Lucien Clergue : Les Rencontres d’Arles de la Photographie 2011

L’académicien des beaux-arts évoque cette institution culturelle volontairement étiquetée non conforme
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Pour leur 42e édition, du 4 juillet au 18 septembre 2011, les Rencontres d’Arles accueillent des photographes du monde entier. Un rendez-vous de niveau international initié et porté par le talent de Lucien Clergue, de l’Académie des beaux-arts qui raconte ici les débuts de cette aventure aux côtés de Michel Tournier et Jean-Maurice Rouquette, l’importance des ouvrages de photographies, la création de deux prix du Livre décernés dans les arènes de sa ville natale...et l’extraordinaire histoire de la valise de Capa !

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr797
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A l'honneur cette année, le Mexique, Chris Marker dont on connaît davantage les documentaires que l'œuvre photographique, la valise mexicaine de Robert Capa et tant d'autres... Au final une soixantaine d'expositions à travers toute la ville pour le plus grand bonheur du public amateur et professionnel de la photographie d’auteur : mélange des genres assuré.

Lucien Clergue est le fondateur des Rencontres d’Arles avec l’écrivain Michel Tournier et l’historien Jean-Maurice Rouquette. Il rappelle dans cet entretien que cet événement culturel de renommée internationale est une résultante de Mai 68. À l’époque, les reporters-photographes n’avaient pas de visage, au premier rang desquels Cartier-Bresson, qui « sortait un canif dès lors qu’on s’aventurait à le prendre en photo ». Or, Michel Tournier produisait une émission, La Chambre noire, qui justement permettait aux téléspectateurs de voir les photographes. Les Rencontres d’Arles ont été créées dans ce sens. Au commencement de l’aventure, toutes les disciplines artistiques étaient présentes. Puis la photographie a pris le pas sur tout le reste, jusqu’à devenir l’unique médium représenté aux Rencontres.

Lucien Clergue, 22 juin 2011 à Canal Académie
© Canal Académie


Mais pourquoi implanter ce festival de photographie à Arles ?

Pour Lucien Clergue, natif de la ville, il est important d’avoir des racines. Ce choix s’est donc imposé naturellement à lui. Encore fallait-il constituer une collection de photographies. C’est avec la complicité de son ami Jean-Maurice Rouquette, alors conservateur du musée Réattu d’Arles, que prend forme un important fonds, constitué au début « de bric et de broc » et qui atteint aujourd’hui quelque 4 500 œuvres. Le déclic, pour Lucien Clergue, est venu des États-Unis. Cherchant à voir Guernica au Musée d’Art moderne de New York, (la toile de son ami Picasso dénonçant les atrocités de la guerre civile espagnole était alors à New-york et non en Espagne, en raison du régime du général Franco), il dut traverser des salles consacrées à la photographie et comprit alors l'importance qu'accordaient déjà les musées américains à cet art.

Si la photographie n’a pas de prix aux yeux de Lucien Clergue, le livre en général, et le livre de photographies en particulier, a un caractère sacré. Ainsi s'est-il lancé dans la constitution d’une bibliothèque d’ouvrages de photos à Arles (18 000 ouvrages, la deuxième dans ce domaine en France) abritée à l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles.

La création d’un Prix du Livre, dès la création du festival il y a 42 ans, suivie de la création d'un deuxième prix encore consacré au livre, s'inscrit presque naturellement dans l'esprit des rencontres. Les deux prix sont en fait attribués chaque année, grâce au concours de la Fondation LUMA, créée en 2004, par Maja Hoffmann (collectionneuse et héritière des laboratoires Roche) membre de plusieurs organes dirigeants dans le domaine des arts. Le prix du livre d’auteur pour un ouvrage photographique, d'une part, et le prix du livre historique récompensant un ouvrage documenté sur la photographie et son histoire d'autre part, sont tous deux dotés de 8 000 euros. Ils sont décernés sur appel à candidature dans le théâtre antique d'Arles.

Chim (David Seymour) photographe, [Une femme fait l’inventaire des peintures de la collection de Las Descalzas Reales avec deux soldats républicains, Madrid], octobre-novembre 1936 Négatif
© Estate of David Seymour \/ Magnum<br /> International Center of Photography


Autre atout plaidant en faveur de l’implantation des Rencontres à Arles : le « charisme » de la ville. Selon Lucien Clergue, Arles jouit d’une situation privilégiée, face au vent, d’une architecture particulière et renferme en son sein un théâtre antique, cadre des « Projections nocturnes » du festival. Le 5 juillet par exemple sera diffusé, en avant-première mondiale, le film de Trisha Ziff, La Valise mexicaine, (La Maleta Mexicana) , qui raconte l’histoire extraordinaire de la valise « mexicaine » de Robert Capa, récemment retrouvée à Mexico. Pas moins de 4 500 négatifs de la guerre d’Espagne (1936-1939) ont été découverts. Ceux de Capa donc, mais aussi des photographies de ses amis Chim (David Seymour) et Gerda Taro, ce dernier tué en reportage. Pour la première fois, ces clichés seront exposés en Europe, après avoir été présentés à l’International Center of Photography de New York l’hiver dernier. Cette valise doit son salut – indirectement – au président du Mexique d’alors, Lazaro Cardenas (1895-1970), qui favorisa l’accueil dans son pays des républicains espagnols emprisonnés au camp d’Argelès, dans les Pyrénées-Orientales. La valise aurait suivi la même route, celle de l’exil et de la liberté.

