Etty Hillesum, une conversion mystique en plein coeur de la Shoah

Entretien avec Catherine Chalier, auteur de l’essai Le désir de Conversion
Avec Damien Le Guay
journaliste

Etty Hillesum, figure majeure de la souffrance juive, nous a légué une oeuvre intime et mystique, véritable appel à la paix universelle. Nous avons demandé à Catherine Chalier, philosophe, professeur à l’université de Nanterre, spécialiste du judaïsme (et de Lévinas en particulier) et auteur de l’essai Le désir de conversion de bien vouloir analyser pour Canal Académie cet ouvrage contant la conversion spirituelle d’une femme victime de la barbarie nazie.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag896
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15 mai 1940. La Hollande capitule. Du jour au lendemain, la terreur nazie obscurcit le pays. 100 000 de ses 140 000 juifs seront assassinés. Alors, le destin de trois femmes juives bascule : Anne Franck, Edith Stein et Etty Hillesum. La première, âgée de 14 ans, va finir par s’enfermer dans un recoin de l’appartement, dénommé « l’annexe », pour mieux échapper aux rafles. Dénoncée, elle mourra dans les camps en mars 1945. La seconde, juive, philosophe et religieuse catholique, sera arrêtée par la Gestapo, dans son carmel, le 2 août 1942 avant d’être gazée 7 jours plus tard. La troisième, jeune femme libre, sensuelle, choisira de devenir membre du « conseil juif » du camp de Westerbork, camp de transit, ce qui ne l’empêchera pas de mourir, elle aussi, à Auschwitz le 30 novembre 1943. Elle nous laisse l'extraordinaire témoignage d’une conversion intérieure. C'est sur l'histoire de cette dernière que revient Catherine Chalier dans son œuvre dédiée aux conversions mystiques et religieuses de 5 grandes figures du XXe siècle (les quatre autres étant Henri Bergson, Franz Rosenzweig, Simone Weil, et Thomas Merton).
En effet, le destin d’Etty Hillesum, hollandaise d’origine juive, née en 1914, est des plus singuliers.

Personnage paradoxal, elle mène avant guerre une vie marquée par l'hédonisme et des passions sans borne. Mais à partir de l’invasion de son pays par les armées allemandes, quand le désastre s’abat sur son pays, son peuple et sa famille, et qu'elle-même se retrouve dans le camp de transit de Westerbork, elle débute la rédaction de son journal. Alors, au fil des jours et des pages, elle finit par découvrir, au fond d’elle, une liberté intérieure à conquérir par l’écriture et le repli sur soi. Tout au bout de cette liberté : une figure presque sauvage de « Dieu ». Un Dieu qui n’appartient pas à une tradition particulière. Son Dieu est fragile, dépourvu de la toute puissance qu’on lui attribue à tort. Il faut, dit-elle, le protéger, le mettre à l’abri. « Et si Dieu cesse de m’aider, ce sera à moi d’aider Dieu. » Grâce à la prière, ajoute-elle, « je retrouvais le contact avec moi-même, avec ce qu’il y a de plus profond et de meilleur en moi et que j’appelle Dieu. »

Et lorsque face aux troubles du moment, aux sauvageries nazies, à l’obscurité qui s’est abattue sur le monde, elle considère que Dieu s’est absenté de l’Histoire – cette Histoire inhumaine qui est en train de se dérouler sous ses yeux - c'est elle qui, confrontée aux visages haineux des soldats SS et des souffrances humaines, invite à détruire en soi la haine – plutôt que de la cultiver à l’image de ceux qui profanent le genre humain.
« Que chacun fasse un retour sur soi-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. »
Superbe exemple de conversion et d’appel à la pacification des cœurs pour mieux casser net le cycle de la violence.

Damien Le Guay

(le Seuil, 2011, 276)

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