Quel avenir pour le vivant ?

Avec Patrick Blandin

Si nous sommes tous d’accord pour conserver la nature, personne ne s’accorde sur les formes qu’elle doit revêtir. Faut-il monétiser la biodiversité pour lui donner de la valeur face à l’économie qui gère le monde ? Les réserves naturelles doivent-elles être vierges de toute présence humaine ? Et les espèces dites « invasives » doivent-elles être supprimées ? Éléments de réponses en compagnie de Patrick Blandin, ancien directeur au laboratoire d’écologie générale du Muséum national d’histoire naturelle.

L’économie et l’écologie ont des rapports très conflictuels depuis de nombreuses années.« Au départ, nous avions une vision très morale de la préservation de la nature. Mais les choses changèrent en 1923, lors du premier congrès pour la protection de la nature au Muséum. Et quand l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) a été fondée en 1992, son premier secrétaire général a avoué que les raisons morales et esthétiques avaient échoué dans la protection de la nature et qu’il fallait développer des arguments anthropocentriquement utilitaires pour convaincre les masses. Il faut montrer que la nature sert à quelque chose ! »

Une partie des écologues ont décidé d’adopter le langage des économistes en donnant une valeur monétaire à la nature pour la préserver. « Je comprends cette démarche, mais je crains qu’en nous pliant à leurs conceptualisations, nous entrions dans leur jeu. Or nous sommes bien moins forts qu’eux. Il faudrait inverser la vision : faire en sorte que les économistes pensent en terme de biosphère ».

La main de l’homme doit-elle intervenir pour « améliorer » la nature ?

L’exemple de l’entretien des forêts est intéressant pour poser le débat sur l’intervention de l’homme ou pas pour préserver un espace.
Deux visions s’opposent : les premiers pensent que les forêts doivent être entretenues, le bois coupé, élagué, pour que la forêt ne s’étouffe pas d’elle-même ; les autres estiment que l’homme n’a pas à intervenir dans le cours de la vie des forêts. « En Europe, nous avons une longue tradition de la gestion durable de la forêt. L’idée d’exploitation d’une ressource est ancienne et il est vrai qu’on a cherché à simplifier les forêts, sélectionner les essences, et donc réduire la diversité des êtres vivants qui s’y trouvent ».

La question est de savoir ce qu’on veut faire de la forêt : un espace purement de loisir, un espace cultivé pour avoir une ou plusieurs espèces spécifiques, ou encore un lieu où la nature se développe dans toute sa spontanéité. « Tout est possible, cela dépend de seulement de nous, de la société… »

 

Marquage du bois avant la coupe.

Mais dans son livre, Patrick Blandin souligne certains extrémistes de la nature. « Il s’agit d’une nature goûtée par certains, qui l’interdiraient aux autres pour préserver une virginité qu’ils se réservent le droit d’explorer. Cette idéologie de la nature vierge imprègne la vision de bien des protecteurs de la nature ».
Et parfois, cette notion de nature « pure » peut engendrer des expulsions des autochtones. C’est le cas des Pygmées du Congo : ils ont été priés de partir lorsqu’une partie du territoire a été déclaré « réserve naturelle » pour protéger cet espace de la présence de l’homme.

Les espèces invasives introduites artificiellement par l’homme doivent-elles supprimées ?

L’exemple de l’ibis royal dans le golfe du Morbihan est très intéressant pour illustrer le débat : Faut-il supprimer cet oiseau qui interfère sur les espèces indigènes ou faut-il le laisser vivre comme tous les autres, au nom de l’évolution ?
L’ibis s’est sauvé d’un parc zoologique breton et s’est multiplié au point de diviser la population en deux : les “pro-ibis” qui ont créé un comité de défense de l’ibis sacré, et les “anti-ibis” qui programment des plans de chasse.
« Nous les scientifiques n’avons pas à dire qui a tort et qui a raison. C’est surtout une question de société que les gens doivent débattre. Si nous disons que nous souhaitons protéger les espèces indigènes, se pose la question de savoir à partir de quel moment nous parlons d’espèces indigènes, surtout lorsque le changement climatique impose des migrations d’espèces… Face à cela, est-ce qu’on se replie sur notre petite identité floristique et faunistique ou est-ce qu’on réfléchit autrement au devenir de la nature ? ».
 

 

 

Echappé d’un parc zoologique en 1994, l’ibis a trouvé depuis ses repères dans le golfe du Morbihan...

 

 

Initiative pour une « éthique de la biosphère »

L’exemple de l’ibis, la disparition d’un quart des oiseaux nicheurs en France, la simplification des essences dans les forêts… tout cela est la conséquence de nos prises de décision en matière coexistence homme-environnement.
De ce fait, Patrick Blandin le dit : « Le souci de la conservation de la nature est avant tout un problème éthique où les valeurs sont simples : la volonté des hommes à vouloir préserver le plus longtemps possible la diversité. La diversité est la valeur fondamentale qui nous permet d’espérer le futur de la vie sur Terre, le nôtre y compris. C’est une notion de coévolution entre les humains et la nature. C’est la raison pour laquelle L’UICN a mis en place une éthique pour la biosphère ».

Au « Je pense donc je suis » de Descartes, Patrick Blandin oppose volontiers une citation d’Albert Schweitzer : « Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre ».

 

 

 

Patrick Blandin
© Thierry Carabin

Patrick Blandin est professeur émérite au muséum national d'histoire naturelle où il a été le premier directeur de la Grande galerie de l'évolution. Spécialiste d'entomologie et d'écologie, ancien directeur au laboratoire d'écologie générale du muséum, président d'honneur du Comité français de l'UICN et
co-président de l'initiative pour une éthique de la biosphère développée par l'UICN.

En savoir plus :

- Muséum national d'histoire naturelle
- Union Internationale pour la Conservation de la Nature, UICN

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Patrick Blandin, Biodiversité : L'avenir du vivant, édition Albin Michel, 2010. Prix Léon de Rosen 2010 de l’Académie française.
Il est également le lauréat du prix "La Science se livre" 2010. Ce prix, doté de 3 200 euros lui a été remis officiellement le 4 février 2011.

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