L’enseignement de l’économie dans les lycées : une réforme nécessaire

Remise du rapport de l’Académie des sciences morales et politiques au ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos
Bertrand COLLOMB
Avec Bertrand COLLOMB
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Pierre-André Chiappori a présenté les grandes lignes du rapport de l’enseignement de l’économie dans les lycées ; un rapport qui épingle sérieusement les programmes actuels et les manuels de cette discipline. Experts étrangers et économistes de l’Académie des sciences morales et politiques font le bilan, dans un rapport parallèle au rapport Roger Guesnerie.

_

Pierre-André Chiappori

Remis officiellement au ministre de l'Education nationale Xavier Darcos le 7 juillet 2008, le rapport de l'Académie des sciences morales et politiques sur l'enseignement de l'économie dans les lycées a été présenté au grand public le lendemain.

Ce groupe de recherche s'est réuni à l'initiative propre de l'Académie des sciences morales et politiques, en décembre 2007, et a abouti à la même conclusion que le rapport Guesnerie commandé par le ministre Xavier Darcos :
L'enseignement de l'économie en France semble multiplier les « incohérences ».

Canal Académie retransmet la présentation de la synthèse de ce rapport réalisé par Pierre-André Chiappori, professeur d‘économie, à la Columbia University, auteur de la synthèse des rapports des quatre experts internationaux suivants auquel s'ajoute son nom :
- Jose Scheinkman, professeur d‘Économie, Princeton University
- Xavier Vives, professeur d‘Économie et finances à l‘IESE Business School, Madrid et Barcelone
- Sir Tony Atkinson, Senior Research Fellow, Nuffield College, Oxford
- Martin Hellwig, directeur du Max Planck Institut zur Erforschung von Gemeinschaftsgütern, Bonn

Voici l'introduction de ce rapport :

L'enseignement des sciences économiques et sociales tel qu‘il est pratiqué au lycée dans une filière de l‘enseignement général fait l‘objet depuis quelques années de critiques de plus en plus nombreuses qui concernent tant les programmes que les manuels. Ces critiques sont d‘origines très diverses : universitaires, hommes et femmes d‘entreprises, parents d‘élèves, cercles de réflexion, etc. Or, cette discipline occupe une place centrale dans une filière qui est suivie par 30 % des bacheliers de l‘enseignement général. Les membres de l‘Académie des sciences morales et politiques, notamment ceux de la section Économie politique, statistique et finances, se sont inquiétés de cette situation de longue date. Ils ont décidé, en décembre dernier, de constituer un groupe de travail pour échanger leurs analyses sur les programmes et sur quelques manuels dont ils disposaient.

1/ Ce groupe de travail a rapidement dégagé un consensus sur des réflexions assez préoccupantes.

À partir des programmes tels qu‘ils sont établis, il paraît difficile d‘atteindre l‘un des deux objectifs qui ont été assignés à cet enseignement : apporter des connaissances de base préparant les élèves à des études universitaires ultérieures dans les disciplines concernées. En effet, faute de partir des concepts simples et des mécanismes fondamentaux sur lesquels repose la science économique, ces programmes ne permettent pas d‘acquérir le savoir de base dans ce domaine. Ils sont en outre tellement ambitieux qu‘ils risquent de condamner l‘enseignement à une approche approximative et impressionniste. L‘approche par thèmes qui est privilégiée implique une pluridisciplinarité qui n‘est guère concevable en l‘absence de toute base disciplinaire dans les différentes sciences concernées. Les quelques manuels feuilletés par des membres du Groupe ont malheureusement confirmé cette analyse. Ils y ajoutent une réelle incertitude quant à la capacité de cet enseignement à atteindre le deuxième objectif qui lui est assigné : concourir à la formation de citoyens aptes à saisir les enjeux des choix économiques et sociaux. La vision que ces quelques ouvrages donnent de l‘économie et de la société française est affectée d‘un biais vraiment pessimiste. Leur ton est négatif, et assez compassionnel. Le choix des textes et des illustrations parait trop souvent relever de présupposés - dans certains cas assez idéologiques -, notamment vis à vis du marché. Enfin, l‘analyse se réduit trop souvent à l‘expression d‘une série d‘opinions. Tout cela risque d‘inculquer aux élèves l‘idée qu‘on peut traiter ces problèmes complexes à partir d‘analyses superficielles et que, dans ce domaine, des discours de qualité scientifique très inégale peuvent être mis sur le même plan. Cela risque d‘orienter le futur citoyen vers un relativisme généralisé.

2/ Compte tenu du caractère très préoccupant de ce constat, le groupe de travail de l‘Académie des sciences morales et politiques a estimé indispensable de faire procéder à une analyse de ce problème par des experts incontestables.

