Descartes a reçu les premières feuilles imprimées des Méditations et les Objections de Pierre Gassendi. La lettre contient les réactions et les commentaires de Descartes à la lecture de ces documents, avant la version définitive pour l'impression des Méditations. Pour les spécialistes, la nouveauté réside dans la demande de Descartes de supprimer trois textes qui ne figurent effectivement pas dans la version définitive.

Il s'agit de la suppression de la traduction latine de la Partie IV du Discours de méthode (1637) — traduction qui aurait dû être insérée avant le texte des Méditations ; la préface au lecteur des Méditations, et l’introduction aux Objections et Réponses. Cet ensemble doit être remplacé par une nouvelle préface au lecteur, que Descartes envoie avec sa lettre et qui est celle que l’on connaît. Il s'en explique dans cette fameuse lettre. Un Français, gentilhomme de Touraine qui vient de faire une visite, lui a dit tant de bonnes choses sur Pierre Petit (1598–1677), qui auparavant s’était montré très critique à l’égard du résumé de la métaphysique cartésienne dans le Discours, que Descartes croit être obligé d’adoucir les remarques très dures sur Petit qu’il s’était permises dans les préfaces initialement prévues. Il opte au final pour quelques remarques plus générales sur les critiques qu’on lui a faites sur le Discours, sans nommer personne.

Jean-Luc Marion, membre de l’Académie française, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie

Dans cette retransmission, vous entendrez :

Jean Mesnard, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie

- l'allocution de Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut
- l'allocution de Jean-Luc Marion, de l'Académie française
- l'allocution de Jean Mesnard, de l'Académie des sciences morales et politiques
- la réponse du professeur Emerson, président d'Haverford College.

Pour marquer l'événement et remercier Haverford College pour l'élégance de son geste généreux, une cérémonie s'est déroulée le 8 juin 2010, dans la Bibliothèque de l'Institut de France, au cours de laquelle Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut a remis, pour Haverford College, à son président Stephen G. Emerson, un prix de 15 000 euros, pour les soins apportés à la conservation de la lettre tout au long de ces années et pour avoir spontanément rendu la lettre au légitime propriétaire. En tant que président de la Fondation Simone et Cino del Duca-Institut de France, qui œuvre principalement dans les domaines des arts et lettres, Gabriel de Broglie a proposé que ce prix symbolique soit alloué à la promotion et à la défense de la langue française, au sein de cette université américaine.

Stephen G. Emerson, recçoit un prix de la Fondation Cino del Duca, 8 juin 2010, Bibliothèque de l’Institut de France
© Canal Académie


En savoir plus

- Dossier sur cette lettre de Descartes de 1641, restituée à l'Institut de France, le 8 juin 2010, par Haverford College, sur le site de la Bibliothèque de l'Institut de France.

A écouter aussi :

notre émission Interviews autour d’une lettre de Descartes : Théo Verbeek, Jean-Luc Marion, Erik Jan Bos et Mireille Pastoureau

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