La voix et l’éloquence dans la composition musicale

Avec Bruno Latour, Philippe Leroux, Nicolas Donin et Valérie Philippin, à l’IRCAM

Le sociologue Bruno Latour explore avec le compositeur Philippe Leroux l’éloquence et la persuasion d’une théâtralité vocale, devenue l’archétype d’une deuxième œuvre de l’artiste : Apocalypsis. Leur discussion est accompagnée par les remarques du musicologue Nicolas Donin et les performances de la chanteuse lyrique Valérie Philippin. Canal Académie retransmet cette conférence qui se déroulait en juin 2010 à l’Ircam.

_ Le musicologue Nicolas Donin et la chanteuse Valérie Philippin interrogent le cheminement de la composition musicale pour mieux saisir les liens avec la création de concepts.

Composer une musique se fait par gestes qu’on développe, qu’on répète, « comme si on appliquait une idée au monde » précise le compositeur Philippe Leroux. Et il poursuit : « J’ai toujours pensé que cette attitude là avait un grand atout : elle pouvait unifier. Pendant toute une époque, il était important d’unifier les pays, la science… Mais il y a eu un seuil où, de l’unification, nous sommes passés à l'uniformisation. J’ai profondément senti ce danger d’uniformisation, alors j’ai voulu travailler différemment ».

En musique, la notion ainsi décrite par Philippe Leroux se traduit par le concept de phrasé : trouver le phrasé entre deux éléments qui n’ont pas de lien ; les mettre en relation.
Cette notion, de lien, de continuum entre les éléments est une acquisition majeure de la musique de la seconde moitié du XXe siècle, et ceci à plusieurs niveaux :

- Le continuum temporel : le compositeur Gérard Grisey a beaucoup travaillé sur la notion de zoom temporel : grâce aux moyens électroacoustiques, on entend un son au loin et avant de se rapprocher de la source petit à petit, jusqu'à entrer à l’intérieur même de ce son.

- le continuum entre la hauteur, le rythme et le timbre : cette notion est apparue dans les années 1960. Le compositeur allemand Karlheinz Stockhausen a démontré qu'un son aigu, ralenti petit à petit, devient une suite d’impulsions. Il se transforme en rythme.

- Le continuum entre la hauteur d’un son et le timbre d’un instrument : il est lié à un certain nombre de composantes de hauteurs. Si vous retirez quelques composantes, vous n’allez plus entendre le bruit d’un piano mais celui d’une flûte.

- Le continuum entre les micro-intervalles : au lieu de travailler sur les demi tons, on travaille sur des huitième ou seizième de ton. En enchaînant les seizième de ton, on a l’impression d’un glissé continu alors qu'il s'agit d'une succession de sons discontinus.

« Prenez l'exemple d'une raquette qui frappe une balle de tennis. Le silence laisse supposer un mouvement entre l'impact de la raquette et la chute de la balle au sol. C'est cette idée de geste sonore comme élément de la composition qui nous intéresse ici » explique Philippe Leroux. « C’est quelque chose est important en musique pour moi : le geste du musicien qui produit le son ».

C'est ainsi qu'au cours de cette conférence, il vous propose d'écouter des extraits de ses compositions en compagnie de Valérie Philippin, où l'instrument ici utilisé est la voix.

Bruno Latour

Bruno Latour est sociologue, professeur à Sciences Po, dont il est depuis 2007 directeur adjoint chargé de la politique scientifique.

Philippe Leroux

Philippe Leroux est compositeur. Il étudie avec Ivo Malec, Claude Ballif, Pierre Schaeffer et Guy Reibel, ainsi qu'Olivier Messiaen, Franco Donatoni, Betsy Jolas, Jean-Claude Eloy et Iannis Xenakis. Il obtient trois premiers prix au Conservatoire supérieur de musique de Paris. En 1993, il est pensionnaire à la Villa Médicis où il séjourne jusqu'en octobre 1995.
Auteur de nombreux articles sur la musique contemporaine, il donne également des conférences et des cours de composition dans des universités, conservatoires et instituts. Il enseigne la composition à l'université de Montréal depuis septembre 2009.
Parmi les nombreux prix qu'il a reçu, celui du Prix André Caplet de l'Académie des Beaux-Arts de l'Institut de France.

Nicolas Donin

Nicolas Donin est musicologue à l'Ircam où il dirige l'équipe de recherche Analyse des pratiques musicales (Ircam-CNRS). Ses travaux portent sur la musique contemporaine, l'histoire des pratiques d'écoute et d'analyse musicale depuis la fin du XIXe siècle, et l'analyse de l'interprétation.

Valérie Philippin

Valérie Philippin est formée au chant lyrique mais elle se consacre plus particulièrement à la musique contemporaine et à la recherche dans les domaines de la voix. Outre ses activités de concert, elle a participé à des créations dans des divers domaines, théâtre, danse, arts plastiques, jazz et musiques improvisées, en tant qu'interprète ou auteur.

Cette conférence avait lieu dans le cadre de la 13e édition du festival Agora, rendez-vous majeur de la création et de l’innovation à l’Ircam qui se déroulait du 7 au 19 juin 2010.

En savoir plus :

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