Grâce au professeur Georges de Ménil, cinq éminents spécialistes, enseignants et chercheurs dans des centres universitaires étrangers d‘une grande notoriété, et qui pratiquent le français, ont bien voulu accepter une tâche délicate et précise : évaluer le contenu des programmes, du double point de vue de leur cohérence globale et de leur pertinence vis à vis de la mission qui leur est assignée ; et porter un jugement sur les manuels scolaires les plus utilisés, en termes de cohérence, de contenu et de qualité pédagogique. Ces experts sont Sir Anthony B. Atkinson (Oxford University), Pierre-André Chiappori (Columbia University), Martin Hellwig, (Max Planck Institute for Research on Collective Goods Bonn), José Scheinkman (Princeton University), Xavier Vives (IESE Business School Barcelone)
Les analyses de ces cinq experts sont ici rassemblées, après avoir été traduites en français pour certaines d‘entre elles. Avec l‘accord de tous, Pierre-André Chiappori, a bien voulu se charger d‘en établir la synthèse, et de proposer les grandes lignes d‘une réforme. Les conclusions de ce remarquable travail sont très claires. Elles recueillent l‘adhésion sans réserve des membres du groupe de travail de l‘Académie.

3/ Une réforme complète de cet enseignement est indispensable et urgente.

Le groupe de travail est convaincu que cette réforme ne doit pas conduire à l‘abandon de la filière économique et sociale, mais au contraire à la définition d'un enseignement des sciences économiques et sociales qui permette d‘en faire une filière d‘excellence, comme devraient l‘être toutes les filières qui conduisent au baccalauréat. Cela suppose que, dans les programmes et dans l‘enseignement, la science économique soit bien distinguée des autres disciplines des sciences sociales comme le recommande le rapport de synthèse de M. Chiappori. Cela permettrait de former les élèves aux concepts et aux méthodes qui constituent la base de l‘analyse économique. Une telle formation serait aussi riche de connaissances et de compétences potentielles que l‘apprentissage de la science physique dans la filière S. L'enseignement des autres sciences sociales, lui aussi redéfini, pourrait faire l'objet d‘un enseignement distinct, le cas échéant parallèle. Comme pour l‘histoire-géographie les deux enseignements pourraient naturellement être assurés par les mêmes professeurs. Il conviendrait bien sûr de donner aux enseignants actuels qui en ressentiraient le besoin le complément de formation qu'ils jugeraient nécessaire. Ainsi conçue, c‘est à dire fondée sur l'acquisition des bases méthodologiques solides dans chacune des disciplines, la pluridisciplinarité peut être féconde.

Quelle que soit l‘organisation qui résultera de la réforme du lycée, il ne fait pas de doute qu‘une formation fondée sur un tel enseignement de la science économique pourrait vraiment être un élément essentiel d‘une voie d‘excellence vers le baccalauréat. Pour y parvenir, il serait sans doute souhaitable de relever un peu le niveau de l‘enseignement des mathématiques, qui l‘accompagnerait, par rapport aux ambitions actuelles de la filière ES, notamment pour faciliter un premier accès des élèves aux concepts nécessaires à l‘enseignement de la science économique (probabilités, statistiques, théorie des jeux, etc.). Une telle formation assurerait une excellente préparation à de nombreux parcours de l‘enseignement supérieur. L'Académie des sciences morales et politiques serait prête à apporter son concours à la définition d'un tel programme d'enseignement des sciences économiques et sociales, si le Ministre de l'Éducation nationale le souhaitait. En ce qui concerne l'enseignement de Seconde, qui est optionnel, il devrait être à l‘évidence complètement repensé. Il faudrait le centrer sur l‘apprentissage des concepts et des instruments de base de la science économique, autour de ses acquis les plus assurés, c‘est-à-dire de quelques principes simples expliquant comment les gens prennent leurs décisions et interagissent, quelle est l‘utilité de l‘échange, et le cas échéant, comment le niveau de vie d‘un pays dépend de sa capacité de production. C‘est seulement après une telle redéfinition qu‘un élargissement de cet enseignement à d‘autres publics pourrait être envisagé. Quand aux manuels, il est clair que les problèmes constatés rendent indispensable une analyse critique régulière de leur contenu. L'Académie souhaite vivement que d‘autres institutions prennent, dans deux ou trois ans, le relais de son initiative. Elle espère qu‘il sera possible de rassembler un groupe d‘experts aussi éminents et incontestables que ceux qui ont bien voulu se mobiliser pour cette mission.

En savoir plus :

Télchargez le rapport complet :

Ont participé à l'élaboration de ce rapport :
- Michel Albert, Secrétaire perpétuel de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Sir Tony Atkinson, Senior Research Fellow, Nuffield College, Oxford
- Pierre Bauchet, Membre de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Jean-Claude Berthélemy, Correspondant de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Marcel Boiteux, Membre de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Bernard Bourgeois, Membre de l‘Académie, section Philosophie
- Jean-Claude Casanova, Vice-Président de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Pierre-André Chiappori, Professeur d‘Économie, Columbia University
- Bertrand Collomb, Membre de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Yvon Gattaz, Membre de l‘Académie, doyen de la section Économie politique, statistique et finances
- Martin Hellwig, Directeur du Max Planck Institut zur Erforschung von Gemeinschaftsgütern, Bonn
- Georges de Ménil, Directeur d'études, EHESS, et Professeur invité, Stern School, New York University
- Michel Pébereau, Membre de l‘Académie, section Économie politique, statistique et finances
- Bertrand Saint-Sernin, Membre de l‘Académie, section Philosophie
- Jose Scheinkman, Professeur d‘Économie, Princeton University
- Xavier Vives, Professeur d‘Économie et finances à l‘IESE Business School, Madrid et Barcelone

Cela peut vous intéresser