Mémoire, année zéro : à l’heure du numérique, par Emmanuel Hoog

Plaidoyer pour une mémoire collective moderne, entretien avec Myriam Lemaire
Avec Myriam Lemaire
journaliste

Emmanuel Hoog évoque son essai Mémoire, année Zéro né de son expérience professionnelle de Président de l’Institut National de l’Audiovisuel, durant 9 ans. Il propose un diagnostic sur la crise de notre mémoire nationale et plaide pour la constitution d’une mémoire moderne dans notre société numérique. Il est reçu par Myriam Lemaire.

Émission proposée par : Myriam Lemaire
Référence : pag743
Télécharger l’émission (23.94 Mo)

L'essai d'Emmanuel Hoog a été couronné par le prix des Députés, le 10 avril 2010, lors de la Journée du Livre politique. Quelques jours après l'enregistrement de cet entretien, il a été élu Président de l'Agence France Presse, AFP, le 15 avril 2010.

De l’ENA à l’INA… et à l’AFP

Homme de culture dès son enfance - ses parents étaient conservateurs de musée - Emmanuel Hoog a connu « en même temps que le chemin de l’école, le chemin des musées ».

À la fois « géomètre et saltimbanque », il a choisi, après l’ENA, de rejoindre le Ministère de la Culture et a accompli une grande partie de sa carrière dans les entreprises culturelles. Il a été notamment administrateur du Théâtre de l’Odéon et considère le théâtre comme « une très bonne école d’exécution ».

Président-Directeur Général de l’INA depuis 2001, il a conduit avec succès le grand chantier de la numérisation du patrimoine audiovisuel pour sauvegarder et faire partager au grand public les archives de la radio et de la télévision grâce à ina.fr, un site unique au monde. Il rappelle ici l’origine et les missions de l’INA, « hétérogènes au départ », mais souligne « qu’un effort de cohérence a été fait ».

En charge du dépôt légal et de la collecte des archives audiovisuelles et, en liaison avec la BNF, de celles de l’Internet, l’INA a aussi créé une grande école de référence dans le domaine des médias, INA’Sup, qui délivre des masters.

Emmanuel Hoog est aussi président du Comité d’Histoire de la Télévision et président de la Conférence Permanente de l’Audiovisuel Méditerranéen (COPEAM) qui fédère 130 acteurs issus de 26 pays et dont la 17e conférence s’est tenue à Paris, du 8 au 11 avril 2010. Au centre des débats, le projet d’une chaîne de télévision méditerranéenne.

Depuis le 15 avril 2010, Emmanuel Hoog est président de l’Agence France Presse.

Une crise de la mémoire collective

Dans cet essai Mémoire année Zéro, publié aux Éditions du Seuil en septembre 2009, Emmanuel Hoog nous livre une réflexion « dense et pertinente » sur des thèmes essentiels, selon les mots de Bernard Accoyer qui lui a remis le prix des Députés, le 10 avril 2010.

Pour Emmanuel Hoog, « la crise actuelle est aussi culturelle ». Il évoque un malaise profond dans notre pays, premier consommateur mondial de psychotropes. « La France est avant tout malade de sa mémoire », dit-il. Plutôt que de regarder l’avenir, notre pays a choisi de se réfugier dans son passé. Ce culte du passé se traduit notamment par l’inflation des commémorations qui « rythment le temps par rapport au passé ». « Ce retournement sur l’Histoire à satiété est discutable », souligne-t-il.

Anticipant le débat récent sur « l’identité nationale » puisque ce livre avait été écrit avant, précise Emmanuel Hoog, il ne pense pas que ce concept puisse être un remède miracle au mal dont souffre notre pays.

L’inflation mémorielle à l’heure du numérique

Emmanuel Hoog analyse les bouleversements de la mémoire à l’heure de l’Internet et du numérique.
Désormais, grâce au numérique, nous sommes dans un schéma « où l’on peut faire mémoire de tout et tout garder », observe-t-il. Alors qu’auparavant, « la mémoire était le résultat des pertes, on a désormais une mémoire qui se rappelle à nous en permanence ».

Notre invité dénonce les risques d’un « perpétuel présent où plus rien ne s’oublie, où tout peut se rappeler » et où les limites entre mémoire publique et mémoire privée s’effacent progressivement. « Nous assistons à la formation d’une immense bulle mémorielle », explique-t-il.

Quel avenir pour la mémoire ?

Afin d’éviter les risques d’explosion ou d’implosion de cette « bulle mémorielle », Emmanuel Hoog souligne la nécessité d’agir pour maîtriser cette situation. Il plaide pour la mise en œuvre par la puissance publique « d’une politique de la mémoire, assise sur une politique des savoirs ».

Plusieurs actions s’imposent. Il faut « civiliser Internet », lui donner une représentation, le cartographier, le cultiver en créant des repères. Il faut organiser le dépôt légal de l’Internet.

Notre invité plaide pour un nécessaire « droit à l’oubli » pour chaque citoyen à qui doivent être garantis les mêmes droits que dans la vie réelle.

Il est nécessaire de « remettre du sens, du réel et du collectif », en affirmant la culture comme préoccupation centrale des politiques publiques. Cela suppose de réhabiliter la vertu du temps long, celui de la réflexion plutôt que de rechercher toujours la vitesse.

Cela peut vous intéresser