L’essentiel avec... Jean-Loup Dabadie, de l’Académie française

L’académicien évoque des moments essentiels de sa vie
Avec Jacques Paugam
journaliste

Journaliste, romancier, auteur de pièces de théâtre, adaptateur, scénariste et dialoguiste de films, et auteur de plusieurs centaines de chansons et de sketchs, Jean-Loup Dabadie est surtout un poète, amoureux de la langue française.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab709
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Trois fois primé par l’ Académie française, prix Jean Leduc pour le film César et Rosalie et pour La gifle, grand prix du cinéma pour l’ensemble de son œuvre, Jean-Loup Dabadie a été élu le 10 avril 2008, membre de la prestigieuse académie française.
Pour ne citer que dix films sur une trentaine :
- Les choses de la vie
- La poudre d’escampette
- Max et les ferrailleurs
- César et Rosalie
- Le silencieux
- Vincent, François, Paul et les autres
- La gifle
- Le sauvage
- Un éléphant ça trompe énormément
- Nous irons tous au paradis

Et pour ne citer que dix chansons sur plusieurs centaines :
- Le petit garçon pour Serge Reggiani
- Tous les bateaux
- On ira tous au paradis
pour Michel Polnareff
- Maintenant je sais pour Jean Gabin
- Le cœur trop grand pour moi
- Ma préférence
- L’assassin assassiné

- Femmes je vous aime pour Julien Clerc
- L’addition pour Yves Montand
- Chanteur de jazz pour Michel Sardou etc.

1- Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été le moment essentiel ?

- Jean-Loup Dabadie : Sans aucune hésitation ce moment essentiel se passe entre mes cinq ans moins le quart et cinq ans et demi quand mes parents, fous d’écriture et de lecture, se sont mis en tête de m’apprendre à lire et écrire aussi tôt que possible. Avec tout leur amour, ils m’ont tellement appris que j’ai pu entrer à l’âge de 6 ans moins deux semaines en 9ème à l’école rue Pierre Duclos à Grenoble. Ma petite maman, morte il y a trois ans, avait gardé un de mes premiers cahiers d’écolier où l'on vous faisait écrire la date à l’encre violette. Pour m’encourager à travailler, mes parents me donnaient souvent une pièce de cent sous, ou une pièce de deux francs. Je considère que je suis devenu professionnel à cette époque- là. Donc dans mon itinéraire professionnel, c’est ce moment qui a été le plus important. Grâce à mes petits parents chéris, j’avais de l’encre dans mon biberon. Mon père est mort cette année... il écrivait des sketchs pour les radios « privées » comme radio Monte-Carlo. Petit garçon, j’allais aux enregistrements et je me tordais de rire car il écrivait des choses très drôles pour des actrices que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, par exemple Pauline Carton. Nous vivions dans un minuscule appartement. Un jour il a commencé à écrire des chansons, en général des chansons d’amour. Mais sa chanson la plus connue connue est celle pour les frères Jacques qui s’appelle "le général Castagnetas". Ils avaient eu beaucoup de succès. Il a aussi écrit pour Maurice Chevalier, Tino Rossi, et des tangos pour les grandes chanteuses de tango puisque ce genre était à la mode à cette époque.

Si l'année de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, l'année de mes cinq ans reste essentielle pour moi, 1967 est une autre date importante parce que déterminante dans ma décision d'écrire pour le Théâtre; et la vie a fait en sorte que mon travail d'écriture de chansons est venu se greffer malgré moi, à cette même époque.
Ma première pièce de théâtre "La famille écarlate" est en effet créée en 1967 au Théâtre de Paris ; l'acteur Pierre Brasseur m'avait choisi comme auteur, ce qui fut pour moi un grand honneur et qui reste un grand souvenir; il jouait aux côté de la grande Françoise Rosay, avec aussi d'autres acteurs comme Rosy Varte; j'étais vraiment très chanceux.

