François Weil, Agnès Bracquemond, Quentin Garel : trois jeunes sculpteurs d’aujourd’hui, trois regards sur le monde

Biennale de Sculpture - Yerres 2009
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

La biennale de sculpture de Yerres 2009, offre l’indéniable intérêt de suivre l’évolution d’un art et d’établir un trait d’union privilégié entre les sculpteurs et le public. Parmi les 73 artistes exposés, trois d’entre eux, François Weil, Agnès Bracquemond et Quentin Garel, dans des registres différents, portent haut en couleur la maîtrise d’un art trop discret au regard des installations spectaculaires. Rencontre avec trois sculpteurs, loin des modes ou des classiques, au plus juste d’une indépendance audacieuse pour mieux nous rencontrer.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr618
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François Weil, Agnès Bracquemond et Quentin Garel sont diplômés des grandes écoles d'art, lauréats de plusieurs prix, et vivent tous les trois de leur art. Avec presque 20 ans de "métier" derrière eux et la reconnaissance de leurs paires, leur œuvre est suffisante pour les nourrir de nouvelles expériences. Exposés en France et ailleurs dans le monde, ils n'en sont pas à leur coup d'essai. Ils appartiennent pourtant ce ce qu'on pourrait, néanmoins, appeler la catégorie des "jeunes" sculpteurs, malgré leur âge, tant la sculpture est un art difficile, mal connu, éloigné du public, peu visible dans les média, les collections publiques ou l'espace public.

Ayant adopté une expression artistique très différente les uns des autres, ne relevant d'aucune école, ou courant particulier, ils avaient en commun d'exposer chacun une œuvre, telle est la règle, à la biennale de Sculpture de Yerres 2009. Agnès Bracquemond exposait un bronze de 2008 (78x59x62 cm), Figure sans poids grande , Quentin Garel un bronze de 2009, Girafe (H. 213 cm) et François Weil une ardoise d'Angers et acier de 2009 (1058 kg, 210 x 150 x 145 cm), 717 .

La biennale de sculpture de Yerres 2009, grâce à l'initiative du député maire Nicolas Dupont-Aignan et de Lydia Harambourg, historienne d'art et commissaire, correspondant de l'Académie des beaux-arts, entend concilier un rapport simple et direct entre le public et les œuvres. L'absence d'un parcours, d'une mise en scène, ou d'explications superflues peut surprendre et libérer. Un rapport aux œuvres presque brut, minimaliste, a été privilégié qui réclame aux œuvres exposées une force évidente pour s'imposer presque nues tant nous sommes habitués à être pris par la main.

Entre équilibre et attention, mise en danger poétique : les sculptures de François Weil

François Weil expose depuis 1989. Né en 1964, il est diplômé de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, lauréat du Prix de sculpture Pierre Cardin 1997 et de la biennale de sculpture contemporaine de Poznan en Pologne, en 2006. Il se sert essentiellement de la pierre, devenu son sujet, au fil du temps. Il assemble toute sorte de pierre, granit, marbre ou ardoise, par exemple, avec du métal. À la pierre fracturée, éclatée, qu'il collecte dans des carrières, il associe de subtiles mécanismes de roulement, de rouages d'acier, autrefois des filins pour mettre en mouvement ces volumes. François Weill décèle, comment les pierres qu'il a choisies, se montrent dans leur mouvement. Ensuite, la mise en mouvement de ses sculptures n'est pour lui qu'un moyen supplémentaire d'accessibilité à la lecture de son œuvre, il n'est pas l'essentiel.

Sculpture de François Weil,  717, ardoise d’Angers, acier, 2009, 1058 kg, 210 x 150 x 145 cm,
© Michèle Constantini


Dans son travail, métal et pierre conjugués s'harmonisent dans des compositions qui se jouent des lois de la pesanteur. Les masses de pierre dressées, soulevées, déposées l'une sur l'autre, en appui inattendu ont la légèreté du papier. L'œil glisse ou s'attarde sur la pierre respectée dans son aspect d'origine faisant fi des rugosités du temps long de la géologie. Plusieurs tonnes, quelques kilos ou quelques grammes assemblés, peu importe, François Weil s'autorise toutes les variations dans son alchimie des formes et des volumes, pour créer une danse des cailloux improbable.

Sculpture de François Weil,  717, ardoise d’Angers, acier,  2009, 1058 kg, 210 x 150 x 145 cm,
© Michèle Constantini

À la biennale de Yerres, les visiteurs peuvent voir exposer sur la pelouse du parc une de ses sculptures, spécialement réalisée pour la biennale, une ardoise d'Angers (210 x 150 x 145 cm), composée de trois grandes pierres. Il suffit au visiteur d'impulser un modeste mouvement de la main en touchant l'une des pierres pour que la structure dessine dans l'espace un grand cercle horizontal (voir la vidéo, à la fin de l'article). Témoins de l'épaisseur du temps, le minéral mis en lumière nous interroge sur la fragilité : la notre, celle de notre corps et de notre rapport au temps, et sur celle de la sculpture.

