L’essentiel avec... Mgr Claude Dagens, de l’Académie française

Entretien avec Jacques Paugam
Avec Jacques Paugam
journaliste

Mgr Claude Dagens répond à sept questions pour dire ce qui lui parait essentiel dans sa vie personnelle et son itinéraire, dans notre société et dans le monde, dans sa foi et son ministère d’évêque, ses raisons de souffrir et celles d’espérer.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab574
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Le texte ci-dessous est un résumé des propos de Mgr Dagens. Pour en saisir l'intégralité, les nuances, les précisions, il convient d'écouter l'émission.

Elu à l’Académie française comme successeur de René Rémond, reçu sous la coupole le 14 mai 2009, ancien élève de l’Ecole Normale supérieure, agrégé de l’Université, docteur ès lettres et en théologie doyen de la faculté de Toulouse, évêque auxiliaire de Poitiers, puis évêque d’Angoulême depuis 1993, Mgr Claude Dagens est l’une des grandes figures intellectuelles de l’Eglise catholique en France. Il reste surtout le maître d’œuvre, auteur-rédacteur de deux documents importants :
- la lettre aux catholiques de France, 1996, « proposer la foi dans la société actuelle »
- le rapport présenté à l’Assemblée des évêques en novembre 2009 sur le thème « Entre épreuves et renouveaux, la passion de l’Evangile, indifférence religieuse, visibilité de l’Eglise et évangélisation ».

1 – Dans votre itinéraire, quel a été, à vos yeux, le moment essentiel ?

« Certainement l’appel de Dieu, mais c’est une réalité que l’on comprend plus tard. De même que je mesure sur le tard, à longueurs d’avancée dans la vie, ce que j’ai reçu de mes parents qui ne m’ont jamais fait de discours sur Dieu, mais je les voyais vivre dans la droiture et la justice. Depuis l’enfance, je voulais devenir professeur d’histoire. Finalement on m’a orienté vers les lettres mais je souhaitais toujours enseigner l’histoire et puis… Dieu est passé par là ! Alors que j’étais étudiant, j’ai découvert le Christ et j’ai appris à prier d’une manière nouvelle, personnelle. Je me rendais habituellement dans les églises du Quartier latin, notamment à St Jacques du Haut Pas et à travers ma question « Qu’attends-tu de moi ? » la réponse est venue : pourquoi pas prêtre ? Je ne me lasse pas d’être étonné par la manière dont Dieu s'y prend pour intervenir dans nos vies. J’ai mis longtemps à choisir vraiment, et à un certain moment j’ai pris la décision de m’engager. A partir de là, j’ai appris à me laisser conduire. Je n’ai pas de sentiment de différence par rapport aux autres mais celui d’obéissance radicale, de totale confiance. L’une de mes principales épreuves a été d’annoncer mon choix à ma mère, j’étais fils unique. Je n’ai jamais réussi à lui donner des explications efficaces. C’est seulement le jour de mon ordination à Bordeaux, le 4 octobre 1970, qu'elle a senti son opposition se dissoudre ».

La lettre aux catholiques de France a créé l’événement, elle a été traduite en 6 langues. Cette expression « proposer la foi dans la société actuelle » est celle de Jean XXIII (que Mgr Dagens dit aimer beaucoup). Notre invité raconte dans quelles circonstances elle a été élaborée. L’Eglise du Christ doit apprendre à se situer non pas dans une attitude défensive mais en vivant de la force qui est dans l’Evangile et dans la personne du Christ. Cette lettre a ouvert des chemins dans une société qui n’est plus chrétienne.

« Nous devons résister à deux tentations : la nostalgie du passé, continuer à rêver du temps où l’étiquette catholique pouvait apparaître ; et celle du repli, restons entre nous, gérons la pénurie. Or, Jésus dit « allez » et non pas « restez entre vous ».

2 – L'essentiel à dire sur ce que vous venez de faire ou êtes en train de faire ?

Mgr Dagens commente les termes du Rapport présenté à l'Assemblée des évêques en soulignant l'importance de chacun : indifférence religieuse (mais il y a aussi des attentes spirituelles) ; visibilité (celle de l’Eglise n’est pas celle d’un spectacle, mais elle doit être un signe et l’instrument de l’union avec Dieu et l’unité de tout le genre humain).

Dans son ministère, il rencontre bon nombre de gens de tous âges et de toutes conditions qui, disloqués par la vie, demandent à être instruits de Dieu.
« Il se passe du nouveau dans notre Eglise » affirme-t-il en évoquant la vitalité cachée mais réelle à l’intérieur de celle-ci. Un immense réservoir d’énergies inemployées, et le travail d’un évêque et des prêtres est de permettre le déploiement de ces énergies (le contraire du repliement), ce qui passe par des personnes qui deviennent des signes visibles de la bonté de Dieu.

