La biodiversité : toutes les espèces sont-elles utiles ?

avec Christian Lévêque, directeur de recherche émérite à l’IRD, correspondant de l’Académie d’agriculture

Christian Lévêque est l’auteur de La biodiversité au quotidien paru aux éditions Quae, ouvrage dans lequel il nous livre une version musclée de cette nature pas si angélique, de ses hommes pas si destructeurs, et des disparitions d’espèces qui selon lui, ne sont rien d’autre que le cycle normal de l’évolution des espèces. Explications de l’auteur.

_ La biodiversité est un terme apparu dans les années 1980 dans notre vocabulaire, par des naturalistes s’inquiétant de la destruction rapide des milieux naturels et des forêts humides tropicales.

L’ouvrage de Christian Lévêque est destiné à sensibiliser les scientifiques à l’écologie scientifique pour ne pas tomber dans le « piège de l’écologie populaire ».
L’auteur affirme avec provocation que ceux qui souhaitent préserver la nature dans le but de revenir à « la nature d’avant »... ressemblent aux créationnistes ! « À quoi ressemblait la nature ? Qui peut le dire ? Les espèces n’étaient pas les même, l’évolution n’est pas linéaire », explique Christian Lévêque. Et de poursuivre : « Les multiples visages de la biodiversité sont à l’origine d’une certaine ambigüité que nous devons assumer au quotidien. Notamment, le fait que la biodiversité, indispensable à la vie de l’espèce humaine soit aussi la source de tous les dangers ». Pour le grand public, la biodiversité renvoie à des images simples de l’imaginaire collectif : nature vierge, dangereux prédateurs, panda menacés de disparition ou souvenirs d’études de voyages. Pour beaucoup d’entre nous la biodiversité, signifie simplement vouloir protéger la nature.

Parmi les espèces disparues récemment, le dauphine blanc de Chine

Mais la biodiversité comprend également les nuisibles, les virus et autres microbes dont nous ne voulons pas. Si nous souhaitons préserver nombres d’espèces animales, il n’en est pas de même en revanche pour les moustiques, vecteurs de maladies, et autres virus qui nous inquiètent tant.

Nous ne sommes donc pas dans une démarche de type purement écologique. L’écosystème, terrain privilégié des écologistes, a fait place à « l’anthroposystème » ou au « sociosystème », comme l’appelle Christian Lévêque.

La main de l’homme

« Les déclarations sur l’érosion de la biodiversité pointent du doigt l’action de l’homme : habitats modifiés, ressource surexploitées, espèces introduites, nature polluée… Mais les causes dénoncées ont des racines biens plus profondes : les principales menaces contre la biodiversité ne sont pas le réchauffement du climat ni les espèces introduites : ce sont d’une part la pauvreté, d’autre part la cupidité et la corruption. Là sont les causes du mal », affirme l'auteur.

Ce n’est pas la disparition des espèces qui est inquiétante, ce phénomène naturel ayant toujours existé. Ce qui est préoccupant en revanche, ce sont certains groupes aux taux d’extinction plus rapides aujourd’hui qu’au cours des temps géologiques.

Parfois nous affirmons que « l’homme est devenu le gardien de la nature ».
Il peut en effet choisir de conserver ou non des habitats et leurs espèces. En définitive, il se trouve en position de décider du devenir d’une partie de la biosphère. Cependant, une autre partie et non la moindre, lui échappe encore : c’est toute la biodiversité invisible, celle des micro-organismes, même si les activités humaines ont sans aucun doute un impact sur ces espèces-là.

Ainsi conclut Christian Lévêque : « Oui, il faut protéger une partie de la biodiversité. Elle est indispensable dans la vie quotidienne pour s’alimenter, se vêtir, se soigner, ainsi que pour se distraire, s’évader… Mais parallèlement, il faut intensifier la lutte contre une autre partie de la biodiversité : tout ce qui est virus ; qu’il soit clair une fois pour toute : nous ne voulons pas conserver toute la biodiversité ».

Ecoutez les arguments de Christian Lévêque au cours de cette émission. Il y donne parallèlement son opinion quant aux questions qui font toujours débat, telles que :
- faut-il interdire la pêche au thon rouge ?
- le loup et l’ours doivent-ils être réintroduits dans leur milieu naturel ?
- quelle est la réelle responsabilité de l’homme dans l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria ? (Le cauchemar de Darwin, film documentaire de Hubert Sauper sorti en 2005 en France)

Lac Victoria ; les femmes transportent les poissons (des perches du Nil) capturés pour le traitement, 1991
© Harris Craig

Christian Leveque est directeur de recherche émérite à l’IRD, Institut de Recherche pour le développement et spécialiste des écosystèmes aquatiques. Il est correspondant de l’Académie d’agriculture.

En savoir plus :

- L'IRD
- L'Académie nationale d'agriculture

- Christian Lévêque, La biodiversité au quotidien, éditions Quae, 2008

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