À la lumière d'hiver, Philippe Jaccottet

Lecture par Robert Werner
Robert WERNER
Avec Robert WERNER
Correspondant

Un homme qui vieillit est un homme plein d'images

raides comme du fer en travers de sa vie,

n'attendez plus qu'il chante avec ces clous dans la gorge.

Autrefois la lumière nourrissait sa bouche,

maintenant il raisonne et se contraint.

Or, on peut raisonner sur la douleur, sur la joie,

démontrer, semble-t-il, presque aisément

l'inanité de l'homme. On peut parler

comme je parle à présent dans cette chambre

qui n'est pas encore en ruines, par ces lèvres

que ne coud pas encore le fil de la mort,

indéfiniment.



Toutefois, on dirait

que cette espèce-là de parole, brève ou prolixe,

toujours autoritaire, sombre, comme aveugle,

n'atteint plus son objet, aucun objet, tournant

sans fin sur elle-même, de plus en plus vide,

alors qu'ailleurs, plus loin qu'elle ou simplement

à côté, demeure ce qu'elle a longtemps cherché.

Les mots devraient-ils donc faire sentir

ce qu'ils n'atteignent pas, qui leur échappe,

dont ils ne sont pas maîtres, leur envers ?

De nouveau je m'égare en eux,

de nouveau ils font écran, je n'en ai plus

le juste usage,

quand toujours plus loin

se dérobe le reste inconnu, la clef dorée,

et déjà le jour baisse, le jour de mes yeux...

 

Philippe Jaccottet, À la lumière d'hiver

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