Autre terme commenté : identité catholique : « Un terme lourd que j’ai choisi, car nous avons besoin de l’interpréter et de le pratiquer de l’intérieur. Apprendre à se relier à la tradition catholique (ce n’est pas la répétition des textes). Tradere, en latin, c’est à la fois transmettre et livrer. Or, l’acte principal de la révélation chrétienne, c’est l’acte dans lequel Dieu se livre à l’humanité ».

3 – L’essentiel à dire pour l’évolution du monde et de notre société ?

« Nous ne savons pas assez que notre humanité et l’Eglise au sein de celle-ci, est dans un état permanent d’engendrement, de renaissance. Nous gémissons. Mais nous espérons, attendant ce que nous ne voyons pas. Discerner, grand mot de la tradition chrétienne, c’est voir au-delà des apparences pour aller à l’essentiel. Pour que les signes de la présence de Dieu et de sa fidélité nous apparaissent au-delà même des situations dramatiques visibles, les brisures, les cassures, les solitudes muettes ».

Revenant à l’Histoire, Mgr Dagens rappelle que René Rémond, éminent spécialiste des XIX et XX ème siècle, a souligné les moments de rupture de tradition de notre histoire. Il souhaiterait que les catholiques du XXI ème siècle aient davantage comme référence dominante l’époque des origines chrétiennes (il a enseigné cette période) : Le mélange des religions. La nouveauté chrétienne. L’affirmation de la personne au lieu du principe collectif (chacun avec son caractère unique, irréductible).

4 – La plus grande hypocrisie de notre temps ?

« Voici un mot lourd, qu’on trouve dans l’Evangile « Vous dites et vous ne faites pas » dit Jésus. Peut-être celle de notre temps est-elle de prétendre avoir des réponses à tout. Et en particulier, face aux problèmes de la société, de faire des lois. Hypocrite est le refus de reconnaître ce que chaque personne a d’unique. Et encore de fonctionner selon la problématique du progrès qui a dominé nos idéologies (autant du côté marxisme que libéralisme) promettant « ça va changer » et nous attendons toujours ! Je ne suis pas sûr que nous ayons pris la mesure de la gravité des questions humaines impliquées par les dérèglements économiques. Il faudrait inscrire d’autres logiques raisonnables : une logique du respect (des personnes), une logique de solidarité (pratiquée de manière habituelle) et celle du développement « enraciné » (nous avons besoin à la fois de la macro et de la microéconomie, à la mesure de la limite, de la finitude humaine) pour l’engendrement d’une humanité qui n’en finit pas de naître".

Et notre invité s’explique sur l’engagement et le civisme chrétien, sur « l’humanisme chrétien » (terme qu’il n’apprécie guère), la guerrilla entre les traditions dites laïques et dites chrétiennes.

5 – l’évènement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

« Un événement déjà ancien, la visite du président Sadate à Jérusalem et le dialogue, et tout le travail qui peut se faire encore pour que Jérusalem puisse apparaître comme la capitale de la paix. Le voyage de Benoit XVI a été l’un des jalons importants. Apprendre dans nos sociétés fragmentées à tendre la main. Etre heureux d’accueillir des gens qui viennent d’ailleurs et qui vont trouver parmi nous des raisons de vivre et d’espérer".

Et notre invité ajoute deux remarques : l’une relative à la levée des excommunications ; l’autre relative à la canonisation de Pie XII. Il observe les choix de Benoit XVI (qu’il a bien connu en tant que cardinal Ratzinger) et la profonde continuité entre tous les papes.

6 – Le plus grand échec de votre vie ?

"On juge mal de soi-même. Dieu seul peut juger mais je parlerais plutôt d’une souffrance que d’un échec : lorsqu’on ne perçoit pas, à l’intérieur de l’Eglise, que, dans son état de pauvreté et d’affaiblissement , il y a aussi des signes de renouveau. C’est ma part d’échec… C’est un travail de discernement que de croire que l’Esprit de Dieu continue à faire naître des réalités nouvelles, des éveils au mystère de Dieu. J’ai appris de Grégoire Le Grand (auquel j’ai consacré ma thèse) l’espérance en des temps d’épreuve".

7 – quelle est à vos yeux la signification essentielle de Pâques ?

« J’ai remis l’autre jour un prix de la Bande Dessinée au Festival d’Angoulême, à un « manga » sur la vie de Jésus. La première image : la colline du Golgotha, les trois croix. C’est vrai, mais ce n’est pas l’essentiel du christianisme. Car l’essentiel, c’est un tombeau vide puisque le Christ est ressuscité ».

Et notre invité d’expliquer les trois jours de Pâques, le vendredi de la croix, le samedi de la descente vers la mort, et le dimanche de la Résurrection. « Etre chrétien, c’est déblayer le chemin qui empêche d’accéder à la Source et de dégager en nous-mêmes ce qui obstrue le jaillissement de cette Source » conclut-il.

Le rapport à l'Assemblée des évêques est publié par les éditions Mame.

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