Un jour, Serge Reggiani me téléphone à Meudon où j'habitais et il me dit "Voilà, on m'a proposé un rôle dans votre pièce, je n'étais pas libre", cela n'était peut-être qu'une politesse du cœur, peut-être le rôle ne l'intéressait-il pas... " Mais votre écriture me plaît vraiment, je voudrais que vous m'écriviez des chansons" Je lui réponds :"Ah! Monsieur, comme disait Jean Cocteau: "je suis obligé de refuser l'honneur que vous me faîtes", parce que je ne sais pas écrire de chanson, je n'ai jamais écrit de chanson ; j'ai écrit des petits romans, pour gagner ma vie j'ai fait des sketchs radiophoniques pour Henri Salvador, je commence au théâtre..." Serge me répond "C'est pour cela que je viens vous chercher." Serge Reggiani, ce grand acteur de Sartre, de Becker "Casque d'or" venait d'enregistrer un disque de chansons de Boris Vian; cela lui avait bien plu de chanter et il souhaitait chanter des chansons écrites par des auteurs vivants et il me dit cette chose formidable, c'était la grande époque de Gilbert Bécaud: " Évidemment, je ne vais pas aller faire mon marché auprès des auteurs de Gilbert Bécaud" les phénoménaux : Maurice Vidalin, Louis Amade, un peu Delanoé aussi..." Si je vais les solliciter et qu'ils acceptent par politesse, je vais avoir l'air de marcher sur les plates-bandes de Gilbert, donc je cherche des nouveaux auteurs; et le fait que vous me disiez que vous ne savez pas écrire de chanson, m'encourage... Mais voilà, nous sommes vendredi et je commence à Bobino, le très joli Music-Hall petit frère de l'Olympia, mardi en première partie de Barbara; il me manque une chanson, il faut la faire avant mardi parce qu'il faut aussi composer la musique etc." Alors, je me suis lancé complètement à l'aveuglette ; j'écrivais tellement le stylo sous la gorge que dans cette chanson "Mon enfant, mon amour", certains vers ne riment pas avec les autres ; je n'avais pas eu assez le temps de chercher ; je me rappelle qu'à la fin du premier couplet : "On est là tous les deux - Seuls -" je n'avais pas de dictionnaire de rimes, je réfléchis, il n'y a que des rimes impossibles : "gueule, épagneul, tilleul, linceul..." Alors du coup, je me suis lancé : il n'y aura pas de rime en "eul"! A d'autres moments des vers sont répétés, j'en ai averti Serge, en lui disant que certains passages n'obéissaient pas à une poétique régulière, il m'a répondu: "C'est ce que j'aime" Et il a chanté "Mon enfant, mon amour" en l'état. Je dois à Serge Reggiani tout ce que j'ai pu faire ensuite dans mes chansons.

La chanson contre la peine de mort...

