Elle était déchaussée - Pour Jeanne seule, Victor Hugo

Robert WERNER
Avec Robert WERNER
Correspondant

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi, qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive,
Elle me regarda pour la première fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l’eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

Elle était déchaussée, Victor Hugo

Je ne me mets pas en peine

Du clocher ni du beffroi ;

Je ne sais rien de la reine,

Et je ne sais rien du roi ;

 

J'ignore, je le confesse,

Si le seigneur est hautain,

Si le curé dit la messe

En grec ou bien en latin ;

 

S'il faut qu'on pleure ou qu'on danse,

Si les nids jasent entr'eux ;

Mais sais-tu ce que je pense ?

C'est que je suis amoureux.

 

Sais-tu, Jeanne, à quoi je rêve ?

C'est au mouvement d'oiseau

De ton pied blanc qui se lève

Quand tu passes le ruisseau.

 

Et sais-tu ce qui me gêne ?

C'est qu'à travers l'horizon,

Jeanne, une invisible chaîne

Me tire vers ta maison.

 

Et sais-tu ce qui m'ennuie ?

C'est l'air charmant et vainqueur,

Jeanne, dont tu fais la pluie

Et le beau temps dans mon cœur.

 

Et sais-tu ce qui m'occupe,

Jeanne ? c'est que j'aime mieux

La moindre fleur de ta jupe

Que tous les astres des cieux.

 

Pour Jeanne seule, Victor Hugo

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