La vertu : les Grecs anciens n’ont cessé d’en parler ! par Jacqueline de Romilly

de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Jacqueline de ROMILLY
Avec Jacqueline de ROMILLY de l’Académie française,
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

La vertu : tel était le thème de la journée d’étude organisée le 12 décembre 2007 à l’Académie des sciences morales et politiques à l’initiative du Centre de Recherches en Théorie générale du Droit. Plusieurs académiciens et juristes sont intervenus. Voici l’intervention de Jacqueline de Romilly qui explique que la Grèce antique n’a jamais cessé de s’interroger sur la vertu.

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Jacqueline de Romilly de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles lettres

Jacqueline de Romilly a commencé son intervention par une courte réflexion de vocabulaire :
étymologiquement, a-t-elle rappelé, la vertu désigne la qualité virile, le courage ou l’héroïsme à la guerre (vir en latin, andreia en grec). Mais le mot a pris, au fil des siècles et selon l’évolution des sociétés, des sens variés pour qualifier toutes sortes de bonne conduite, jusqu’à devenir périmé et prêter à sourire.
Aujourd’hui, la vertu n’est guère aimée, constate Jacqueline de Romilly : nous préférons la paix. Les vertus chrétiennes sont peu à la mode. La vertu des femmes qui se refusent aussi. La vertu a pris un ton désuet. On l’a remplacée par d’autres mots, par exemple « valeurs » mais celles-ci sont le plus souvent liées à un idéal politique.
Il y a donc un problème de vocabulaire.
Mais pas seulement, explique Jacqueline de Romilly : « aujourd’hui, il y a plus grave à cause de l’extension du matérialisme, parce que la religion tient une moindre place, parce que l’égalitarisme fait qu’on accepte mal des règles morales imposées. La notion même de vertu parait subir une attaque, de même que le mot « morale ». D’où la question : existe-t-il des possibilités de remédier à cet amoindrissement ? »

L’académicienne relativise le pessimisme et conserve son optimisme :
- d’une part il existe beaucoup de gens silencieux, effacés, discrets, qui conservent d’excellentes impulsions de générosité, de courage, d’esprit de sacrifice.
- D’autre part des valeurs nouvelles se répandent et suscitent l’émotion (liberté, solidarité et autres)
Si une forme de vertu semble s’effacer, une autre semble se répandre. Et cela doit être encouragé. « A commencer par moi, par exemple, avoue Jacqueline de Romilly, je crois pouvoir, en tant qu’helléniste, apporter des éléments encourageants ! ».

Dans toute la Grèce, chez tous les auteurs, dans tous les textes, la discussion sur la vertu est incessante. La vertu entendue comme idéal de la vie, un idéal autre que la réussite matérielle.

L’incessante question grecque est celle-ci : A quoi peut-on dignement sacrifier sa vie ?

Dès Homère, on rencontre des héros qui acceptent de sacrifier leur vie mais il décrit aussi les erreurs qu’ils commettent contre la vertu, la morale ou l’idéal. Ceux qui manquent de vertu nous enseignent autant que ceux qui en font preuve.
Jacqueline de Romilly insiste : « l’intérêt constant de la littérature grecque c’est de chercher l’universel et d’expliquer clairement ce qui nous pousse à agir selon un idéal »

Thucydide (460-395 av. J.-C.)

D’où des discussions, dans les tragédies, chez Euripide par exemple mais aussi chez Thucydide (sur lequel Jacqueline de Romilly a écrit un ouvrage) qui tient des discours posant cette question : la vertu est-elle innée ou naît-elle de la raison et de l’enseignement ? Est-elle naturelle ou est-elle le fruit d’un apprentissage ? Les diverses formes de vertu sont alors largement discutées. Socrate aussi pose la même question : la vertu peut-elle s’enseigner ? Si elle est, non pas une réussite matérielle, mais un bien situé au-delà et qui « mérite » des sacrifices, elle représente une forme de bonheur.

Périclès dépeint un régime d’institutions athéniennes où il est question de vertu, de qualités morales dont les Grecs peuvent être fiers. Et elle conclut ainsi : « Autrement dit, définir un peuple c’est définir ce vers quoi il tend ».

Puis elle évoque la réflexion des philosophes : tous abordent le bien, l’excellence, le beau. Et cet élan de réflexion venu de Grèce a imprégné, en passant par Rome, tous les penseurs et toute la civilisation européenne. Tous les grands textes européens et, entre autres, français, ont continué cette réflexion.

Jacqueline de Romilly termine en soulignant combien est nécessaire, -et à ses yeux, indispensable- une éducation et un enseignement qui mettent l’élève en contact avec les grands auteurs.

« Il faut lever le regard vers quelque chose d’autre que la réussite matérielle, sans chercher à l’imposer du dehors mais en gardant l’espérance : un idéal moral, c’est la source du bonheur, la clé de l’épanouissement intérieur ».

Pour lire Jacqueline de Romilly :


Pour écouter les autres intervenants au colloque sur la vertu :
- Hélène Carrère d'Encausse L’Académie française salue toujours la vertu !
- Bertrand Saint-Sernin Les morales de la vertu, de l’antique à la chrétienne
- Jean Tulard La vertu entre le libertinage et la Terreur
- Jean-Luc Chartier La vertu des hommes du droit selon le chancelier d’Aguesseau
- Philippe Malaurie Les dangers de la vertu totalitaire

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