Un autre grand moment d'émotion que j'ai vécu avec lui, c'est lorsque Julien Clerc qui a écrit une musique admirable sur ma chanson "L'assassin assassiné", se bloque en la répétant, comme cela arrive aux grands artistes ; sans me prendre pour un grand artiste, c'est ce qui m'était arrivé lorsque je me suis bloqué en plein milieu d'écriture du film "César et Rosalie"; j'avais dit à Claude Sautet "J'arrête, je ne peux plus supporter cette Rosalie, plus j'écris et plus elle m’insupporte!" Je suis parti faire un film avec François Truffaut et au retour j'ai pu terminer "César et Rosalie" . Pour en revenir à Julien Clerc et à la chanson "L'assassin assassiné", Julien au moment de la chanter a eu un blocage, il a eu peur, parce qu'il n'était pas un chanteur engagé, au contraire de Michel Sardou qui à la même époque faisait un carton avec la chanson "Je suis pour"; et Julien redoutait de voir à la une de Podium, le journal de Claude François, "le match Michel Sardou-Julien Clerc" ... La première chose que j'ai faite devant lui : j'appelle Robert Badinter qui menait sa grande bataille pour l'abolition, et je lui dis:"Écoutez, Robert, je vous prends comme juge de chaise (car il venait souvent à Roland-Garros) Julien a des réticences, est-ce que je peux vous lire les paroles de ma chanson au téléphone? "Là, démonstration de grande générosité de Robert Badinter qui arrête toutes ces affaires en cours, pour me répondre : "Allez-y". Je lui lis les paroles de la chanson, avec mon Julien à côté, et c'est vrai qu'à la fin, Robert Badinter m'a dit des choses très, très agréables en insistant : "Qu'il la chante, qu'il la chante, c'est votre façon à tous les deux de nous aider". 64% des Français à l'époque étaient pour le maintien de la peine de mort. Julien commence donc à la répéter et il se bloque malgré tout ça en me disant "Jean-Loup, je vais avoir une telle angoisse au moment de la chanter" et il me dit :"Tu ne verrai pas quelqu'un d'autre?" Sur le moment, je lui dis non, je ne voyais pas un autre interprète, j'avais écrit la chanson pour lui... Cela ne m'est jamais arrivé d'écrire une chanson pour quelqu'un et d'essayer ensuite comme on dit de la "placer" ailleurs ; et puis, l'idée me vint comme j'aimais beaucoup Serge Reggiani et qu'il me rendait cette affection, de demander un rendez-vous à Serge, et de m'y rendre avec Julien. Serge habitait dans le Marais, dans des Bains Douches aménagés pour toute sa famille. Nous voilà partis avec Julien, sa partition, et moi mes paroles ; Serge nous accueille très gentiment, et Julien se met au piano et il commence à chanter la chanson ; et lui qui ne l'avait jamais chantée publiquement, il la chante avec une telle émotion qu'à un couplet de la fin, Serge éclate en sanglots, boit un coup de Bordeaux... Julien, tétanisé, va tout de même jusqu'au bout de la chanson et là Serge nous dit "Je ne pourrai jamais la chanter car je ne pourrai jamais aller jusqu'au bout " . C'est un beau souvenir d'artiste, nous avons vécu dans cette pièce une émotion immense avec ces deux grands artistes, à une génération d'écart. Pour la suite, au cours d'une émission TV sur FR3, je devais réunir sur le plateau des artistes amis tels que Simone Signoret, Serge Reggiani, Guy Bedos, et j'appelle Julien en lui citant Nietzsche (Quelle honte d'avoir dérangé Nietzsche) :"L’œuvre non publiée n'existe pas, alors pour l'Assassin assassiné, fais-moi ce plaisir, cet honneur immense, mon Julien, au moins une fois dans ma vie, de venir la chanter en direct dans cette émission..." Il me répond, et ça c'est la spécialité des chanteurs :" Mais j'ai perdu les paroles" C'est tout le temps la même chose, même lorsqu'ils doivent enregistrer la semaine prochaine, ils sont toujours à demander:"Tu n'aurais pas un autre exemplaire, j'ai perdu les paroles" ... Je me souviens, Julien s'est mis au piano, il avait ses longues boucles noires, il a donc chanté pour la première fois ma chanson en public, l'émotion était à son comble, le standard de l'émission s'est bloqué, l'animateur répétait "N'appelez plus"... Julien partait ensuite en tournée, et il commençait par une ville qui n'était pas des plus abolitionnistes : Nice. Il fait un grand succès, et tout à coup, pris d'un élan, il sort les paroles de "L'assassin assassiné" les place sur son pupitre, et chante, et là, à la fin, les gens étaient debout. Il m'appelle en me disant :"Il m'est arrivé une chose extraordinaire, les gens étaient debout mais je ne suis pas sûr qu'ils aient compris toute la chanson...!" car en effet, elle n'était jamais passée à la radio, peu de gens la connaissaient. Julien a continué de la chanter jusqu'à l'abolition ; et même maintenant, il s'entend dire "Rechante-la", ce n'est pas parce que la guerre est finie qu'il ne faut plus parler de la guerre!

2-Qu’est ce qui vous paraît essentiel à dire sur votre domaine d’activité ?

