Jean-Christophe Rufin, de l’Académie française : katiba

Quand l’écrivain s’empare du terrorisme comme sujet romanesque...
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Katiba, le dernier livre de Jean-Christophe Rufin est un roman d’espionnage, caractéristique de l’après 11 septembre. L’action se situe aujourd’hui, entre l’Afrique de l’Ouest et Paris, de Nouakchott au Sahara en passant par le quai d’Orsay. Haletant, il entraîne le lecteur dans la vie d’une "katiba", une unité terroriste en plein désert. Si le terrorisme est au cœur de l’intrigue, l’histoire personnelle et compliquée des acteurs mis en scène, écartelés entre deux mondes, l’est tout autant. Jean-Christophe Rufin nous en dit plus dans cette émission.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : pag849
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Le lecteur a toutes les clefs pour entrer dans le vif de ce roman. Il plonge dans une unité d’al-Qaïda en plein désert, au Mali et dans les pays environnants ou se retrouve dans les salons feutrés du quai d’Orsay, pour y faire simplement le ménage. Quelques pages plus loin, le voilà dans les bureaux d’une officine de renseignements, une agence de sécurité privée, au nom charmant de Providence, basée en Afrique du Sud, ou encore, en train de partager les « ingrates journées, de jeunes médecins supposés « islamistes » au milieu d'une humanité souffrante » dans un hôpital de Nouakchott…

Pour tout amateur de récits d'espionnage, le voyage est assuré au pays du renseignement, version romancée. Jasmine, l'héroïne principale, est-elle un agent double ? La question tient en haleine le lecteur jusqu'à la fin, la vie intime des héros étant habilement révélée au fur et à mesure de la lecture.

Couverture du livre,  Katiba , de Jean-Christophe Rufin


Tout commence par la description brève mais radicale de l’assassinat de quatre touristes italiens, en trois pages percutantes.

Une attaque que l’auteur fait revendiquer par la branche d’« al-Qaïda au Maghreb islamique ». Un scénario de départ sans surprise tant l’actualité nous a conviés à ce genre d’événement funeste, et tant les médias nous ont « formatés » à recevoir ces informations lacunaires et effrayantes.

A partir de cet assassinat, le lecteur suit l'histoire des groupes djihadistes mêlés à cette opération violente. Changeant sans cesse de lieu, traversant les frontières, les katibas placées sous surveillance de l'agence Providence, basée à des milliers de kilomètres, échappent en partie à la traque. L'agence s'inquiète des allées et venues entre Paris et Nouakchott, d'une veuve de 30 ans, ancienne compagne d'un consul en poste en Mauritanie et travaillant au service du protocole au quai d'Orsay, à Paris. L'intrigue construite par Jean-Christophe Rufin est à plusieurs niveaux pour le plus grand plaisir du lecteur qui ne les découvre qu'au fil des pages.

Le terrorisme est donc au cœur de cette fiction. Un sujet déjà abordé par l'écrivain. Son roman d’anticipation Globalia, paru en 2004, traitait largement du terrorisme dans une société future dont la devise imaginée était La liberté, la sécurité et la prospérité : « La surveillance c’est la liberté ».

Dans Katiba, le lecteur découvre l’envers du décor : celui des terroristes et celui de leurs adversaires, leurs moyens, leurs réseaux, le tout, à travers un trio de personnages, Jasmine, Kader et Dimitri.

Dans cette fiction où cohabitent l’imagination du romancier et l’expérience professionnelle de l’auteur, diplomate en poste à Dakar au moment de la rédaction et de la sortie du livre, en tant qu’ambassadeur, la question posée au centre de l'intrigue est-elle, plutôt que celle du terrorisme, celle du difficile dialogue entre Français, musulmans ou non, d’origine maghrébine ou non.

Quel est au fond le sujet de Katiba ?

C’est à la question glissante des identités que s’est en fait, attaqué Jean-Christophe Rufin : une identité complexe, troublée par l’histoire, troublante par ses aspirations et ses ressentiments, une identité en devenir qu’on souhaite apaisée.

Quand on lit Katiba, difficile de ne pas y penser. L'histoire facile de prime abord, brise les clichés et permet de s’interroger sur les complexités de notre histoire nationale, dans le contexte bien large de la globalisation.

Jean-Christophe Rufin, de l’académie française, octobre 2010
© Didier Plowy


Dans cette émission, Jean-Christophe Rufin raconte comment il en est venu à s'intéresser à la réalité de la menace terroriste des groupes djihadistes comme sujet romanesque. Il revient sur l'histoire de ces groupes, originaires d'Algérie qui occupent aujourd'hui l'ensemble de la zone Saharienne et qui ont aussi changé de nature ces dernières années. Ce terrorisme qu'il qualifie de proche de nous, par les liens qu'entretiennent tout ces pays avec la France, est l'occasion pour lui de mettre en scène des personnages qui portent en eux, plusieurs mondes, plusieurs mémoires. La littérature aide à comprendre, comme il le rappelle citant Graham Greene, son rôle est "de rendre la plus haute justice possible", d'essayer de restituer la position de chacun dans sa vérité, c'est à dire dans son ambiguïté pour restituer la complexité des choses.
Il parle du roman d'espionnage qu'il apprécie tout particulièrement parce qu'il oblige à se situer dans le présent et des auteurs qu'ils aiment lire pour ces intrigues sophistiquées.

Katiba paru en avril 2010 chez Flammarion, s'est vendu à plus de 140 000 exemplaires en 5 mois.

Pour en savoir plus

- Jean-Christophe Rufin, de l'Académie française

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