L’euro est-il trop fort ?

Analyse par Philippe Jurgensen, Robert Raymond et Jean-Marc Vittori

L’euro est-il trop fort ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’au printemps 2008, la cotation de l’euro par rapport au dollar n’a jamais été aussi déséquilibrée. Ceci, dans un contexte alarmant pour les économies américaines et européennes, suite aux problèmes financiers de l’été 2007. Sans oublier l’inflation qui mine la zone euro. La valeur de la monnaie européenne a-t-elle intérêt à baisser, ou au contraire, y a-t-il des avantages à la situation actuelle ? Pour analyser cette question, nous avons réuni Philippe Jurgensen, professeur d’économie à Sciences Po, Robert Raymond, ancien directeur général de l’Institut monétaire européen, et Jean-Marc Vittori, éditorialiste au quotidien économique Les Echos.

_ L’euro est-il trop fort ? En avril 2008, l'euro a flotté au-dessus de 1 dollar 55. Soit quasiment le double de sa cotation en 2002. Plusieurs phénomènes économiques rendent la question plus urgente encore actuellement : la croissance américaine n’est plus garantie, ni l’économie européenne, et l’inflation mine la zone euro. Pourquoi dit-on que l’euro est trop fort ? N'y a-t-il pas des avantages à ce que l'euro soit très fortement coté ? Et que faire pour que la monnaie européenne trouve une valeur raisonnable ?

Signalons d'abord que l’euro fort a quelques vertus : il absorbe une partie de la hausse des prix énergétiques et alimentaires.
Et puis, notons que la chute du dollar n’a pas affecté tous les pays européens de la même manière. Certes, l’excédent commercial de la zone euro avec le reste du monde a diminué de moitié au dernier trimestre de 2007 - pour se réduire à 4 milliards d'euros. Mais ce chiffre masque un fossé béant entre l'Allemagne et les autres. L'excédent allemand - 200 milliards d'euros en 2007 - fait plus que compenser les déficits des autres pays. Encore l'Europe est-elle assez protégée, puisque l'essentiel des échanges extérieurs s'y effectue entre Etats membres. L'Allemagne, par exemple, ne réalise qu'un tiers de son commerce en dehors de la zone euro. Mais là aussi, le ralentissement économique général donne un coup de frein au commerce mondial.

De gauche à droite : Jean-Marc Vittori, Robert Raymond et Philippe Jurgensen

Les entreprises européennes ont une issue de secours. Un dollar anémique devrait les encourager à investir aux Etats-Unis. D'autant que les contraintes de la mondialisation les conduisent à essayer de produire au plus près de leurs marchés : EADS, par exemple, a fait de son implantation hors de la zone euro un point clé de son plan de redressement.
En sens inverse, la possibilité d'une récession américaine a de quoi doucher les velléités européennes à exporter.

Certains analystes pensent qu'il faudrait persuader les Etats-Unis à redresser leur monnaie. Mais on peut attendre, en guise de réponse, une variante contemporaine de la réplique du secrétaire au Trésor américain, John Connally, il y a plus de trente ans : « C'est notre monnaie, mais c'est votre problème », avait-il lancé à ses collègues européens qui se plaignaient - déjà - du niveau du billet vert.
Quoi qu'il arrive, les entreprises européennes doivent vivre encore quelque temps avec l'idée que le dollar va rester le problème de quelqu'un d'autre.

Dans l'absolu, l'euro fort devrait être bénéfique pour les citoyens européens, mais en fait, et particulièrement en France, le consommateur profite très peu de la baisse du dollar face à l’euro. Le consommateur européen paie des appareils deux fois plus cher que son homologue américain, alors même qu’un euro vaut 1,5 dollars.
Les entreprises auraient peur du yo-yo euro-dollar et craignent un retournement rapide du marché des changes. Elles conservent peut-être aussi cette marge supplémentaire pour affronter sereinement une éventuelle baisse des prix réclamée par la distribution.

Dernière question : l’euro va-t-il prendre la place symbolique du billet vert ? Un basculement radical du dollar vers l'euro comme monnaie de référence n'est pas envisagé par les économistes.

Pour Marc Touati, la flambée récente de l'euro ne doit d'ailleurs pas faire illusion, car elle relèverait davantage d'une « bulle » : « Ce n'est pas une monnaie forte qui permet d'avoir une croissance forte, mais une croissance forte qui fait une monnaie forte », explique-t-il au journal Le Monde.
Nous discutons de cette affirmation au cours de cette émission.

Nos invités :

- Robert Raymond a mené une grande partie de sa carrière à la Banque de France, où il a notamment occupé les fonctions de directeur général des études, puis du crédit. Il a ensuite été le directeur général de l'Institut monétaire européen, qui a donné naissance en juin 1998 à la Banque centrale européenne (BCE). Après avoir ouvert la représentation de la BCE à Washington DC et auprès du Fonds monétaire international, il est devenu président de CPR et président de l'Association Française des entreprises d'investissement.
- Philippe Jurgensen est professeur d'économie à Sciences Po Paris.
- Jean-Marc Vittori est éditorialiste au quotidien économique Les Echos.

En savoir plus
Ecoutez la chronique de Philippe Jurgensen : Non, l’euro n’est pas trop cher !

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