Pierre Braunstein, l’amoureux des clusters métalliques et des belles molécules

Membre de l’Académie des sciences dans la section Chimie
Pierre BRAUNSTEIN
Avec Pierre BRAUNSTEIN
Membre de l'Académie des sciences

Depuis plus de 30 ans, Pierre Braunstein est un acteur de premier plan dans le domaine de la chimie inorganique et organométallique. Il a notamment été l’un des pionniers dans la synthèse des clusters polymétalliques, molécules dont le cœur métallique est entouré de ligands organiques. Rencontre avec l’académicien pour évoquer ses découvertes, ses rencontres et son implication dans la fondation Kastler qui accueille les chercheurs étrangers en France.

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Pierre Braunstein, membre de l’Académie des sciences dans la section Chimie

Fraîchement sorti de l’Ecole Supérieure de Chimie de Mulhouse, Pierre Braunstein intègre curieusement en 1969 l’Institut d’économie appliquée aux affaires de Strasbourg.

Ce détour permet à notre jeune ingénieur-chimiste de 22 ans d’approfondir des matières enseignées en dernière année de son Ecole: le management, la gestion économique, la gestion des responsabilités. Mais Pierre Braunstein ne s’en tient pas là. En parallèle, il prépare en deux ans une thèse de docteur-ingénieur à l’Université Louis Pasteur sur les complexes organo-métalliques à liaison métal-métal.

Son cheval de bataille: des composés moléculaires, des produits typiquement solubles dans les solvants organiques bien que contenant en leur centre de nombreux atomes métalliques, liés entre eux par des liaisons chimiques directes. Il met les pieds dans un domaine encore nouveau en France, la chimie des clusters, mais en pleine expansion en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

En octobre 1971, il vient de rentrer au CNRS comme stagiaire de recherches, mais part de suite à Londres effectuer un post-doc chez le Pr Nyholm, l’un des « pontes » de la chimie inorganique. Il n’aura hélas pas la chance de travailler longtemps à ses côtés, ce dernier décédera tragiquement quelques semaines après l’arrivée de Pierre Braunstein.
Pierre Braunstein suivra cependant les traces du professeur Nyholm, travaillant sur la chimie de l’or et dans l’extension de ce qu’il avait initié à Strasbourg en chimie du palladium et du platine: réaliser des composés associant or et métaux de transition. « Il est intéressant de voir l’engouement 30 ans plus tard pour la chimie de l’or, surtout dans le domaine de la catalyse où sont utilisés des métaux nobles, mais de matière pérenne, pour faciliter une réaction (alors qu’on pensait ne pas pouvoir l’utiliser pour des réactions chimiques) » explique Pierre Braunstein.

Quelques « applications » de la chimie de l’or :

L’article du CEA Techno(s) n° 86 daté de juillet 2007 donne quelques exemples d’application de la chimie de l’or :
« Les chercheurs du CEA ont mis au point un procédé de fabrication de monomères à base d’or. Ces derniers servent à produire des mousses organiques dopées au précieux métal, pour constituer des cibles lasers de puissance. Une technologie applicable dans les secteurs de la catalyse, des énergies renouvelables et en médecine.
L’or est, par exemple, un candidat potentiel pour remplacer un jour, tout aussi efficacement et à moindre coût, le platine qui tient lieu de catalyseur dans les piles à combustible. Le marché potentiel est considérable. Enfin, les vertus thérapeutiques de l’or sont connues, pour certaines depuis fort longtemps. Des monomères à base d’or pourraient à l’avenir entrer dans la composition de certains antiviraux et antitumoraux. »

Deuxième post-doc à Munich

De retour à Strasbourg comme attaché de recherche au CNRS, Pierre Braunstein prépare son Doctorat d’Etat puis repart en post-doc à la Technische Universität de Munich grâce à la fondation Humboldt. Il travaille aux côtés du fraîchement nobélisé Pr Ernst-Otto Fischer (prix Nobel de chimie 1973) où il s’initie à la synthèse de nouveaux composés organométalliques : les complexes carbéniques et carbyniques.
En effet, quand il arrive dans le laboratoire Fischer, une toute nouvelle famille de molécules vient d’être découverte : les complexes carbynes (qui possèdent une liaison triple entre un métal et un atome de carbone).

De retour à Strasbourg en 1975, Pierre Braunstein travaille depuis à défricher de nouvelles pistes moléculaires dans le Laboratoire de chimie de coordination de l’Institut de Chimie à Strasbourg. Il créé de nouveaux clusters moléculaires, en particulier des clusters mixtes (c’est-à-dire dans lesquels les métaux ne sont pas tous de même nature chimique) : une manière de « solubiliser » les métaux et de profondément modifier leur réactivité.

Il devient ainsi possible d’allier des métaux à l’échelle moléculaire, qui ne seraient pas miscibles entre eux à l’état massique. De nouvelles liaisons chimiques sont ainsi créées …
Aux Etats-Unis, se développe au début des années 1980 l’idée d’utiliser les clusters moléculaires pour la catalyse, en misant sur les synergies entre centres métalliques.

Grâce à une collaboration industrielle, Pierre Braunstein utilise pour la première fois des clusters mixtes comme précurseurs de nanoparticules métalliques pour une réaction de catalyse hétérogène. La carbonylation de dérivés nitrés organiques conduit aux isocyanates sans faire appel au phosgène: « une réaction intéressante car les isocyanates sont les précurseurs de beaucoup de matériaux comme le polyuréthane » précise Pierre Braunstein.

Dans les pots catalytiques de nos voitures

« Dans les pots catalytiques par exemple, il vous faut des particules de métal très dispersées, ce qui veut dire de très petite taille puisque ce sont uniquement les atomes à la surface des particules qui « travaillent ». Plus vos particules sont petites, plus le taux d’atomes en surface est élevé » et moins il vous faut utiliser de métal noble donc cher, résume Pierre Braunstein.
C’est ainsi qu’il invente de nouveaux « duos » jusqu’alors inconnus, associant platine, palladium, or… à d’autres métaux.
Pierre Braunstein créé parallèlement de nouveaux ligands organiques polyfonctionnels, en particulier phosphorés, les fixe à divers métaux pour en faire des molécules à l’architecture fascinante ou possédant des propriétés catalytiques intéressantes vis à vis de petites molécules telles que CO, le gaz carbonique ou l’éthylène. Dans ce dernier cas, une collaboration fructueuse de développe avec l’Institut français du pétrole (IFP).

La fondation Alfred Kastler

Impliqué depuis longtemps dans la Fondation nationale Alfred Kastler, Pierre Braunstein en est aujourd’hui le vice-président. Marchant sur les traces de la prestigieuse fondation Alexander von Humboldt, à laquelle il est très reconnaissant pour la bourse qui lui avait permis de poursuivre ses recherches à Munich et pour les prix de recherche qu’elle lui attribua plus tard, la Fondation nationale Alfred Kastler a pour buts principaux d’améliorer les conditions d’accueil en France des chercheurs et enseignants-chercheurs étrangers et de maintenir le contact avec eux après leur retour dans leur pays.

L’édition scientifique

Fort de son expérience internationale et de sa participation à de nombreux comités éditoriaux de revues scientifiques, Pierre Braunstein est depuis 2002 rédacteur en chef des Comptes-rendus Chimie de l’Académie des sciences.

En savoir plus :

- Pierre Braunstein, membre de l'Académie des sciences
- Fondation Kastler
- Laboratoire de Chimie de Coordination

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