Jean-Paul Delevoye : "Je veux faire du CESE la Maison des Citoyens"

Interview exclusive du Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), invité de Myriam Lemaire
Avec Myriam Lemaire
journaliste

Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) depuis novembre 2010 et ancien Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye explique les missions de cette institution mal connue des Français. Il confie au micro de Myriam Lemaire son ambition et ses grands projets pour la troisième assemblée constitutionnelle de la République.

Émission proposée par : Myriam Lemaire
Référence : ecl723
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Rappelons le parcours exceptionnel de Jean-Paul Delevoye, grande figure de notre vie publique.
Né le 22 janvier 1947, cet ancien directeur de sociétés agro-alimentaires fut conseiller municipal de la commune d’Avesnes-les-Bapaume à partir de 1974. Conseiller général du Pas-de-Calais de 1980 à 2001, Jean-Paul Delevoye est maire de Bapaume depuis 1982 et Président de la Communauté de Communes de Bapaume depuis 1992.
Il fut député du Pas-de-Calais de 1986 à 1988, puis Sénateur de 1992 à 2002. Il fut aussi Président de l’Association des Maires de France (AMF) de 1992 à 2002.

Président du groupe des sénateurs-maires, il dirigea le rapport « Cohésion sociale et territoire » pour le Commissariat au plan en 1999.
Ministre de la Fonction publique et de la réforme de l’Etat et de l’aménagement du territoire de 2002 à 2004, il a notamment engagé la réforme de l’ENA et celle de la retraite des fonctionnaires. Nommé Médiateur de la République par le Président de la République en avril 2004, il a exercé cette fonction jusqu’au 31 mars 2011. Il a été élu Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 16 novembre 2010.

Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE)
DR : David Delaporte

L’assemblée du futur

Dans cet entretien, Jean-Paul Delevoye rappelle le rôle et les missions du Conseil économique, social et environnemental (CESE) suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a profondément remanié la troisième assemblée constitutionnelle de la République. « A côté de l’Assemblée nationale, assemblée de l’urgence et du Sénat, assemblée des territoires, je souhaite que le CESE soit l’assemblée du futur », dit notre invité.

« Cette très belle institution trop méconnue représente depuis l’origine les forces vives de la Nation » et comprend des représentants de l’ensemble des organisations syndicales, patronales et professionnelles. Sa composition a été modifiée pour permettre notamment l’entrée de représentants des jeunes et des étudiants et de représentants de la protection de la nature et de l’environnement. Le nombre de ses membres est désormais limité à 233.

La révision constitutionnelle a apporté aussi la parité hommes/femmes dans cette assemblée, souligne Jean-Paul Delevoye.

Le CESE n’est « ni un lieu de pouvoir ni un lieu de décision, c’est un lieu d’influence qui est très utile au dialogue en France. Il permet de parler aux politiques de ce qui fait convergence et de ce qui fait divergence dans la société française ».

Jean-Paul Delevoye cite l’exemple du débat récent et très riche sur la compétitivité française. Il a permis une prise de conscience du défi que la France doit relever et a fait l’objet d’un avis voté par l’assemblée à l’unanimité.


Qui peut saisir le CESE ?

Le CESE peut être saisi par le Premier Ministre et l’est obligatoirement pour tout projet de loi, de plan ou de programmation à caractère économique, social et environnemental.
Il peut aussi être consulté par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Depuis la réforme constitutionnelle, il peut être saisi par voie de pétition des citoyens, portée par un seul mandataire et comportant 500 000 signatures.

Grâce au principe des autosaisines, le Conseil peut décider de se saisir de questions qu’il estime importantes pour anticiper les évolutions de la société française. Il a aussi un pouvoir d’évaluation des politiques publiques.

Jean-Paul Delevoye se félicite de l’accélération des saisines gouvernementales, « plus de dix en moins de six mois », sur des sujets très lourds comme la dépendance des personnes âgées, la mobilité des jeunes, la compétitivité, les bilans du Grenelle de l’environnement, la biodiversité.

Il évoque l’autosaisine du Conseil sur le bilan de Pôle Emploi. La première saisine du Parlement depuis le début de son mandat porte sur la question de l’autisme. Elle vient conforter une pétition citoyenne qui n’a pas atteint le seuil, très élevé, des 500 000 signatures nécessaires à la recevabilité.

Pour Jean-Paul Delevoye, au-delà de 10 000 signatures, cela devient un sujet politique qu’il faut prendre en compte.

