Sous la direction d’André Vauchez : Prophètes et prophétisme d’hier à aujourd’hui

Entretien avec l’historien médiéviste, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Avec Damien Le Guay
journaliste

En ces temps incertains où nous ne savons plus « à quels saints nous vouer », les prophètes (plutôt de malheur) sont de retour. Pourquoi ? Avant tout pour vivre « une crise de l’avenir sans précédent » et une actuelle fascination pour « la séduction du désastre » -les peurs atomiques et écologiques. N’oublions pas les replis identitaires et les « délires incantatoires du new age » selon l’expression d’André Vauchez. L’historien de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, ancien directeur de l’Ecole française de Rome, spécialiste de la spiritualité médiévale – et auteur, en particulier d’une superbe biographie de François d’Assise (2009) – vient de rassembler autour de lui différents spécialistes pour faire une histoire du prophétisme dans l’espace judéo-chrétien. Ce recul historique nous permet de mieux comprendre ce que nous vivons et d’avoir une vue de longue durée sur ces phénomènes étranges.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag1047
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Comment définir le prophétisme ? Avant tout par trois éléments :
- 1 : il est un contre-pouvoir
- 2 : qui s’instaure en réponse à une angoisse collective et un sentiment d’impuissance face à l’histoire
- 3 : et qui offre une perspective d’avenir pour éclairer les temps futurs.

Peut-on (telle sera l’une de nos questions) considérer le prophétisme comme « un mal nécessaire » ? Il prédit l’avenir mais le fait-il pour tous ou pour un petit cercle d’initiés ? Est-il un aiguillon nécessaire pour faire un rappel à l’ordre aux institutions quand celles-ci dérivent, s’embourgeoisent et finissent par corrompre le message religieux originaire ou, au contraire, vise-t-il à détruire les institutions au profit d’une spiritualité désincarnée, incandescente, apocalyptique ?

Le recul historique nous fait remonter au prophétisme biblique apparu à la fin du IXe siècle avant notre ère. Samuel intronise le roi. David est rappelé à l’ordre par Nathan. Elie prouve sa supériorité face aux 450 prophètes de Baal. Mais le prophétisme s’achève avec la venue de Jésus le Christ. Pourquoi se poursuit-il ? Comment réapparait-il avec la vocation monachiste ? Comment comprendre (à partir du Xe siècle) ces figures de l’anté-Christ ? Au XIIe siècle, Hildegarde de Bingen et Joachim de Flore vont faire renaitre un prophétisme charismatique. Savonarole, à partir de 1484, combat le pouvoir corrupteur des Médicis, en appelle à une pauvreté nécessaire et à des mœurs plus austères. Il finira excommunié par le pape Alexandre VI (un pape Borgia doué d’un solide appétit de pouvoir et soucieux de faire vivre au Vatican toute sa famille, y compris sa maitresse, de quarante ans sa cadette, qui aura un enfant du pape) puis sera brûlé en place publique.

Ces perspectives historiques nous donnent des clés de connaissances historiques mais aussi de compréhension de notre époque. Le prophétisme est un symptôme d’une crise historique.

Damien Le Guay

André Vauchez à Canal Académie
© Canal Académie

- Pour aller plus loin n'hésitez pas à consulter Prophètes et prophétismes , sous la direction d’André Vauchez, Le seuil, 2012.

Dans cet ouvrage collégial, portant sur la tradition prophétique judéo-chrétienne depuis la Bible jusqu'à Martin Luther King, est mise en lumière une lignée ininterrompue de témoins, de prophètes qui ont longtemps évolué en Europe, mais qui se sont aussi illustrés par d'importants mouvements messianiques et charismatiques en Afrique Noire et en Amérique, de la colonisation à nos jours.
Dans cette œuvre, 8 illustres auteurs, chacun à leur tour, commentent les notions de prophète et de prophétisme, leurs origines, leurs caractéristiques et leurs évolutions à travers les âges et les continents.

Si dans un premier temps, Pierre Gibert, docteur en théologie et en littérature comparée, s'attaque au prophétisme biblique en en décrivant ses origines et son évolution, André Vauchez, historien médiéviste de renom et membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, s'intéresse plus particulièrement au prophétisme chrétien, de sa marginalisation dans l'Antiquité tardive à son essor et implantation (avec l"aide notamment des ordres mendiants) à la fin du Moyen Age.
Jean-Robert Armogathe, directeur d'études à l’École pratique des hautes études, en sciences religieuses, poursuit sur cette voie en analysant ce même prophétisme chrétien au XVe et XVIIIe siècles en Europe, temps des réformes religieuses et des guerres incessantes ; analyse que complètent d'une part Philippe Boutry, directeur d'études à l'EHESS, professeur à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et à l’Institut d'études politiques de Paris, pour le siècle des révolutions, de la Révolution Française à la Grande Guerre, et d'autre part Sylvie Barnay, historienne, maitre de conférence à l'université de Lorraine et professeur à l'Institut catholique de Paris, concernant la place du prophétisme au XXesiècle, de son renouvellement inattendu avec Charles Péguy aux incertitudes du XXIe siècle naissant.

Trois auteurs apportent dans une seconde partie un éclairage original à l'ouvrage en s'appuyant sur l'idée de prophétisme à travers le Monde. Si Valerio Petrarca, professeur d'anthropologie culturelle à l'université Frederico II de Naples, évoque cette notion en ce qui concerne l'Afrique noire au XXe siècle, Jean-Pierre Bastian, professeur de sociologie des religions à l'université de Strasbourg et directeur de recherche à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine de l'université Paris-III, la commente, lui, vis-à-vis de son implantation dans l'Amérique latine contemporaine. Enfin Isabelle Richet, professeur d'histoire et de civilisation des États-Unis à l'université Paris-VII Diderot, termine ce voyage à travers les siècles et les continents en s'intéressant au prophétisme en Amérique du Nord, des visions millénaristes au fondamentalisme d'après-guerre.

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