Négatif, Photographie de Gerda Taro [Spectateurs à l’enterrement du général Lukacs, Valence], 16 juin 1937 Négatif, document retrouvé dans la "Valise mexicaine"
© International Center of Photography


Pour l’édition 2011 des Rencontres d'Arles, le Mexique est à l’honneur malgré la toile de fond des polémiques autour de l’année du Mexique en France, entachée par le différend franco-mexicain sur le sort de Florence Cassez, condamnée par la justice mexicaine à 60 ans de prison pour enlèvements et port d’armes. Lucien Clergue se félicite que la partie mexicaine du programme du festival ait pu malgré tout être maintenue. Hispanophone aguerri, il entretient un rapport particulier avec ce pays. Il a ainsi eu pour « élève » dit-il avec humour, en 1975, un « Mexicain du nom de Pedro Meyer », depuis devenu président-fondateur du Conseil mexicain de la photographie et surtout un photographe de renommée mondiale, récompensé en 1987 du prestigieux Guggenheim grant. Pedro Meyer a aussi organisé les trois premiers colloques de photographie à l’échelle de l’Amérique latine tout entière. Voilà pourquoi on peut dire, selon Clergue, que les Rencontres d’Arles ont permis à un continent de trouver son identité photographique.

Photographie de Chris Marker, PASSAGERS, 2008-2010, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Peter Blum
Copyright Rencontres Arles

Cette année, l’invité d’honneur du festival est le réalisateur et photographe Chris Marker, objet d’une rétrospective de plus de 300 œuvres photographiques : de son projet réalisé en 1957, Coréens, quatre ans après la fin de la guerre de Corée, à la série Passagers (2008-2010), « images en couleur illustrant les diverses manières dont les gens bâtissent des frontières invisibles autour d’eux, afin de supporter la vie dans la ville moderne ». Le film qui le fit connaître, La Jetée (1963), sera projeté à Arles, « accompagné d’une présentation de son récent travail sur Second Life, plate-forme virtuelle sur Internet ». La Jetée a selon Lucien Clergue marqué toute une génération, grâce à sa spécificité : « une photo immobile au cours du déroulement des images animées d’un film normal ». Dans cette émission, Clergue rappelle qu’il eut l’insigne privilège, lors du tournage de son premier film sur la corrida, d’avoir à ses côtés la monteuse de Chris Marker. Quant à savoir s’il viendra à Arles cette année, Clergue l’espère, lui qui ne l’a jamais rencontré. Mais son grand âge pourrait l’en empêcher.

Chris Marker Coréens, 1957, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Peter Blum Gallery, New York.
Copyright Rencontres Arles


Il y a dix ans, une nouvelle formule des Rencontres d’Arles fut lancée, « prenant en compte l’élargissement de la palette du photographe par le numérique », selon la formule de François Hébel, directeur du festival. Lucien Clergue lui rend hommage pour le travail accompli au cours de cette période, pour son « ambition mondiale » aussi, et enfin pour son pragmatisme, car « pour faire quelque chose, il faut de l’argent ». L’occasion pour Clergue d’évoquer les débuts modestes des Rencontres, quand ses amis et lui faisaient avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec « l’huile de coude ». Mais l’huile de coude n’a qu’un temps, souligne-t-il. En effet, les Rencontres d’Arles ont connu des temps incertains. En 2001, rappelle le président du festival, Jean-Noël Jeanneney, « la survie de cette belle entreprise paraissait fort compromise ». Et d’ajouter : « On accueillait que 9 000 visiteurs et le budget était grevé de dettes, reposant pour 90 % sur un financement public ». La renaissance du festival a été possible grâce à l’action de son directeur, déjà soulignée, mais également grâce au soutien de Maja Hoffmann, trésorière des Rencontres d’Arles et passionnée d'art.

En dix ans, de l’eau a coulé sous les ponts de la cité camarguaise. Une rétrospective est ainsi consacrée aux 10 ans des Prix des Rencontres d’Arles, qui reçoivent le soutien financier de la Fondation LUMA de Maja Hoffmann. Parmi ces prix, le Prix Découverte, lancé en 2002, a permis de montrer la variété de la production photographique contemporaine et a vu se succéder des commissaires aussi prestigieux que Martin Parr, en 2004, Raymond Depardon en 2006 et Nan Goldin en 2009. Lucien Clergue considère avec satisfaction le travail accompli, rappelant qu’à une époque, « on disait que les Rencontres étaient l’équivalent du Festival de Cannes pour le cinématographe ». Une exposition sera d’autre part consacrée à la place du numérique sur la scène photographique, qui n’a pas cessé de grandir au cours de la dernière décennie. Clergue, qui se définit comme « un adepte de la technique argentique », n’est pas contre le numérique. Il insiste sur l’importance prise par les images dans le monde actuel. Pour preuve, gravée sur son épée d’académicien, cette phrase de l’écrivain Joseph Delteil : Aujourd’hui, l’œil est le prince du monde. Du reste, la photographie est devenue la première pratique culturelle des Français selon une étude du Ministère de la Culture. Comme un écho à cet engouement, Lucien Clergue lance un appel à la jeunesse de France : « Venez à nous petits enfants de la photographie ! »

Pour en savoir plus

Affiche des Rencontres d’Arles  photographie 2011, dessinée par Michel Bouvet


- Site des Rencontres photographies Arles 2011
: billetterie, informations pratiques, programme

- Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles
- Bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles, évoquée par Lucien Clergue
- Sur Pedro Meyer, grand photographe mexicain né en 1935, pionnier dont l'œuvre a fait l'objet de plus de 260 expositions dans des musées et des galeries à travers le monde entier.
- Lucien Clergue sur le site de l’Académie des beaux-arts
- La page Lucien Clergue sur le site de sa fille commissaire d’exposition Anne Clergue

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