Fantaisies philosophiques du XVIe siècle : rire et penser à la Renaissance

Par Alice Vintenon, lauréate du prix Monseigneur-Marcel décerné par l’Académie française

À la Renaissance, de nombreux auteurs de fiction et de poésie manifestent un goût affirmé pour l’invraisemblance comique et la fantaisie la plus débridée. Leurs récits, tout rocambolesques qu’ils soient, n’en possèdent pas moins une profondeur philosophique revendiquée, usant de toutes les ressources de l’allégorie et du paradoxe, jusqu’à l’hermétisme. Alice Vintenon nous convie à la lecture de ces textes bouffons et énigmatiques. Maîtresse de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, elle a été récompensée du prix Monseigneur-Marcel décerné par l’Académie française pour son ouvrage La Fantaisie philosophique à la Renaissance paru à la Librairie Droz en 2017.

EXTRAIT

Ce qui advint à une Poissonnière

On ne se peut garder de sa fortune, quoyque l’on s’en guette assez. Cecy je dy pour une pauvre poissonnière de Rouen, laquelle l’hyver dernier (vendant son poisson au vieux marché) pour la grande et excessive froideur qu’il faisoit, eut le pauvre nez gelé, si bien qu’elle ne le sentoit plus bransler, et se pensant moucher elle se l’arracha tout net du visage sans y penser, et le jetta contre terre avec la roupie qui pendoit au bout. Une boure qui là estoit le print et l’avalla tout de gob. Toutesfois quand il est question de dire verité, je vous jure que ce fut grand pitié, car, arrivant en sa maison ses petits enfants la descongneurent, lesquels s’enfuirent de sa presence, brayants et criants de peur, et couroient comme chiens qui ont l’engin bruslé. Neantmoins leur père les rasseura petit à petit, jurant le diable que c’estoit leur mere ; mais la regardant ne se pouvoient contenir, tantost de rire et tantost de plourer.
La defformité du visage
N’abbat l’honneur du personnage.

La Nouvelle Fabrique des excellents traits de vérité (1579), Philippe d’Alcripe, Éditions F. Joukovsky, Genève, Droz, 1983, p. 29.

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