- J.- L. D. : Mon domaine d’activité en ce moment, ce ne sont pas les chansons. On vient de finir avec Julien Clerc son dernier album, avec une chanson faite ensemble qui s’appelle « le temps d’aimer ». Puis sur ces entrefaites, j’ai écrit le scénario d’un film et une pièce qui s’appelle « Villa Catherine ». Elle est actuellement en lecture chez des directeurs de théâtre, chez des comédiens. Pour moi il serait idéal qu’elle soit jouée l’année prochaine.

- J.P : Votre itinéraire au théâtre est curieux car vous commencez par une pièce extrêmement sérieuse, vous étiez tout jeune. Et à 19 et 20 ans vous écrivez deux romans très graves.

- J.- L. D. : C’est l’âge où l'on prend la gravité pour du talent ! Et la comédie pour de la légèreté. Vous savez ce que disait Pagnol : méfiez vous des gens tristes ils sont rarement sérieux !

- J.P : Ensuite vous choisissez l’adaptation. Et pas avec n’importe qui ! Vous prenez les meilleurs.

© Brigitte Eymann

- J.- L. D. : Ce ne sont pas les auteurs étrangers qui m’ont choisi, ce sont des comédiens. Par exemple Poiret et Serrault, ces deux génies. J’avais écrit quelques sketchs pour eux pour la télévision. Quelques uns seulement car Jean écrivait tellement bien, c’est un très grand artiste, l’artiste complet que j’ai le plus admiré, qui m’a le plus inspiré. Tellement brillant, tellement intelligent, sympathique et doux. Ils sont donc venus me voir, tous les deux pour me dire qu’ils avaient lu une pièce de deux auteurs anglais Chapman et Cooney, mais ils souhaitaient que je l’écrive pour eux. Cette pièce que j’ai complètement réécrite, c'est « Le vison voyageur ». Des années après, j’ai adapté pour Pierre Dux un texte d’Israël Horovitz, qui souhaitait la jouer avec Jane Birkin. « Quelque part dans cette vie ». Et ils ont voulu que je la mette en scène. C’est la seule fois où je me suis occupé de la mise en scène. Grand souvenir pour moi endeuillé par la mort de Pierre pendant les représentations.

- J.P : Vous avez écrit plus de trente films, plusieurs centaines de chansons et de sketchs et pourtant il semblerait que l’écriture soit pour vous une torture comme pour Flaubert. est-ce vrai ?

- J.- L. D. : Oui ; que disait Flaubert à ce sujet ? « On n’arrive au style qu’au prix d’un labeur atroce ».

- J.P : Vous avez mis 7 mois pour écrire « Ma préférence » ?
- J.- L. D. : Oui. Mais heureusement sinon ma famille aurait été réduite à la famine. Je faisais un film en même temps.

-
- J.P : C’est vrai que le plus difficile à écrire ce sont les chansons ?

- J.- L. D. : Oui, pour moi.

- J.P : Souvent vous les écrivez avant d’avoir la musique ?

- J.- L. D. : C’est une question très fine ce qui ne m’étonne pas de vous ! En plus vous connaissez les réponses ! J’aime bien dire que la chanson a un avantage, c’est que le mot fin, que l’on n’écrit jamais, est plus proche que dans les autres disciplines. Il faut écrire une histoire qui dure 3 minutes et demi ou 3 minutes 45 ; si on n’y arrive pas ou si elle n’a pas de succès, ce n'est pas un drame. On a du chagrin certes mais ce n’est pas un drame. Si en revanche on écrit un livre, un scénario de film, une pièce de théâtre, qu’il y a fallu des mois de travail, et que vous publiez cela à l’abri du succès, vous vous sentez dans le noir ! Le fait de pouvoir se dire que la douleur sera moins longue, c’est un avantage. L'exercice d’écriture exige le plus de contraintes. Si vous écrivez les paroles avant, c’est que vous savez que votre interprète aura 3 minutes et demi au milieu de son tour de chant. Imaginons que votre chanson est en numéro 7. Il y aura 6 chansons avant, 6 histoires différentes, parfois un morceau qui balance, ou une balade. Et tout d’un coup l’orchestre attaque et c’est votre histoire que le chanteur ou la chanteuse commence à interpréter devant le public. Lequel public doit être capté par l’histoire. Il faut que les mots rentrent dans la musique. Il faut que les mots choisis correspondent à l’univers de l’interprète et à ce que le public attend de lui. Au moment de « Ma préférence », quand j’ai trouvé le sujet, « mais elle est ma préférence à moi », je me suis dit que j’allais trouver le plus de rimes possibles en « -ence », pour Julien, car c’est une rime très chantante : danse, préférence, romance, différence, indifférence… Alors que pour Michel Sardou, il aurait fallu autre chose.