François Weil
© Michèle Constantini


François Weil invite les personnes à toucher ses sculptures pour s'approprier son regard sur les pierres, à porter attention à la sculpture, de même, l'œuvre ne doit pas être un danger pour la personne. La notion de danger est pour lui importante parce que cela fait parti du processus d'appropriation : "quelque chose de complètement sécurisée stérilise l'appropriation". Ses sculptures mobiles, créent une relation ludique au spectateur où la notion de mise en danger, relative bien entendu, conserve une importance nécessaire pour se confronter aux limites, les révéler et jouer avec.

Entre équilibre et tension, l'appel du vide et du soutien : les sculptures d'Agnès Bracquemond

Agnès Bracquemond s'intéresse à la figure humaine, "tout simplement parce que c'est ce qu'il y a de plus beau", selon ses mots. Née en 1956, diplômée de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, elle vit et travaille en région parisienne. L'artiste expose depuis 1983. Elle a participé à de nombreuses expositions et salons et a été lauréate du Prix spécial de la Fondation Taylor en 2005. "Enfant de l'art moderne", comme elle aime à se définir, ses figures sont entièrement reconstruites et déconstruites, Agnès Bracquemond en effet, ne raisonne pas comme les classiques. Elle essaie d'être profondément dans la recherche plastique car, pour elle, le sujet peut vite devenir une anecdote qu'elle cherche à éviter.


Sculpture d’Agnès Bracquemenond, Figure sans poids grande, 2008, bronze, fonte Clementi, Meudon, 78x59x62 cm
© Atelier 80
Sculpture d’Agnès Bracquemenond, Figure sans poids grande, 2008, bronze, fonte Clementi, Meudon, 78x59x62 cm
© Atelier 80


Elle présente à Yerres un corps féminin en équilibre sur une carapace de tortue, Figure sans poids grande de 2008, un bronze, sorti de la fonderie Clementi, à Meudon (78x59x62 cm). Sur sa sculpture, elle a volontairement laissé la trace du moulage pour rendre hommage au métier du fondeur. La recherche de la stabilité l'intéresse et retrouvez l'axe par le déséquilibre la passionne encore plus.

Agnès Bracquemond s'est emparé du thème d'Eve et de sa création, après avoir vu un bas-relief italien de la Renaissance qui l'a intensément marquée. Pour elle, Adam et Eve sont une même figure. L'artiste n'imagine pas se soustraire à l'héritage de l'art et reste tout particulièrement sensible au symbole. Elle évoque, dans cet entretien, sa démarche, la terre son matériau privilégié, ses différents thèmes et parle de sa vision abstraite de la figure humaine.

Sculpture d’Agnès Bracquemenond, Homo Ex Limo, 2008, bronze, fonte Clementi, Meudon, 78x59x62 cm
© Atelier 80

Entre équilibre et interrogation, le rapport de l'homme à l'animal : les sculptures de Quentin Garel

Quentin Garel, La Girafe

Après s'être intéressé au thème de la ville en ruine, Quentin Garel, sculpteur né en 1975, diplômé de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, a choisi de se concentrer sur le thème de l'animal pour son caractère universel. Il assemble des bois divers de récupération, qu'il cheville pour composer des figures animales ou des squelettes d'animaux, des crânes, des mandibules. Quentin Garel a beaucoup travaillé autour du thème du trophée. Il y voit une coutume orgueilleuse de l'homme qu'il détourne au profit de l'animal de consommation, celui qu'on ne voit plus, qu'on oublie aujourd'hui, sinon à travers la triste actualité des épisoties. Ses sculptures très réalistes de têtes d'animaux de consommation, comme le veau par exemple nous interroge sur notre rapport à l'animal. Il n'hésite pas à surdimentionner l'animal pour mieux pénétrer l'intimité du sujet et troubler le spectateur. Ses matériaux de prédilection sont la fonte de fer et le bois. Ainsi a-t-il développé un bestiaire original, singulier. Les animaux de nos campagnes, tout comme ceux de la jungle africaine sont venus compléter ses portraits. On trouve parfois des traits d'humanité sur ces figures animales qui révèlent peut-être aussi, la part d'animalité du spectateur qui s'interroge.

Quentin Garel, La Girafe


Il évoque dans cet entretien, une de ses plus grandes réalisations, une fontaine : un vaste ensemble de 28 sculptures disposées dans un jardin de Lille, présentées le long d'une allée de plusieurs dizaines de mètres. Des têtes d'animaux d'apparence un peu inquiétante, sortent ainsi d'un mur végétal et crachent de leur gueule, un fin filet d'eau. Réalisées en fonte de fer, des têtes de tortue, de cochon, d'éléphant, de crocodile, jaillissent de l'allée.

