Les émotions en politique et l’éthique en finance (4/4)

Colloque Regard sur l’homme contemporain session mai 2011. Avec l’ancien ministre François d’Aubert et Catherine Rouvier (4/4)

Quelle est l’influence des émotions en politique ? Catherine Rouvier, docteur d’Etat en droit public et sciences politiques, évoque ce point dans son intervention tandis que François d’Aubert, ancien ministre du Budget et de la Recherche, évoque la place de l’éthique dans la gouvernance de l’État et dans la finance.

Tous les deux participaient au troisième et dernier colloque Regard sur l’homme contemporain qui se déroulait en mai 2011 à l’Institut de France. Retransmission.

Intérêt général, intérêt de l'Etat et intérêts particuliers : éthique et finance

Par François d'Aubert, ancien ministre du Budget et de la Recherche

François d’Aubert s’intéresse au conflit entre intérêt général et intérêts privés. Selon lui, la crise financière de 2008 en est l’archétype et sans doute l’exemple le plus violent. Par conséquent, celui-ci propose d’étudier les « ressorts » des acteurs de cette crise. Comment expliquer le gonflement (se soldant par l’éclatement qu’on connaît) de cette bulle financière ? Est cité en premier le ressort du «greed », soit l’avidité. Celle-ci se glisse dans les périodes de croissance, constituant des groupes de financiers et des écarts importants de richesse. Approuvée par bon nombre de spécialistes, l’innovation financière a ainsi perverti bien des systèmes telles les banques qui concentrèrent alors largement leurs efforts sur les intérêts privés, avec les stock-options par exemple. Par conséquent, les banques perdirent leur rôle de financement de l’économie réelle, tout cela au détriment de l’intérêt général. Aujourd’hui, si on remarque une certaine prise de conscience au niveau politique du besoin de réglementer un système corrompu, ces velléités sont bloquées par de nombreux lobbies financiers. On observe alors l’ascendant actuel des intérêts privés sur l’intérêt général et le caractère de plus en plus pusillanime de nos gouvernements face à ce problème de réglementation.

Nous vous invitons à écouter l’intervention d'Alain Berthoz pour mieux comprendre le processus décisionnel humain, bien souvent moins dirigé par notre rationalité pure que par nos émotions (cf amygdale). D’où la remise en question d’un système spéculatif témoignant de la volatilité de nos opinions et émotions.

Les nouvelles formes de mobilisation de l'opinion en politique et notamment les sources émotionnelles

Par Catherine Rouvier, maître de conférence à l'Université Paris XI

« Je ferai ainsi mentir ceux qui considèrent que lorsqu’on tente la fructueuse confrontation du politique et du psychologique on ne peut tenir que des propos de comptoir » débute Catherine Rouvier. Le sujet posant la problématique de l’autonomie réelle de l’homme, l’intervenante choisit de l’étudier dans le cadre de la mobilisation politique, celle « de l’homme en foule ». Partant de la fameuse Psychologie des foules du visionnaire Gustave le Bon (1895) Catherine Rouvier étudiera « le phénomène de mobilisation de l’homme en foule, puis ses conséquences et les remèdes qu’on peut apporter à la manipulation des foules ». Adepte de la pluridisciplinarité, elle s’appuiera notamment sur les neurosciences pour comprendre l’influence des émotions en politique.

Ainsi, le ressort principal des réactions collectives est bien souvent l’imitation, soit le premier stade de l’apprentissage cognitif. Ainsi, l’homme en foule est souvent irrationnel, fonctionnant souvent par associations cognitives. On comprend alors le caractère subversif d’un peuple révolté tel celui de la Commune. Conséquemment, le modèle démocratique pourrait perdre de sa pertinence dans la mesure où le peuple est son fondement. Opinion et émotion allant de pair, il est difficile, selon Catherine Rouvier, de faire confiance aux choix collectifs en démocratie. Face à ces périls, il est illusoire de croire en des structures salvatrices telles les lois ou autres « remparts institutionnels ». Catherine Rouvier analyse plutôt les causes lointaines et immédiates, les unes mettant en avant l’importance du facteur temps, les autres l’émotion politique, la réactivation mémorielle et l’empathie entre chef et foule.
Catherine Rouvier conclut alors : « Un peuple , bouleversé par des informations qui le galvanisent, devient une foule à laquelle on peut sans peine arracher les attitudes les plus héroïques et les plus altruistes, mais aussi les décisions les plus aberrantes et les actes les plus sanglants. C’est pourquoi il importe de bien connaitre, pour pouvoir l’éviter, ce qui peut paralyser l’action du néo cortex, et faire de sa constitution royale un chiffon de papier ».

En savoir plus :

Suite du colloque ici !
Écoutez les intervenants suivants :
- La place de la politique dans les médias et la société (1/4)
- Monique Canto-Sperber et Philippe Lauvaux : la politique et la morale (2/4)
- Altruisme, politique et comportement de l’homme contemporain (3/4)

Regard sur l'homme contemporain est la somme de trois colloques organisés à l'Institut de France. Retrouvez sur notre site les prestations précédentes :

- La génétique et l’immunologie pour mieux comprendre l’homme. Colloque Regard sur l’homme contemporain (1/2)
- La psychologie cognitive et le rapport sience/politique pour mieux comprendre l’homme. Colloque Regard sur l’homme contemporain

- L’influence de la spiritualité dans le comportement humain. Colloque Regard sur l’homme contemporain (1/3)
- Morale et communication : les fondements de la société humaine ? Colloque Regard sur l’homme contemporain (2/3)
- Agir et ressentir. Colloque Regard sur l’homme contemporain (3/3)

Bérénice Tournafond est co-organisatrice du colloque. Juriste de formation, elle est chargée d’enseignement à l’Université de Paris XII.

Consultez le site hommecontemporain.org

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