3- Elargissons notre regard sur l’évolution du monde et de notre société, quelle est l’idée essentielle que vous aimeriez faire passer à ce propos ?

- J.- L. D. : Si dans le dictionnaire en cours de notre Académie, vous cherchez le mot "essentiel" vous trouverez «nécessaire, indispensable» avec comme exemple « l’eau est essentielle à la vie ». Ça, c’est une des beautés du Dictionnaire de l’Académie française et du travail de mes aînés que j’ai la chance de voir tous les jeudis. La clarté de leur esprit, c’est ça la lumière du Dictionnaire de l’Académie française. Un beau langage élagué de toute espèce de minauderie. Ne sont pas cités des auteurs compliqués.
Ma pensée n’est pas essentielle à l’évolution du monde, de notre société. Ce qui me frappe dans cette évolution, c’est que je vois à la fois un progrès de la fraternité, de la générosité individuelle pour des pays très lointains (des ONG qui cherchent de l'argent, des gens très modestes qui mettent la main à la poche) ; et en même temps je n’arrive pas à comprendre que l’on ne puisse pas arrêter les massacres ni les tortures en Syrie. Les grandes instances prétendent s’y mettent, cela empire, on tire à balles réelles sur des gens, on les emprisonne, on les massacre. Il y a des réunions à Bruxelles, aux États-Unis et au final, on dit ne pas être arrivé à un accord ! C’est inouï !

Jean-Loup Dabadie, de l’Académie française au studio de Canal Académie (juin 2012)
© Clément Moutiez

4- Quelle est pour vous la plus grande hypocrisie de notre temps ?

- J.- L. D. : Que les gens soient de gauche, de droite, à l’étranger, plus près de nous : les campagnes électorales. Je les trouve, dans la forme, empruntes d’ hypocrisie. Pour arriver au pouvoir. C’est le jeu bien entendu. Ça me semble une hypocrisie de faire croire qu'on est plus beau ou qu'on va l'être.

5- Quel est l’évènement de ces dernières années, ou la tendance apparue ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

- J.- L. D. : Ma réponse pourra sembler un peu banale. Les seuls vrais moments de grand espoir, c’est de voir que la science arrive à faire un progrès qui peut alléger un peu la souffrance des gens. Un millimètre de progrès dans la lutte contre le sida par exemple. Je parle du sida mais chaque fois qu’il y a de petits progrès, cela me donne de l’espoir. _

6-
Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment l’avez-vous surmonté ou avez-vous tenté de le surmonter ?