Au moment de la réalisation de cette fontaine en fonte de fer, dans son travail préparatoire, Quentin Garel a réalisée une pièce annexe, Girafe qu'il présente à Yerres, un bronze, d'une hauteur de deux mètres. Il évoque dans cet entretien les dessins préparatoires qu'il réalise au fusain à l'échelle de la sculpture et qu'il efface plus ou moins, au fur et à mesure de l'avancée de sa recherche. Excellent dessinateur, ces études qui n'étaient pas destinées à être montrées sont maintenant présentées lors de ses expositions, donnant la mesure des essais.

Quentin Garel, Fontaine, Allée des têtes cracheuses, Lille
© Galerie LJ

Parc des Géants à Lille, fontaine, sculpture de Quentin Garel : Allée des têtes cracheuses
© Quentin Garel


En savoir plus

- Soixante-treize artistes exposent à Yerres, cette année 2009 dans le parc de la propriété Caillebotte et le centre d'art de la Ferme Ornée.


- Lydia Harmbourg, 73 sculpteurs, Deuxième Biennale de Yerres, Propriété Caillebotte, Somogy Editions d'art, 2009

- Deuxième Biennale de Sculpture de Yerres : 18 septembre-29 novembre 2009

- Propriété Caillebotte, 8 rue de Concy, 91310 Yerres
En RER, ligne D, 20 minutes de la gare de Lyon
Ouverture tous les jours, d'avril à septembre de 9H à 20H et d'octobre à mars de 9H à 17H30.
Entrée gratuite

- Centre d'Art et d'Expositions La Ferme Ornée au sein de la propriété Caillebotte :

Ouverture du mercredi au vendredi de 14H30 à 18H, du samedi au dimanche de 10H à 12H et de 14H30 à 18H.

Quelques mots sur la propriété Caillebotte de Yerres en Essonne :

Martial Caillebotte, le père du peintre, acheta en 1860 cette propriété de 11 ha qui bénéficiait d'un parc à l'anglaise. Le peintre Gustave Caillebotte (1848-1894) y vécut enfant et jeune homme de 1860 à 1879 et composa 87 toiles représentatives de la villégiature au XIX e siècle.

Propriété Caillebotte de Yerres


En savoir plus sur ces trois artistes

François Weil, sculpteur
© Canal Académie

- Site Internet de François Weil

- Actualité : Biennale de la propriété Caillebotte, Yerres 77
du 17 septembre au 29 novembre

- Triennale de sculpture de Poznan, Pologne, membre du jury cette année 2009

Catalogues récents :

- François Weil, Die Alchemie der Gegensätze, Galerie Ulrike Petschelt, 2009
- François Weil, Ardoises, schistes & otrélites, Édition au pont des arts Charles Zalber, 2008

- François Weil, 1998 - 2006, Édition au pont des arts, Galerie Lucie Weill & Seligmann

- Le public peut voir les réalisations monumentales de François Weil en Egypte, dans la forêt d'Oberhaslach dans les Vosges, en Savoie en suivant le parcours de montagne La Norma, en Corée du Sud, en Belgique, en Inde, près de Rome ainsi que ses œuvres à Paris, principalement à la galerie Lucie Weill & Seligmann et à la galerie SPARTS.

Agnès Bracquemond, sculpteur
© Canal Académie


- Site Internet d'Agnès Bracquemond

Parmi les catalogues récents

- Gérard Barrière, Agnès Bracquemond Inédit - 2001, Catalogue Henry Bussière
- Gazette de l'Hôtel Drouot - juin 2008

- Où voir les sculptures d'Agnès Bracquemond?

Collections publiques :
- Écoles Normale de Musique de Paris
- Musée de Meudon,
- FRAC Ile-de-France,
- Musée de Boulogne Billancourt,
- Monument de la Libération, Ville de Meudon,
- Fond National d'Art contemporain.

Quentin Garel, sculpteur
© Canal Académie

- Quentin Garel
- Lauréat résident de la Casa Velazquez en 1999, il a reçu, par la suite, de nombreux prix : prix de sculpture de la Fondation COFFIM , prix du salon d'art contemporain de Montrouge (2002), prix de dessin de l'Académie des beaux-arts (2003), prix de sculpture du salon de mai en 2004. Quand Quentin Garel cherchait sa voie, il voulait être designer ou architecte. Dans son travail de sculpture, il s'est rapproché de paysagistes à travers l'Agence Mutabilis, avec laquelle il collabore en ce moment.

Actualité :

- Biennale de sculpture de Yerres
- Exposition prochaine à la galerie Forni de Bologne, en Italie.
- En dehors du Parc du Chemin de l'Ile de Nanterre et des jardins municipaux de Lille, au Parc des géants, le public peut voir ses sculptures à la galerie LJ Beaubourg, à Paris, lors de ses expositions.

Vidéo sur la sculpture 717 de François Weil

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