René de Obaldia, de l’Académie française, mis en scène par Thomas Le Douarec

Entretien avec le metteur en scène
Avec Jacques Paugam
journaliste

Pour évoquer René de Obaldia, Canal Académie a invité Thomas Le Douarec, l’un des metteurs en scène les plus éclectiques de la jeune génération, et celui qui a le plus fait, durant ces dernières années, pour mettre en valeur l’oeuvre de Obaldia. Au détour de cet entretien, on croise Michel Simon, Jean Rochefort, Michel Bouquet, Ionesco ou Feydeau... Bref, on s’immerge dans le grand théâtre et c’est réjouissant !

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : carr644
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René de Obaldia est né en 1918, a été élu à l'Académie française en 1999 et reste aussi jeune d'esprit que son œuvre, tout entière placée sous le signe de la poésie, de l'humour, de la parodie, et surtout de la force de l'imaginaire pour bousculer, par les mots, et sans avoir l'air d'y toucher, bien des choses établies !

Affiche de la pièce de théâtre Grasse matinée

Thomas Le Douarec vient de monter au théâtre des Mathurins, à Paris, son quatrième spectacle Obaldia, une comédie Grasse matinée interprétée par Cyrielle Claire et Marie Le Cam. L'action se passe dans un cimetière, deux squelettes de femme font des escapades hors de leur cercueil, et discutent dans l'attente indéfinie et quasi insupportable du jugement dernier...

Obaldia, grand auteur de théâtre, n'est-il pas plus connu par ses poèmes, travaillés par de jeunes écoliers ? Et finalement peu monté au théâtre. Il est encore bien vivant, dieu merci, il continue à écrire, il monte même sur scène, il prépare une tournée pour un nouveau spectacle autour de son œuvre, et tout cela à 91 ans, ce qui est merveilleux !

Des poèmes pleins de gaité

Deux vers dans Les innocentines montre à quel point il adore jouer avec les mots : « c'était l'heure divine où sous le ciel gamin, le jet gélatineux geignait dans le jasmin ». Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture, la littéraire, l'amusante avec les sonorités, la forme est gaie.

Et notre invité de réciter l'amusant poème Dimanche où «Charlotte fait de la compote, Bertrand suce des harengs, Cunégonde se peint en blonde...» Ecoutez-la suite, c'est à ravir !

Un immense auteur de théâtre

Sa collaboration avec lui ? Elle a commencé avec Du vent dans les branches de Sassafras (1965). « On m'a conseillé de le lire, et je tombe amoureux du texte, de son imaginaire, de son humour, de sa vraie folie (parce qu'il y a derrière elle un rigueur). Notre rencontre provoque une réelle amitié et tous les deux mois, depuis plus de dix ans, nous déjeunons ensemble. Il me fascine, il a traversé un siècle et il a tellement de choses à nous apprendre ! C'est un passeur, grâce auquel tout un univers ne meurt pas ».

Michel Simon, monstre sacré, avait évidemment largement contribué au succès de cette pièce.
Avant cette pièce, il avait écrit Genousie , premire succès créé au TNP avec Jean Rochfort, Le défunt, Le Général inconnu, Du vent dans les branches de sassafras (où Michel Simon fit une rentrée fracassante), Les Bons Bourgeois Monsieur Klebs et Rozalie (créé par Michel Bouquet), et bien d'autres. Que de grands acteurs ont ainsi servi son oeuvre !

Ses impromptus ? Sept Impromptus à loisir, c'est là où il excelle, ils sont tous joués, rejoués partout dans le monde, et dans tous les cours de théâtre...

Thomas Le Douarec qui a également monté du Feydeau, ne le compare pas à Obaldia : « Chez Feydeau, il n'y a pas de dimension poétique, tandis que Obaldia transcendante par les mots la réalité. J'aime ce délire qui embarque le spectateur. On n'est pas dans l'absurde. Il n'a, pour moi, rien à voir avec Ionesco même s'ils étaient les meilleurs amis du monde. »

René de Obaldi a beaucoup de mal à se prendre au sérieux même s'il aime aborder les sujets sérieux, parce qu'il se sent triste face à notre époque, mais derrière son humour, sa fantaisie, le fond est grave. Une folie l'obsède, il aime la mettre en scène, tous ses personnages ont un grain de folie.

