
Sonnet, Félix Arvers - Laisse-moi !, Gérard de Nerval
Sonnet, Félix Arvers
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.
Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas.
À l’austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle
» Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.
Laisse-moi !, Gérard de Nerval
Non, laisse-moi, je t’en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Ne vois-tu pas, à ma tristesse,
Que mon front pâle et sans jeunesse
Ne doit plus sourire au bonheur ?
Quand l’hiver aux froides haleines
Des fleurs qui brillent dans nos plaines
Glace le sein épanoui,
Qui peut rendre à la feuille morte
Ses parfums que la brise emporte
Et son éclat évanoui !
Oh ! si je t’avais rencontrée
Alors que mon âme enivrée
Palpitait de vie et d’amours,
Avec quel transport, quel délire
J’aurais accueilli ton sourire
Dont le charme eût nourri mes jours.
Mais à présent, Ô jeune fille !
Ton regard, c’est l’astre qui brille
Aux yeux troublés des matelots,
Dont la barque en proie au naufrage,
A l’instant où cesse l’orage
Se brise et s’enfuit sous les flots.
Non, laisse-moi, je t’en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Sur ce front pâle et sans jeunesse
Ne vois-tu pas que la tristesse
A banni l’espoir du bonheur ?