- J.- L. D. : J’avais 17 ans et je vivais avec mes parents à Paris. Nous étions dans un tout petit appartement. Je suis entré en hypokhâgne à 16 ans et en khâgne à 17 ans à Louis- le-Grand. Et pendant les vacances, je me mets à écrire un livre. Quand nous rentrons à Paris, ma mère tape mon texte et l’envoie chez Julliard, chez Grasset et aux éditions du Seuil. Julliard me répond négativement. Et puis réponse de Grasset, de Hervé Bazin, le grand Hervé Bazin de Vipère au poing. Il m’envoie un mot manuscrit «voilà monsieur j’ai lu votre roman. Malgré les scories et les naïvetés qui l’encombrent, il y a des pages qui m’ont soufflé. » En gros il me dit : Je voudrais que vous veniez retravailler avec moi avant la publication. Mon sang ne fait qu’un tour. Je lui ai écrit une lettre délirante du jeune homme de 17 ans que j’étais. Je l’appelle. Il me dit « J’habite Chelles, en ce moment on fait toutes les peintures de la maison. Dès qu'elles sont finies, je vous appelle et nous commençons le travail chez moi pour être tranquilles». Une semaine se passe, puis deux, puis trois, et un mois et demi se passe. Pas de nouvelles. Bravant ma timidité je l’appelle. Il s’excuse, m’explique : « Je suis vraiment embêté, j’allais vous écrire ou vous téléphoner. Les travaux ont pris plus de temps que prévu. Là je dois faire un voyage mais dès que je reviens je vous appelle et on s’y met ». Deux mois passent. Trois mois. Quatre mois. Les pires de ma jeune vie. Pas de nouvelles. Alors je vais rue des Saints Pères chez Grasset et je glisse un petit mot dans la boîte. Je n’ose pas le rappeler. Mes parents qui étaient gens d’honneur ne voulaient pas que je le porte ailleurs. « Un grand monsieur comme cela nous a fait cet honneur ! ». Et je reçois une lettre également manuscrite. « Cher monsieur, une première lecture de votre manuscrit m’avait emballé, une deuxième m’a laissé beaucoup plus circonspect, j’ai également recueilli des avis autour de moi qui sont plutôt défavorables, courage ! Pour le moment à travailler ensemble, nous perdrions l’un et l’autre notre temps. » Phrase que je n’oublierai jamais de ma vie. J’en ris maintenant mais j’ai beaucoup pleuré à l’époque.

7-Quelle est aujourd’hui votre motivation essentielle dans la vie ?

- J.- L. D. : Je voudrais sans cesse continuer à lire-écrire-lire-écrire lire-écrire. On rejoint un peu ma petite enfance. Il n'y a pas tellement longtemps que je me suis aperçu que lire beaucoup vous aidait à écrire. Ça peut paraître très banal. Mais je suis sûr qu’un grand nombre d’écrivains de talent ne lisent pas beaucoup car ils considèrent que cela les encombre. De même pour les cinéastes qui ne veulent pas voir d’autres films, surtout ceux de l’année, car ils ont peur de faire moins bien.
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Les deux derniers romans que j’ai lus passionnément, je n’en parle pas parce que ce sont deux amis de l’Académie, celui de Jean Christophe Rufin, Jacques Cœur, et celui de François Weyergans, Royale romance. Et un que j’ai découvert et qui va paraître à la fin de l’été de Claude Arnaud chez Grasset, Brève saison au paradis. C’est un livre extraordinaire d’une écriture magnifique, d’une culture magnifique.
Cependant je lis constamment des livres policiers. Il y a de grands écrivains modernes. Par exemple Patricia MacDonald est une grande romancière tout court. Il se trouve que ses sujets sont policiers. Je m’aperçois que cela me donne envie d’écrire dès que j’ai un petit bleu à l’âme.

- J.P : Quelle est la chanson de vous dont vous aimeriez qu’elle reste après vous ?

- J.- L. D. : C’est un peu fanfaron de dire ça. C’est vrai qu’il y en a une : Femmes je vous aime. Chaque fois que Julien la chante, les gens allument leur portable (avant c’était les briquets). Et puis sans doute Le petit garçon car ça a été ma première. Et du point de vue populaire cette chanson que j’ai écrite pour Michel Polnareff On ira tous au paradis. C’est gai, les gens adorent la chanter en cœur. D’ailleurs c’est ce que Michel voulait, que les gens la chantent ensemble dans la rue.

En savoir plus :

- Retrouvez les autres émissions de la série "L'essentiel avec...", présentée par Jacques Paugam.

- Consultez la fiche de Jean-Loup Dabadie sur le site de l'Académie française.

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