Comment travailler avec René de Obaldia

Le Douraec juge que Obaldia est « un homme charmant, facile, avec lequel je n'ai jamais de problème, il s'implique énormément. Très présent, il assiste à toutes les premières représentations, il a son mot à dire, il donne quelques indications de jeu, prêt à faire mon travail de metteur en scène quelquefois ! Il a des idées arrêtées, surtout pour Grasse matinée qui avait déjà été montée par lui. Ses idées ne sont pas toujours les miennes, mais il comprend qu'il est intéressant de donner une autre vision de son texte. Ma vision de Grasse matinée est sans doute un peu plus lugubre, parce qu'aujourd'hui le squelette est devenu un objet de mode... ce n'était pas le cas quand il a écrit sa pièce. Et moi je mets les squelettes sur scène. »

Grasse matinée, une synthèse de la manière Obaldia ?

Selon notre invité, on peut répondre oui puisqu'on y retrouve la dimension poétique, une dimension philosophique et même mystique (il aborde les thèmes de la vie et de la mort) et toujours l'humour. Il pose les questions graves avec beaucoup de finesse.
C'est bien une pièce sur l'attente, l'éternité, le jugement dernier, une forme de purgatoire. Que se passe-t-il après ? Est-ce la solitude ? La dimension tragique est un élément constitutif du théâtre d'Obaldia.

Monsieur Klebs donne aussi une vision sombre « on ne peut pas dire que ça s'améliore ». La vision de notre société d' Obaldia est assez sombre, il avait d'autres ambitions pour l'humanité... mais son humour n'est pas la politesse du désespoir. Dans la vie, il est bon vivant, habité d'une vraie gaité.

Et les romans ? Et les chansons ?

Ses romans ? Tamerlan des coeurs, Fugue à Waterloo, Le centenaire, auraient-ils vieillis (le premier date de 1955), mais Exobiographie, son plus récent (1993), en forme de Mémoires, est un bijou, confesse notre invité.

Des chansons ? Obaldia a commencé par écrire des textes à chanter ! (entre autres pour Luis Mariano). Quand il est rentré d'Allemagne (4 ans au Stalag), il a fallu qu'il gagne sa vie et il a commencé à écrire dans une petite chambre de bonne...

Le grand style

Sa langue, son écriture ? Thomas Le Douarec révèle qu'il coûte à Obaldia d'écrire : «une varie souffrance car c'est une langue très élaborée et sa force, c'est qu'on a l'impression qu'elle est simple. Tous les acteurs n'ont pas la capacité de dire du Obaldia. Il faut avoir un véritable sens de la comédie et s'impliquer dans les émotions. »

Son humour ? Il arrive à nous ammener avec l'humour dans une vraie dimension philosophique, sans nous forcer : « Il y a chez lui, dit Thomas Le Douarec, dans la vie comme dans l'écriture, une élégance, une grâce, il ne donne pas lourdement des leçons ».

Le théâtre d'Obaldia pose des questions essentielles sur la vie. Lui, se pose-t-il la question du sens de la vie ? « J'ai discuté sur ce sujet avec lui. Sa positsion n'est pas "tout cela n'a aucun sens, autant en rire". Non, il se défend de tout nihilisme ».

Thomas Le Douarec explique comment il a suggéré à Obaldia de monter sur scène lui-même, à 91 ans !

Et l'Académie ? Et la famille ?

Il est depuis 10 ans à l'Académie française (il a succédé à Julien Green). Cette reconnaissance le sort de la solitude. C'est important qu'il soit ainsi reconnu pour la littérature et la langue française. C'est merveilleux pour lui et pour nous ! Et il adore l'habit... Son père panaméen, son grand-père général, il est fasciné par l'uniforme, les médailles (il a beaucoup de médailles du Panama), cela le fait rire mais aussi le touche. Sa mère, française d'une famille simple de Picardie, lui a donné son côté réaliste, ancré dans la réalité. Il fut élevé par une nourrice chinoise en banlieue, qui le sauve. Quel destin !

Pendant la guerre, il a pris très à coeur son combat contre le nazisme, c'est son côté Don Quichotte. Il s'est trouvé enrôlé avec des Bretons. La fraternité, au Stalag, l'a fortement marqué.

Le parcours de Le Douarec

Thomas Le Douarec

Thomas Le Douarec termine par quelques mots sur son propre parcours : «j'aime raconter des histoires, faire passer une émotion». La frontière classique-non classique n'a pas de sens pour lui. Il n'aime pas mettre des étiquettes sur les diverses formes de théâtre. Il affirme que le rire au théâtre, on ne le trouve nulle part ailleurs. C'est une sorte de communion. Et son plaisir, même s'il aime interpréter en tant que comédien, il préfère mettre les autres en valeur, il se sent homme de troupe, pas un solitaire, plutôt un saltimbanque. Il dit aussi quelques mots sur ses projets au cinéma...

La pièce Grasse matinée restera à l'affiche du théâtre des Mathurins jusqu'au 31 décembre 2009.

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