La Maison des citoyens

« Désormais chaque citoyen veut être un coproducteur du futur »
. Pour notre invité, la relation entre le pouvoir et les citoyens va complètement changer de nature. Les autorités ne pourront plus imposer leurs décisions et il faudra un temps nécessaire pour le débat. « Réfléchir au rapprochement du citoyen et du décideur est un enjeu fondamental », selon Jean-Paul Delevoye qui met en garde sur les risques pour la démocratie française du discrédit de la parole publique et du rejet des institutions. C’est pourquoi, il souhaite que le CESE soit au cœur d’une série de débats et devienne la Maison des citoyens.
« Nous avons cinq ans pour prouver notre utilité », estime le Président qui lance prochainement une réflexion avec les membres du CESE sur « comment concilier la légitimité institutionnelle de cette assemblée avec celle de son utilité citoyenne ».

Transparence, ouverture et communication

Jean-Paul Delevoye rappelle son objectif de transparence et d’exemplarité de l’institution qu’il préside.
Son deuxième objectif est de mieux valoriser le travail du CESE qui est de grande qualité et de mieux ancrer le Conseil dans la société. C’est pourquoi il a mis en place une stratégie de communication, avec la création d’un journal, le Fil d’Iéna, le lancement d’un nouveau site Internet et d’un Intranet, le développement des colloques pour donner la primauté au dialogue plutôt qu’au conflit, l’ouverture du Palais d’Iéna à des événements…

Une nouvelle présentation des avis du Conseil a été adoptée, afin « qu’ils fassent plus plaisir à ceux qui les reçoivent qu’à ceux qui les écrivent ».

Enfin, un programme d’investissement a été lancé pour adapter l’hémicycle du Palais d’Iéna aux nouvelles technologies afin d’offrir ce lieu aux entreprises et associations qui veulent débattre.

S’occuper de l’essentiel

Jean-Paul Delevoye rappelle les principaux sujets traités par le CESE en 2011. Il souhaite que le Conseil s’approprie des chantiers sur la durée pour être l’assemblée du futur et réfléchisse aux bouleversements de notre société dans une perspective à long terme.

Parmi les grands sujets sur lesquels pourrait travailler le CESE, notre invité cite le vieillissement de la population, l’éducation, l’intégration, la diversité culturelle, l’identité de la France, la nouvelle croissance.
Plusieurs colloques seront organisés par le CESE et notamment tous les ans, un colloque sur le « Vivre ensemble » (le premier a lieu les 1er et 2 décembre 2011).

Jean-Paul Delevoye rappelle la phrase d’Edgar Morin, qu’il trouve merveilleuse : « Les politiques trouvent essentiel de s’occuper des urgences alors que ce qui est urgent, c’est de s’occuper de l’essentiel ».
A propos de son Rapport 2010 en tant que Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye évoque son diagnostic alarmant sur l’état de la société française.

Dans ce contexte, il souligne l’importance de trouver des lieux d’écoute, d’empathie et de distanciation, comme le CESE. « Par sa neutralité, son indépendance, celui-ci peut apporter une nouvelle relation au temps, à l’espace, à l’autre ».

La rotonde du Palais d’Iéna
© Benoit Fougeirol


Proximité et mondialisation

« Si la mondialisation est le terrain de l’économie, le lien social est sur le terrain local », estime Jean-Paul Delevoye.

« Aussi, avons-nous renforcé nos liens avec les CESE régionaux pour traiter les mêmes sujets », souligne notre invité. Il rappelle que ces organismes se sont saisis de la question de la dépendance et ont apporté des propositions intéressantes.

Le CESE a noué aussi des relations avec le Comité économique et social européen, organe consultatif de l’Union européenne, pour promouvoir un débat au niveau européen. Sur le plan international, trois priorités ont été retenues : l’Europe, le bassin méditerranéen, la francophonie.

En savoir plus :

Vous pouvez visiter le site du

- Conseil économique, social et environnemental (CESE)

- Médiateur de la République

- Ou encore le site "le vivre ensemble"

Ecoutez sur Canal Académie :

- Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République : les autorités administratives indépendantes (16 décembre 2007)

- Jean Cluzel : démocratie et responsabilité, une communication à l’Académie des sciences morales et politiques (5 décembre 2010)

Communications prononcées en 2010 à l’Académie des sciences morales et politiques dans le cadre du thème « La Démocratie », sous la présidence de Jean Mesnard.

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